Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité du refus de renouvellement d’un certificat de résidence opposé à un ressortissant algérien. En l’espèce, un individu était entré en France en 2002 puis avait épousé une compatriote en 2005, ce qui lui permit d’obtenir, au titre du regroupement familial, un certificat de résidence valable dix ans à compter de 2010. Cependant, son épouse porta plainte à son encontre pour bigamie en 2018, en raison d’un précédent mariage toujours valide en Algérie, et leur union fut dissoute par un jugement en 2020. Ayant sollicité le renouvellement de son titre de séjour la même année, l’administration préfectorale lui opposa un refus par un arrêté du 11 janvier 2022. Le requérant saisit le tribunal administratif de Poitiers qui rejeta sa demande, le conduisant à interjeter appel de ce jugement. Il soutenait notamment que le refus était entaché d’une motivation insuffisante, d’erreurs de fait, et méconnaissait son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi que plusieurs stipulations de l’accord franco-algérien.
Il appartenait donc à la cour de déterminer si un ressortissant algérien, dont le droit au séjour initial reposait sur le regroupement familial, pouvait obtenir le renouvellement de son titre alors même que la communauté de vie avait cessé dans des circonstances fautives et que l’ensemble de sa situation personnelle ne plaidait plus en faveur de son maintien sur le territoire. La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la requête, considérant que l’intéressé n’établissait pas la continuité de sa résidence en France et que le refus de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. La solution retenue par la cour, qui écarte un à un les moyens du requérant, repose sur une analyse stricte des conditions de séjour (I), confirmant ainsi la marge d’appréciation laissée à l’autorité préfectorale dans des circonstances d’espèce défavorables (II).
I. Le rejet d’une conception formaliste du droit au séjour
La cour administrative d’appel procède à une analyse rigoureuse des conditions de fond justifiant le séjour, refusant de s’en tenir à la seule possession antérieure d’un titre. Elle remet ainsi en cause la continuité du séjour de l’intéressé malgré l’existence d’un titre de longue durée (A) et procède à une appréciation restrictive de ses liens privés et familiaux en l’absence de vie commune (B).
A. La remise en cause de la continuité du séjour malgré la possession d’un titre de longue durée
Le requérant invoquait une résidence de plus de dix ans en France pour obtenir un titre de plein droit. La cour écarte cet argument en opérant une distinction fondamentale entre la détention d’un titre de séjour et la réalité factuelle de la résidence. Elle considère que les documents produits par l’intéressé, bien que couvrant plusieurs années, « ne suffisent pas à établir la réalité de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans ». Le juge administratif ne se contente pas de la présomption créée par le titre de résident ; il exige la preuve d’une présence effective et continue sur le territoire.
Cette solution souligne que la charge de la preuve de la résidence habituelle incombe entièrement au demandeur. En l’espèce, la cour s’appuie sur des éléments du dossier, notamment la plainte de l’ex-épouse, pour relever que le requérant « se rendait régulièrement en Algérie dès 2012, où vivent sa première épouse, avec laquelle il est toujours marié, et ses deux filles ». Loin d’être un simple détail factuel, cet élément devient une pièce maîtresse du raisonnement, affaiblissant de manière décisive la prétention du requérant à une vie principalement centrée en France. Le juge se livre ainsi à une appréciation concrète, démontrant que la stabilité du séjour ne se décrète pas mais se constate.
B. L’appréciation restrictive des liens privés et familiaux en l’absence de vie commune
Au-delà de la question de la durée de résidence, la cour examine le moyen tiré de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 6-5 de l’accord franco-algérien. L’analyse se fonde sur un bilan global de la situation personnelle du requérant, qui s’avère largement défavorable. Le juge relève d’abord que l’intéressé est « désormais célibataire et sans charge de famille depuis la dissolution de son mariage prononcée le 17 janvier 2020 pour des faits de bigamie ». La cause même de la rupture de la vie commune, une faute imputable au requérant, pèse lourdement dans la balance.
Ensuite, les autres attaches invoquées sont jugées trop faibles pour constituer des liens privés et familiaux suffisants. La présence d’un fils majeur ne requiert pas celle de son père à ses côtés, et l’existence d’une famille en Algérie vient contrebalancer les attaches en France. De même, la relation de colocation avec une personne âgée est écartée, faute pour le requérant d’apporter des « élément établissant que leur relation serait caractérisée par des liens anciens, stables et intenses ». Dans ces conditions, et malgré une insertion professionnelle passée, le juge conclut que le refus de séjour ne constitue pas une atteinte disproportionnée. Cette approche factuelle et circonstanciée illustre le contrôle de proportionnalité exercé par le juge, qui refuse de reconnaître un droit au séjour lorsque les liens avec la France sont devenus ténus.
Après avoir ainsi écarté les fondements juridiques principaux de la demande, la cour se prononce sur le cadre plus général de l’intervention administrative et de son contrôle.
II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’administration sous le contrôle du juge
L’arrêt met en lumière le pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale, que le juge encadre sans s’y substituer. Il révèle ainsi l’office limité du juge face à un faisceau d’indices défavorable au requérant (A), tout en rappelant la portée d’une solution classique qui réaffirme la prééminence de l’accord franco-algérien (B).
A. L’office limité du juge face à un faisceau d’indices défavorable au requérant
Le contrôle juridictionnel en matière de police des étrangers s’exerce à plusieurs niveaux, notamment le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, la cour écarte ce moyen en se fondant sur les mêmes motifs que ceux utilisés pour l’analyse de l’atteinte à la vie privée et familiale. Cette identité de motivation montre que lorsque le bilan de la situation personnelle est nettement négatif, la décision du préfet est difficilement qualifiable d’évidemment disproportionnée. Le juge ne refait pas le bilan à la place de l’administration ; il vérifie seulement que celle-ci n’a pas commis d’erreur si grave qu’elle en deviendrait illégale.
Par ailleurs, l’arrêt illustre la rigueur du cadre procédural. Le requérant invoquait la méconnaissance de l’article 7 bis de l’accord franco-algérien, mais la cour juge qu’il « ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces stipulations » au motif qu’il n’avait pas formulé sa demande sur ce fondement et que le préfet n’était pas tenu de l’examiner d’office. Cette position rappelle que le dialogue entre l’administré et l’administration est encadré et que le juge ne peut, en principe, contraindre le préfet à examiner des fondements juridiques qui n’ont pas été soulevés. L’office du juge se limite ici à contrôler la réponse apportée à la demande telle qu’elle a été formulée.
B. La portée d’une solution classique réaffirmant la prééminence de l’accord franco-algérien
Cette décision, bien que rendue dans un cas d’espèce particulier, trouve sa portée dans la réaffirmation de principes bien établis en droit des étrangers. Premièrement, elle confirme avec force le caractère exclusif de l’accord franco-algérien. La cour rappelle que « les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France étant régies de manière exclusive par l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, M. B… ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Cet accord constitue un régime dérogatoire et complet qui écarte l’application du droit commun en la matière.
Deuxièmement, l’arrêt constitue une illustration classique de la manière dont le juge administratif évalue la situation d’un étranger dont le fondement initial du séjour a disparu. Le droit au séjour n’est jamais définitivement acquis et son renouvellement dépend d’une appréciation globale et actuelle de la situation de l’intéressé. La faute personnelle, telle que la bigamie, et l’affaiblissement des liens en France sont des facteurs déterminants que l’administration peut légalement prendre en compte pour refuser le maintien sur le territoire. La solution s’inscrit donc dans une jurisprudence constante qui accorde une large place à l’appréciation des faits par le préfet, sous le seul contrôle d’une erreur manifeste.