Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 24 avril 2025, n°23BX01092

Dans une décision du 24 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a précisé les modalités d’appréciation de l’activité principale d’une entreprise pour l’application d’un dispositif d’abattement fiscal en outre-mer. Une société exerçant une double activité de vente d’équipements nautiques et de prestations de réparation de navires s’est vue notifier des rehaussements d’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2018 et 2019. L’administration fiscale remettait en cause le bénéfice de l’abattement prévu à l’article 44 quaterdecies du code général des impôts, au motif que l’activité principale de l’entreprise relevait du commerce, secteur explicitement exclu du dispositif.

Saisi par la société, le tribunal administratif de la Martinique, par un jugement du 23 décembre 2022, a prononcé la décharge des impositions supplémentaires. L’administration a alors interjeté appel de cette décision. Devant la cour, le ministre soutenait que la ventilation du chiffre d’affaires issue de la liasse fiscale de l’entreprise démontrait la prépondérance de l’activité de négoce, avec plus de 65 % des revenus pour chaque exercice. La société intimée répliquait que cette présentation comptable, choisie pour des raisons de suivi des stocks, ne reflétait pas la réalité économique de son activité, majoritairement tournée vers les prestations de services. Se posait ainsi la question de savoir selon quelles modalités probatoires il convient de déterminer l’activité principale d’une entreprise, lorsque la présentation comptable initiale paraît contredire la substance de l’exploitation.

À cette interrogation, la cour répond que la prépondérance d’une activité s’apprécie au regard de la part de chiffre d’affaires qu’elle génère, et que la preuve de cette répartition peut être apportée par des éléments extra-comptables précis et détaillés. En l’espèce, les juges ont estimé que la production par la société de l’intégralité des factures des exercices litigieux, corroborée par la structure de son personnel, suffisait à établir la prééminence de son activité de services, malgré les écritures initiales.

Cette solution conduit à examiner la méthode d’appréciation de l’activité principale retenue par le juge (I), avant d’analyser la portée de sa décision quant à la primauté de la réalité économique sur les apparences comptables (II).

***

I. La clarification des critères d’appréciation de l’activité principale

La cour, pour déterminer l’éligibilité de l’entreprise au dispositif fiscal, s’est attachée à une définition stricte de l’activité principale (A) tout en admettant une diversité des modes de preuve pour en établir la réalité (B).

A. La réaffirmation du critère prépondérant du chiffre d’affaires

Le juge d’appel fonde son raisonnement sur une lecture combinée des articles 44 quaterdecies et 199 undecies B du code général des impôts. Il en résulte que le bénéfice de l’abattement est conditionné à l’exercice d’une activité principale qui ne relève pas du secteur du commerce. La décision rappelle avec clarté la définition retenue par le droit fiscal pour qualifier une telle activité. Elle énonce qu’un caractère principal « revêt, au sens de ces dispositions, l’activité qui procure un chiffre d’affaires ou des recettes dont le montant excède le montant du chiffre d’affaires ou des recettes de chacune des autres activités de l’exploitation ».

Cette approche quantitative offre l’avantage de la simplicité et de l’objectivité. Elle écarte toute analyse subjective qui pourrait se fonder sur l’image de l’entreprise ou la nature historique de son activité. Le critère unique du chiffre d’affaires le plus élevé constitue ainsi une ligne directrice claire tant pour les contribuables que pour l’administration. La cour ne fait ici qu’appliquer une méthode d’analyse constante en la matière, mais sa réaffirmation dans ce contexte litigieux souligne son importance structurante. La controverse ne portait donc pas sur le critère lui-même, mais bien sur la manière de le mesurer.

B. L’admission d’un faisceau d’indices probants

Face à l’argumentation de l’administration, qui s’appuyait exclusivement sur les données issues de la liasse fiscale, la cour a admis que le contribuable puisse apporter la preuve contraire. La société a produit des éléments détaillés et exhaustifs pour justifier sa position. Elle a fourni des tableaux de ventilation distinguant les ventes pures de celles intégrées à une prestation globale, étayés par la communication de l’intégralité des factures correspondantes sur deux exercices.

Le juge a considéré ces pièces comme suffisamment probantes pour reconstituer la véritable structure du chiffre d’affaires. En outre, il a conforté son analyse en relevant un indice corroborant : la composition des effectifs de l’entreprise. Le fait que treize salariés soient des techniciens contre seulement quatre affectés à la vente a été perçu comme un élément matériel confirmant la prépondérance des prestations de services. L’arrêt illustre ainsi la méthode du faisceau d’indices, où des preuves de nature différente convergent pour établir la réalité d’une situation économique.

II. La consécration de la primauté de la substance économique

Au-delà de la méthode, la décision de la cour emporte des conséquences sur la hiérarchie des preuves en matière fiscale (A) et sur la charge qui pèse sur le contribuable souhaitant rectifier ses propres déclarations (B).

A. La force probante limitée des écritures comptables

L’arrêt met en lumière la distinction fondamentale entre la comptabilité comme outil de gestion et la fiscalité comme discipline de la preuve. La société expliquait son mode de comptabilisation des pièces détachées par un souci de meilleur suivi des stocks. La cour a implicitement admis que des impératifs de gestion interne ne sauraient faire échec à l’application correcte de la loi fiscale. Elle a ainsi fait prévaloir la substance des opérations sur leur simple enregistrement comptable.

Cette solution est d’autant plus remarquable que l’administration fiscale est généralement fondée à se prévaloir des déclarations du contribuable. Cependant, le juge rappelle que ces déclarations ne créent pas une présomption irréfragable. En relevant que les justificatifs fournis par la société n’étaient « pas contestés par le ministre », la cour souligne une carence de l’administration dans son pouvoir de contrôle. Face à une preuve détaillée, l’administration ne pouvait se contenter d’invoquer les déclarations initiales sans chercher à en démontrer la pertinence. La décision réaffirme donc le principe selon lequel la vérité matérielle doit l’emporter sur la présentation formelle.

B. La portée de la charge de la preuve pesant sur le contribuable

Si l’arrêt est favorable à la société, il n’en fixe pas moins un standard de preuve exigeant. Il ne suffisait pas d’alléguer que la comptabilité était trompeuse ; il a fallu le démontrer par une production documentaire exhaustive et une analyse chiffrée précise. La solution n’ouvre donc pas la voie à des contestations dénuées de fondement solide. Elle confirme que la charge de la preuve d’une situation plus favorable que celle qui ressort des déclarations pèse entièrement sur le contribuable.

La portée de cet arrêt doit être appréciée avec mesure. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée à la qualité des preuves apportées et à l’absence de contestation de celles-ci par l’administration. Néanmoins, elle constitue une illustration pédagogique de la manière dont un contribuable peut, par une argumentation rigoureuse et documentée, rétablir la réalité de son activité économique. Elle rappelle aux entreprises l’importance de pouvoir justifier, au-delà des schémas comptables, la nature substantielle de leurs opérations pour sécuriser leur situation fiscale.

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Hassan KOHEN
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