Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 24 avril 2025, n°23BX01324

Par un arrêt en date du 24 avril 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions dans lesquelles l’administration fiscale peut exploiter des documents informatiques saisis lors d’une perquisition pour fonder un redressement. En l’espèce, une société exploitant une activité de loisirs a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2013 à 2015. Dans le cadre de cette procédure, l’administration a mené une visite domiciliaire, sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, au cours de laquelle elle a saisi des fichiers informatiques révélant l’existence d’une comptabilité parallèle dissimulant une partie significative des recettes. Sur la base de ces éléments, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités pour manœuvres frauduleuses, ont été notifiés à la société.

La société a contesté ce redressement devant le tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté sa demande. Elle a alors interjeté appel, soulevant plusieurs moyens de procédure et de fond. La requérante soutenait notamment que l’administration n’avait pas respecté les garanties prévues par les articles L. 47 A et L. 16 B du livre des procédures fiscales, relatifs au contrôle des comptabilités informatisées et à l’exploitation des pièces saisies. Elle contestait en outre le rejet de sa comptabilité et la méthode de reconstitution de son chiffre d’affaires. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si la simple consultation et l’analyse par l’administration de fichiers informatiques saisis, sans mise en œuvre de procédés algorithmiques complexes, constituent un « traitement informatique » au sens de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, obligeant celle-ci à communiquer au contribuable la nature et le résultat de ces opérations.

La cour a répondu par la négative, considérant que la simple lecture de tableaux et la comparaison de leurs données avec les déclarations fiscales ne sauraient être qualifiées de traitement informatique déclenchant les garanties procédurales afférentes. Elle a, par conséquent, validé la procédure d’imposition et rejeté le recours de la société, confirmant ainsi la validité du redressement fondé sur les éléments de preuve de la comptabilité occulte. La décision de la cour vient ainsi clarifier la portée des garanties du contribuable en matière de contrôle fiscal informatisé (I), tout en réaffirmant la légitimité d’une reconstitution des recettes fondée sur les propres documents dissimulés du contribuable (II).

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I. Une interprétation stricte des garanties procédurales en matière de contrôle fiscal informatisé

La cour administrative d’appel opère une distinction nette entre les différents régimes de contrôle applicables aux données numériques, écartant les garanties liées aux traitements informatisés lorsque l’administration se livre à une simple exploitation intellectuelle des pièces saisies. Elle distingue ainsi le régime probatoire applicable aux investigations sur la comptabilité officielle (A) de celui qui encadre l’utilisation des éléments saisis lors d’une perquisition, en donnant une définition restrictive de la notion de « traitement informatique » (B).

A. La distinction des régimes de contrôle des données informatisées

Les juges du fond ont pris soin de différencier les garanties prévues par l’article L. 47 A du livre des procédures fiscales, qui encadrent l’intervention de l’administration sur la comptabilité informatisée présentée par le contribuable, de celles prévues par l’article L. 16 B, qui s’appliquent aux pièces saisies dans le cadre d’une procédure de visite domiciliaire. La société requérante invoquait une méconnaissance des deux dispositifs. Cependant, la cour relève que le redressement n’a pas été fondé sur une analyse de la comptabilité officielle mais sur les documents découverts lors de la perquisition.

Cette précision est essentielle, car elle rend inopérants les moyens tirés de la violation de l’article L. 47 A, lequel vise à permettre au contribuable de contrôler les opérations techniques menées par l’administration sur ses propres systèmes. Le litige est ainsi recentré sur le seul champ de l’article L. 16 B et sur la nature des opérations effectuées sur les fichiers saisis. En procédant de la sorte, la cour confirme que les éléments de preuve recueillis lors d’une perquisition fiscale bénéficient d’un régime propre, distinct de la vérification de comptabilité classique, même lorsque ces preuves sont de nature numérique.

B. La définition restrictive de la notion de « traitement informatique »

Le cœur de l’argumentation de la cour réside dans son interprétation de l’obligation de communication prévue au VI de l’article L. 16 B. Ce texte impose à l’administration de communiquer au contribuable « la nature et le résultat des traitements informatiques réalisés sur cette saisie qui concourent à des rehaussements ». La cour a estimé que cette obligation n’avait pas été méconnue en l’espèce. Pour parvenir à cette conclusion, elle a analysé concrètement les diligences du service vérificateur, qui « s’est bornée soit à analyser les fiches recettes journalières, soit à consulter les tableaux, contenus dans des fichiers informatiques, par simple lecture et à les comparer aux déclarations de résultats de la société (…), sans procéder à des traitements informatiques au sens du VI de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales ».

Il ressort de cette motivation qu’un « traitement informatique » suppose une action allant au-delà de la simple lecture ou d’une comparaison manuelle. Cette notion impliquerait la mise en œuvre de logiciels ou d’algorithmes spécifiques pour trier, classer ou analyser des données brutes de manière automatisée. En l’absence de tels procédés, la garantie de communication préalable n’est pas activée. Cette solution pragmatique évite que le contribuable ne puisse se prévaloir d’un formalisme excessif pour écarter des preuves directes et accablantes de sa propre fraude, contenues dans de simples tableurs.

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II. La validation de la reconstitution des recettes face à une comptabilité frauduleuse

Une fois les aspects procéduraux écartés, la cour confirme le bien-fondé du redressement en s’appuyant sur la force probante des éléments saisis. Elle justifie ainsi le rejet de la comptabilité officielle comme étant non probante (A) et valide la méthode de reconstitution des recettes utilisée par l’administration, qui se fonde directement sur la comptabilité occulte du contribuable (B).

A. Le rejet justifié d’une comptabilité non probante

Conformément à une jurisprudence constante, l’administration ne peut écarter une comptabilité et reconstituer le chiffre d’affaires d’une entreprise que si elle établit l’existence d’irrégularités graves et répétées qui la privent de toute valeur probante. En l’espèce, la cour confirme le caractère non probant de la comptabilité de la société, non seulement en raison des carences constatées lors de la vérification, telles que l’absence de caisse enregistreuse ou d’inventaire des stocks, mais surtout en se fondant sur la découverte de la double comptabilité.

La mise en évidence de cette comptabilité parallèle, tenue sur des fichiers Excel et révélant des dissimulations substantielles de recettes, suffit à elle seule à disqualifier les documents officiels. Le fardeau de la preuve est alors renversé : il n’appartient plus à l’administration de prouver l’insuffisance des déclarations, mais au contribuable de démontrer l’exactitude de sa comptabilité officielle ou le caractère erroné de la reconstitution. La décision s’inscrit ainsi dans une logique bien établie de sanction de la fraude comptable.

B. La légitimation de la méthode de reconstitution

En cas de rejet de la comptabilité, l’administration doit utiliser une méthode de reconstitution des recettes cohérente et non excessivement sommaire. Dans cette affaire, la cour valide entièrement la démarche du service vérificateur. Elle constate que pour reconstituer le chiffre d’affaires, l’administration « a pu se fonder à bon droit sur les fichiers Excel saisis dans le cadre des perquisitions précédemment évoquées, qui récapitulaient les chiffres d’affaires réalisés par la société ». L’utilisation des propres documents occultes de la société comme base de calcul confère à la reconstitution un caractère particulièrement fiable.

La société ne pouvait donc utilement soutenir que la méthode était viciée ou le montant reconstitué exagéré, puisque ce dernier provenait de ses propres fichiers de suivi. Cette approche pragmatique et rigoureuse justifie non seulement le montant des rappels de taxe, mais également l’application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses, que la cour maintient sans difficulté, la dissimulation intentionnelle étant amplement caractérisée par l’existence même de la comptabilité parallèle.

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