Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 25 mars 2025, n°23BX01153

Par un arrêt en date du 25 mars 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée à une agente de la fonction publique territoriale. En l’espèce, une attachée territoriale principale, détachée sur l’emploi de directrice générale des services d’une commune, s’est vu infliger un blâme par un arrêté du maire en date du 5 janvier 2021. L’autorité territoriale reprochait à l’intéressée trois griefs distincts : l’envoi d’un courrier électronique à un centre de gestion, le recours à un commissaire de justice pour obtenir un document administratif, et un comportement jugé inapproprié dans les locaux de la mairie.

Saisi par l’agente, le tribunal administratif de Poitiers a, par un jugement du 27 février 2023, rejeté sa demande d’annulation de la sanction. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la matérialité des faits ainsi que leur qualification fautive, et soulevant des irrégularités de procédure. Elle soutenait notamment que la sanction visait en réalité à réprimer une dénonciation et que les faits, tels que retenus, n’étaient pas établis. La commune, en défense, concluait au rejet de la requête, estimant la sanction parfaitement justifiée au regard du comportement de son agente.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si une sanction disciplinaire pouvait être légalement fondée sur un ensemble de griefs dont certains ne sont pas constitutifs d’une faute et dont le dernier n’est pas matériellement établi.

La cour administrative d’appel répond par la négative en annulant le jugement du tribunal administratif ainsi que l’arrêté municipal. Elle juge que deux des comportements reprochés, bien que pouvant être perçus comme inhabituels, ne revêtaient aucun caractère fautif. S’agissant du troisième grief, la juridiction d’appel constate que les pièces du dossier ne permettent pas d’établir la matérialité même des faits allégués. La sanction se trouvant ainsi privée de base légale, elle est annulée.

La solution, qui s’appuie sur une analyse rigoureuse des faits et de leur qualification juridique, illustre la méthode du contrôle juridictionnel en matière disciplinaire (I), tout en réaffirmant les garanties substantielles dont bénéficient les agents publics face au pouvoir de l’administration (II).

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I. L’exercice d’un contrôle rigoureux sur la qualification des faits

La cour administrative d’appel procède à une analyse détaillée de chaque grief pour conclure à l’absence de fondement légal de la sanction. Elle distingue ainsi nettement les comportements qui, bien qu’inhabituels, ne sauraient être qualifiés de fautifs (A), de ceux dont la réalité même n’est pas démontrée (B).

A. La distinction entre le comportement inhabituel et la faute disciplinaire

Le juge administratif rappelle, par une analyse circonstanciée, que tout comportement sortant de l’ordinaire ne constitue pas nécessairement une faute de nature à justifier une sanction. En l’espèce, l’autorité territoriale reprochait à l’agente d’avoir adressé un courrier électronique au centre de gestion et d’avoir mandaté un commissaire de justice pour obtenir un document par voie de sommation interpellative. La cour examine successivement ces deux éléments pour écarter toute qualification fautive.

Concernant l’envoi du courrier électronique, la juridiction d’appel confirme l’appréciation des premiers juges en jugeant que cet acte « ne peut pas être considéré comme présentant un caractère fautif ». De même, si le recours à un commissaire de justice est qualifié de démarche « inhabituelle et peu appropriée », la cour prend soin de préciser qu’il « ne présente pas davantage un caractère fautif ». Par cette double analyse, le juge administratif opère une distinction fondamentale entre ce qui relève d’une simple maladresse ou d’un choix de procédure atypique, et ce qui constitue un manquement caractérisé aux obligations professionnelles. Il refuse ainsi de sanctionner l’exercice d’une prérogative, même si sa mise en œuvre a pu paraître inopportune pour l’administration.

B. L’exigence de la preuve matérielle du grief

Au-delà de la qualification juridique des comportements, la cour administrative d’appel réaffirme une exigence fondamentale de toute procédure disciplinaire : la charge de la preuve des faits reprochés pèse sur l’administration. Le troisième grief, présenté comme le plus sérieux par la commune, concernait un prétendu scandale à l’accueil de la mairie. La juridiction d’appel le rejette non pas pour une question de qualification, mais en raison d’une absence totale de preuve matérielle.

La cour relève une série d’incohérences et de lacunes dans le dossier présenté par la commune. Elle souligne d’abord que les faits décrits dans la sanction, à savoir un « refus de quitter les lieux », diffèrent des griefs de « scandale public » initialement notifiés. Ensuite, elle constate que les faits se sont déroulés dans un bureau privé et non dans un lieu accessible au public, contredisant les allégations de « scandale à l’accueil » ou de « tapage ». Enfin et surtout, la cour écarte la seule attestation produite, notant qu’elle a été établie « plus de deux ans après les faits en cause » et qu’elle ne permet « d’établir avec précision la date à laquelle ces faits seraient survenus ». Faute d’éléments probants, la cour conclut que « la matérialité de ces faits n’est par suite pas établie par les pièces du dossier ».

Cette analyse rigoureuse démontre que le juge de l’excès de pouvoir ne se contente pas des affirmations de l’autorité administrative. Il exerce un contrôle concret et entier sur la réalité des faits qui fondent la sanction.

II. La portée de la décision : un rappel des garanties de l’agent public

En annulant la sanction, la cour administrative d’appel ne se contente pas de trancher un litige individuel ; elle réaffirme avec force les principes directeurs qui encadrent le pouvoir disciplinaire de l’administration (A), conférant à sa décision une portée didactique certaine (B).

A. La réaffirmation du contrôle entier du juge sur la sanction

L’arrêt s’inscrit dans le cadre classique du contrôle exercé par le juge administratif sur les sanctions disciplinaires. Depuis la jurisprudence de principe, le juge de l’excès de pouvoir vérifie si les faits reprochés à un agent public constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction est proportionnée à la gravité de ces fautes. En l’espèce, la cour n’a même pas à examiner la proportionnalité de la sanction, car elle constate en amont l’absence même de faute établie.

Le raisonnement suivi est implacable : « les griefs invoqués, qui n’étaient pas fautifs pour deux d’entre eux, et n’étaient pas matériellement établis s’agissant du troisième, n’étaient pas de nature à justifier une sanction disciplinaire ». Cette formule synthétise les deux piliers de la légalité d’une sanction : la qualification juridique de la faute et sa matérialité. La décision rappelle que l’administration ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire pour définir ce qui est fautif, ni d’une présomption de véracité de ses allégations. Elle doit prouver les faits et démontrer en quoi ils violent les obligations de l’agent. Le contrôle du juge est donc entier sur ces deux aspects, garantissant que la sanction ne soit pas le fruit de l’arbitraire ou d’une appréciation subjective.

B. Une décision d’espèce à la portée pédagogique

Si cet arrêt constitue une décision d’espèce, sa portée n’en est pas moins significative. En détaillant avec une telle précision les raisons pour lesquelles chaque grief est écarté, la cour adresse un message clair aux administrations, en particulier aux collectivités territoriales. Elle rappelle que le déclenchement de l’action disciplinaire doit reposer sur des bases factuelles solides et une qualification juridique rigoureuse. La légèreté avec laquelle les faits ont été qualifiés et l’insuffisance des preuves apportées par la commune sont ici sanctionnées sans ambiguïté.

L’annulation de la sanction « sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ni d’examiner les autres moyens de la requête », notamment ceux relatifs aux vices de procédure, démontre l’importance première du fond. Avant même de vérifier si la procédure a été respectée, le juge s’assure que la sanction repose sur une cause réelle et sérieuse. Cette décision a donc une valeur pédagogique : elle incite les autorités administratives à instruire les procédures disciplinaires avec la plus grande rigueur, sous peine de voir leurs décisions systématiquement censurées par le juge administratif. Elle constitue un rappel essentiel des garanties fondamentales qui protègent les agents publics contre les abus potentiels du pouvoir hiérarchique.

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