Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, assorti d’une obligation de quitter le territoire français.
En l’espèce, un ressortissant marocain, entré régulièrement en France en 2016, s’y est maintenu après l’expiration de son titre de séjour en 2019. En 2023, il a sollicité son admission au séjour en se prévalant notamment de son intégration professionnelle, justifiant d’une expérience en tant qu’ouvrier agricole et d’une promesse d’embauche. Il faisait également état de la présence de son frère, résidant régulièrement, et de sa belle-sœur et de ses neveux de nationalité française sur le territoire. Le préfet de la Gironde a rejeté sa demande par un arrêté du 26 décembre 2023, lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de destination. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui, par un jugement du 29 octobre 2024, a rejeté sa requête. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il était ainsi demandé aux juges d’appel, d’une part, de déterminer si le refus de séjour opposé à un étranger justifiant d’une intégration professionnelle et de liens familiaux en France constituait une ingérence disproportionnée dans son droit à la vie privée et familiale, et, d’autre part, de clarifier les conditions d’application du droit commun de l’admission exceptionnelle au séjour à un ressortissant marocain, dont la situation est également régie par un accord bilatéral.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant n’est pas disproportionnée, eu égard à la précarité de ses liens en France et au maintien d’attaches dans son pays d’origine. Elle précise ensuite que si les dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne peuvent être utilement invoquées par un ressortissant marocain pour une demande de régularisation par le travail, elles demeurent applicables pour une admission au séjour au titre de la vie privée et familiale, et que, en l’espèce, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant de faire usage de cette faculté.
La décision commentée illustre ainsi une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité exercé sur les mesures d’éloignement (I), tout en apportant une précision utile sur l’articulation des sources en droit des étrangers (II).
I. Une application classique du contrôle de proportionnalité au regard du droit à la vie privée et familiale
La cour administrative d’appel procède à une analyse concrète de la situation personnelle du requérant, en prenant en compte les éléments de son intégration (A) avant de conclure, dans une balance des intérêts, à l’absence d’atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale (B).
A. La prise en compte des facteurs d’intégration personnelle et professionnelle
Dans son contrôle, le juge administratif examine avec attention les éléments avancés par le requérant pour établir l’existence d’une vie privée et familiale en France. L’arrêt relève ainsi la durée de présence sur le territoire depuis 2016, l’exercice d’une activité professionnelle, même irrégulière, et l’existence d’une promesse d’embauche. La cour mentionne également la production d’attestations de la part de son entourage, qui « témoignent de son comportement travailleur et appréciable ». Cette démarche démontre que le juge ne se limite pas à un examen abstrait, mais prend en considération les efforts d’intégration socio-professionnelle de l’intéressé.
L’analyse s’étend également aux liens familiaux. La décision constate que le requérant entretient des liens avec « son frère, qui réside régulièrement sur le territoire, et avec sa belle-sœur et ses neveux de nationalité française ». La reconnaissance de ces divers éléments, qu’ils soient d’ordre professionnel, social ou familial, constitue un préalable indispensable à l’exercice du contrôle de proportionnalité imposé par l’article 8 de la Convention européenne. Toutefois, cette reconnaissance ne préjuge en rien de l’issue de la mise en balance des intérêts en présence.
B. La prévalence des considérations d’ordre public et du maintien des attaches dans le pays d’origine
Malgré la reconnaissance des facteurs d’intégration, la cour conclut que la décision préfectorale n’est pas excessive. Pour ce faire, elle oppose aux éléments précédents plusieurs considérations qui emportent sa conviction. D’une part, elle souligne la précarité du séjour de l’intéressé, qui « s’est ensuite maintenu irrégulièrement sur le territoire à l’expiration de son titre de séjour, le 28 mai 2019 ». Cette circonstance, tenant au non-respect des règles de séjour, pèse lourdement dans l’appréciation du juge.
D’autre part, la cour relativise l’intensité des liens tissés en France, estimant que le requérant « n’établit pas avoir tissé sur le territoire national des liens intenses et stables en dehors de ceux qu’il entretient avec son frère ». La situation de célibataire, sans charge de famille, est également mise en exergue. Enfin, l’existence d’attaches dans le pays d’origine est un facteur déterminant ; la juridiction relève qu’il « n’est pas contesté qu’il conserve des attaches privées et familiales dans son pays d’origine, où réside le reste de sa fratrie et où il a vécu jusqu’à l’âge de 40 ans ». Cette appréciation, qui minimise la portée de plusieurs années de vie en France au profit d’une vie antérieure et de liens familiaux distants, témoigne d’une approche stricte qui laisse une marge d’appréciation importante à l’autorité préfectorale.
Au-delà de cette analyse factuelle au regard de la convention européenne, l’arrêt présente un intérêt juridique notable quant à la hiérarchie des normes applicables aux ressortissants marocains.
II. La clarification de l’articulation entre l’accord bilatéral et le droit interne pour l’admission exceptionnelle au séjour
L’arrêt se prononce sur la question technique de l’invocabilité de l’article L. 435-1 du CESEDA par un ressortissant marocain. Il affirme une exclusion de principe pour les demandes fondées sur le travail (A), tout en confirmant la persistance d’une voie de régularisation sur d’autres fondements (B).
A. Le principe de l’exclusion de l’article L. 435-1 du CESEDA pour une régularisation par le travail
La cour rappelle de manière didactique la primauté de l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987 en matière de séjour pour motifs professionnels. Elle énonce clairement que, dès lors que cet accord prévoit les conditions de délivrance de titres de séjour au titre d’une activité salariée, ses stipulations se substituent au droit commun sur ce point précis. En conséquence, « un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d’une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article L. 435-1 à l’appui d’une demande d’admission au séjour ».
Cette solution est une application orthodoxe du principe de spécialité et de la hiérarchie des normes, qui veut qu’un traité international prévale sur la loi interne dans son champ d’application. La portée de l’arrêt est ici de réaffirmer que la voie de la régularisation par le travail prévue par le CESEDA est fermée aux ressortissants marocains, qui doivent se conformer aux exigences de l’accord bilatéral. Le juge confirme ainsi que l’existence d’une promesse d’embauche ne peut être examinée sous l’angle de l’article L. 435-1 pour cette nationalité.
B. La persistance d’une double voie de régularisation : le pouvoir discrétionnaire du préfet et l’admission au titre de la vie privée et familiale
L’intérêt de la décision réside dans la nuance qu’elle apporte immédiatement à cette exclusion de principe. L’arrêt précise en effet deux points essentiels. Premièrement, il rappelle que l’existence de l’accord bilatéral n’interdit pas au préfet, « dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point », d’accorder une mesure de régularisation à un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions de l’accord. Le pouvoir d’appréciation de l’administration demeure donc entier pour des motifs d’opportunité.
Deuxièmement, et surtout, la cour établit une distinction fondamentale selon le fondement de la demande. Elle juge que « les dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont applicables aux ressortissants marocains en tant qu’elles prévoient l’admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale du demandeur ». Autrement dit, si la régularisation par le travail est écartée, celle fondée sur des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels liés à la vie privée reste ouverte. En l’espèce, c’est sur ce second terrain que la cour examine la situation du requérant, pour conclure que le préfet n’a pas commis « d’erreur manifeste d’appréciation » en refusant la régularisation. Cette décision, tout en étant défavorable au requérant, a le mérite de clarifier le périmètre respectif du droit commun et du droit conventionnel, confirmant que la spécificité du statut des ressortissants marocains n’obstrue pas entièrement les voies de régularisation prévues par la loi nationale.