Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 23 septembre 2025, n°23BX00960

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu, le 23 septembre 2025, une décision portant sur la régularité d’un avenant à un contrat de concession. Le litige concerne la révision des objectifs de fréquentation d’un aéroport dans le contexte de la crise sanitaire mondiale débutée en deux mille vingt. Une convention initiale prévoyait une clause de résiliation si le trafic cumulé n’atteignait pas un certain seuil après six années d’exploitation du service. En mars deux mille vingt et un, un syndicat mixte a autorisé la signature d’un avenant abaissant de soixante-six pour cent ces prévisions de trafic. Une communauté urbaine et plusieurs de ses délégués ont sollicité l’annulation de cet acte devant le tribunal administratif de Poitiers qui a rejeté leur demande. Les requérants ont alors interjeté appel en soutenant que la délibération imposait une majorité qualifiée et que l’avenant constituait une modification substantielle irrégulière. La juridiction d’appel devait déterminer si l’adaptation du contrat aux circonstances imprévues respectait les limites posées par le code de la commande publique. La cour considère que si la crise sanitaire autorise une renégociation, l’ampleur de l’abaissement des objectifs excède les nécessités de la situation d’espèce. Elle prononce ainsi la résiliation de l’avenant litigieux tout en validant la procédure de vote suivie par l’assemblée délibérante du groupement de collectivités. L’analyse portera d’abord sur la régularité formelle de l’acte avant d’examiner le contrôle de proportionnalité exercé sur le contenu de la modification contractuelle.

I. La validation de la procédure de vote et la reconnaissance de l’imprévisibilité

A. Le rejet de l’exigence d’une majorité qualifiée pour la modification des objectifs

Les requérants soutenaient que la délibération approuvant l’avenant devait être adoptée à la majorité qualifiée en vertu des statuts du groupement de collectivités territoriales. La cour écarte ce moyen en soulignant que la clause de performance n’est pas relative aux « modalités de l’activité du délégataire » au sens statutaire. Elle estime que cette stipulation contractuelle n’affecte pas le cahier des charges mais définit simplement un mécanisme de résiliation unilatérale en cas de résultats insuffisants. Le juge précise qu’aucune disposition n’institue de mécanisme de minorité de blocage au profit des représentants de la communauté urbaine au sein du comité syndical. Dès lors, la décision pouvait être régulièrement adoptée à la majorité absolue des voix exprimées conformément aux règles de droit commun des assemblées délibérantes. Cette solution écarte également le principe du parallélisme des formes puisque la modification n’est pas considérée comme l’acte contraire du choix initial du délégataire.

B. L’admission de la crise sanitaire comme fondement légitime à la renégociation

L’avenant litigieux a été conclu sur le fondement de l’article L. 3135-1 du code de la commande publique autorisant la modification pour circonstances imprévues. Le juge administratif confirme que la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 constitue une « circonstance imprévue au sens des dispositions précitées » justifiant une renégociation. Il est admis que les conséquences notables de cette pandémie sur la baisse du trafic aérien mondial autorisent les parties à adapter leurs engagements respectifs. Cette reconnaissance permet d’ouvrir le champ de la liberté contractuelle pour préserver l’équilibre de la convention face à un événement extérieur et irrésistible. La cour valide donc le principe même de l’intervention d’un avenant pour tenir compte de la dégradation imprévisible du marché du transport aérien. Le litige se déplace alors vers l’examen de l’adéquation entre l’événement invoqué et l’ampleur des modifications apportées aux obligations du partenaire privé.

II. La sanction d’une modification contractuelle excessive et substantielle

A. Le caractère disproportionné de l’abaissement des prévisions de trafic passagers

Le juge exerce un contrôle rigoureux en affirmant que les modifications ne peuvent excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre aux circonstances imprévisibles invoquées. En l’espèce, l’objectif de trafic a été ramené de plus de huit cent mille passagers à environ trois cent mille pour la période considérée. La cour relève que le syndicat mixte s’est fondé sur le scénario le plus pessimiste élaboré par un rapport européen datant de plusieurs mois. Ce choix est critiqué car il ignorait l’existence d’un vaccin efficace et le lancement d’une campagne de vaccination massive au moment de la signature. La décision souligne qu’il n’existait aucune urgence à modifier dès le début de l’année deux mille vingt et un une clause prenant effet seulement fin deux mille vingt-cinq. Les modifications résultant de l’avenant ont ainsi « excédé ce qui était rendu strictement nécessaire par les circonstances imprévues de l’espèce » selon les termes du juge.

B. La requalification en modification substantielle imposant la résiliation de la convention

L’ampleur de la diminution des objectifs de performance conduit la juridiction à qualifier cette modification de substantielle au regard du code de la commande publique. Cet abaissement massif des seuils de trafic change l’économie générale du contrat en réduisant de manière excessive le risque d’exploitation pesant sur le concessionnaire. Le juge considère que l’avenant a « modifié de manière substantielle la convention de délégation de service public » conclue initialement entre les deux parties contractantes. Une telle irrégularité n’est pas régularisable par une mesure simple mais elle ne présente pas pour autant un caractère de gravité justifiant l’annulation rétroactive. La cour opte pour la résiliation de l’acte en vérifiant que cette mesure ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général du service. Elle annule donc le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 6 février 2023 et prononce la disparition future de l’avenant litigieux.

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Hassan KOHEN
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