Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 23 décembre 2024, n°24BX01604

Par un arrêt en date du 23 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur le refus d’octroyer un titre de séjour à un couple de ressortissants étrangers. En l’espèce, deux époux, de nationalité arménienne, présents sur le territoire français depuis 2012, avaient sollicité la régularisation de leur situation administrative. Ils vivaient avec leurs trois enfants, tous nés en France. La mère invoquait notamment une pathologie nécessitant un traitement médical constant, tandis que le couple dans son ensemble mettait en avant l’ancienneté de leur séjour et leur vie familiale. Le préfet de la Gironde a rejeté leurs demandes par deux arrêtés distincts en juillet et août 2021. Saisi par les intéressés, le tribunal administratif de Bordeaux a confirmé ces décisions par deux jugements du 21 décembre 2023. Les requérants ont alors interjeté appel, soutenant que les refus du préfet étaient entachés d’une erreur d’appréciation au regard des dispositions relatives à l’état de santé, au droit au respect de la vie privée et familiale, et qu’ils méconnaissaient l’intérêt supérieur de leurs enfants. Ils demandaient l’annulation des jugements et des arrêtés préfectoraux. La question posée à la cour était de savoir si un refus de séjour, opposé à des parents d’enfants nés en France et présents sur le territoire depuis plusieurs années de manière irrégulière, portait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale et méconnaissait l’intérêt supérieur des enfants, notamment au regard de l’état de santé de l’un des parents. La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette les requêtes, estimant que le préfet n’a commis aucune erreur d’appréciation en considérant que ni la situation médicale de l’épouse, ni l’intensité des liens familiaux et privés développés en France, ni l’intérêt des enfants ne justifiaient la délivrance de titres de séjour.

La décision de la cour s’inscrit dans une application rigoureuse des critères de régularisation, tant en ce qui concerne l’appréciation des situations personnelles des demandeurs (I) qu’en ce qui touche à la prise en compte de leur vie familiale et de l’intérêt de leurs enfants (II).

I. La confirmation d’une appréciation restrictive des situations personnelles

La cour valide le raisonnement du préfet en adoptant une lecture stricte des conditions de délivrance d’un titre de séjour, que ce soit au titre de l’état de santé (A) ou de l’insertion sociale et privée (B).

A. L’interprétation rigoureuse de la condition d’accès effectif au traitement

L’un des fondements de la demande de l’épouse reposait sur son état de santé et l’impossibilité alléguée de bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. La cour examine ce moyen au regard de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle relève que la requérante ne contestait pas la disponibilité des médicaments nécessaires en Arménie, mais soutenait que leur coût rendait leur accès très difficile. L’argument est écarté par le juge, qui considère que les éléments produits, constitués de rapports généraux sur le système de santé arménien, ne sont pas probants. La cour estime que de telles « considérations générales ne sont pas suffisantes pour établir que [l’intéressée] serait dans l’impossibilité d’accéder en Arménie au traitement qui lui est nécessaire ». Cette approche impose à l’étranger une charge de la preuve particulièrement lourde, exigeant la démonstration d’une impossibilité personnelle et concrète d’accéder aux soins. En distinguant la disponibilité théorique d’un traitement de son accessibilité économique effective, pour ensuite refuser de prendre en compte cette dernière faute de preuves spécifiques, la cour adopte une conception exigeante de la notion de « bénéfice effectif » d’un traitement. Elle confirme ainsi une jurisprudence constante qui tend à ne reconnaître la vulnérabilité liée à l’état de santé que dans des circonstances très précisément établies.

B. La relativisation de l’insertion face à l’irrégularité du séjour

La cour procède ensuite à l’examen des liens privés et familiaux au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle met en balance les éléments d’intégration avancés par les requérants et les objectifs de la politique migratoire. Le juge minimise systématiquement la portée des attaches du couple en France. La longue durée de présence est immédiatement tempérée par le fait qu’elle résulte d’un « maintien en situation irrégulière ». L’insertion professionnelle est jugée non établie en l’absence de contrats de travail effectifs, les promesses d’embauche étant jugées insuffisantes. Les attestations de proches sont également balayées, ne suffisant pas « à établir l’intensité et la stabilité des liens privés et personnels du couple en France ». Face à ces éléments jugés fragiles, la cour souligne que les intéressés ne sont pas « dépourvus de tout lien en Arménie », où ils ont vécu la majeure partie de leur vie. Ce faisant, la décision illustre une logique dans laquelle l’irrégularité initiale du séjour contamine l’ensemble des efforts d’intégration ultérieurs, qui se voient privés d’une grande partie de leur valeur. La stabilité de la résidence et la réalité des liens sociaux sont ainsi subordonnées à la régularité administrative, cantonnant l’appréciation du juge à un cadre où le contrôle de l’immigration prévaut sur la constatation d’une vie sociale et privée de fait.

Après avoir ainsi écarté les arguments tirés de la situation personnelle des parents, la cour se penche sur la dimension familiale du dossier, où l’intérêt des enfants est au cœur du débat, pour aboutir à une solution tout aussi rigoureuse.

II. La portée limitée de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contrôle de la décision

L’arrêt confirme que la présence d’enfants nés et scolarisés en France ne suffit pas à faire obstacle à un refus de séjour opposé à leurs parents, en procédant à une évaluation formelle de leur situation (A) qui maintient la primauté des objectifs de contrôle migratoire (B).

A. Une prise en compte formelle de la scolarisation des enfants

Le moyen principal des requérants tenait à la méconnaissance par le préfet de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Les trois enfants du couple sont nés en France et les deux aînés y avaient commencé leur scolarité. La cour reconnaît ces faits mais leur dénie toute portée dirimante. Elle juge que « rien n’indique qu’ils ne pourront la poursuivre en Arménie ». Ce raisonnement opère un renversement de la perspective : la scolarisation en France, qui constitue un puissant vecteur d’intégration et le centre de la vie des enfants, est neutralisée par la simple possibilité non contredite d’une scolarité dans le pays d’origine des parents. L’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant apparaît alors superficielle. La cour ne s’interroge pas sur les conséquences concrètes d’un tel déracinement pour de jeunes enfants qui n’ont jamais connu d’autre environnement social, culturel et linguistique. En se contentant de cette formule, le juge administratif semble considérer que son contrôle se limite à vérifier l’absence d’obstacle matériel à la poursuite d’une éducation à l’étranger, sans évaluer l’impact psychologique et personnel de la décision sur les enfants. La « considération primordiale » que les autorités doivent accorder à leur intérêt supérieur est ainsi réduite à sa plus simple expression.

B. La primauté maintenue du contrôle de l’immigration sur la vie familiale

En définitive, la décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux réaffirme la prévalence des considérations liées à la maîtrise des flux migratoires sur la protection de la vie privée et familiale constituée sur le territoire national. En refusant de voir dans la situation des requérants des « motifs exceptionnels » ou des « considérations humanitaires » au sens de l’article L. 435-1 du CESEDA, la cour parachève son raisonnement. L’ensemble des éléments de la vie du couple en France, qu’il s’agisse de la durée du séjour, des tentatives d’insertion, de l’état de santé ou de la naissance et de la scolarisation des enfants, est analysé à l’aune de l’irrégularité de leur situation. Chaque facteur d’intégration est jugé insuffisant à lui seul, et leur accumulation ne parvient pas à constituer un ensemble de circonstances justifiant une régularisation. L’arrêt illustre la marge d’appréciation considérable dont dispose l’administration, puis le juge, pour déterminer le point d’équilibre entre le respect de la vie familiale et les impératifs de la politique d’immigration. Dans ce cas précis, l’équilibre est nettement établi en faveur de la seconde, au prix d’une décision dont la rigueur juridique conduit à la rupture d’une cellule familiale ancrée en France depuis plus d’une décennie.

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Hassan KOHEN
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