Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 25 mars 2025 offre un éclairage sur les conditions de mise en œuvre de la protection fonctionnelle. Cette décision rappelle l’importance des obligations qui incombent à l’agent public sollicitant le soutien de son administration face à des attaques. En l’espèce, un agent technique territorial, s’estimant victime d’une dénonciation calomnieuse de la part d’une collègue suite au classement sans suite d’une plainte pour harcèlement moral qui le visait, a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle.
La procédure a débuté par un refus implicite de la collectivité publique employeuse. L’agent a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux pour faire annuler cette décision. Par un jugement du 13 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande, considérant principalement que l’agent n’établissait pas le caractère calomnieux de la mise en cause et, de manière surabondante, que son comportement pouvait être constitutif d’une faute personnelle. L’agent a interjeté appel de ce jugement, contestant sa régularité en raison d’une prétendue substitution de motif opérée par les premiers juges, ainsi que le bien-fondé du refus de protection. Il soutenait ne pas avoir commis de faute personnelle, tandis que la métropole arguait que cet argument était inopérant et que sa décision était justifiée par l’absence d’éléments probants fournis par le demandeur. La question de droit qui se posait à la cour était donc de déterminer si un agent public peut obtenir la protection fonctionnelle sur la base d’une simple allégation de préjudice, sans fournir à l’administration les éléments factuels permettant d’apprécier la réalité des attaques dont il se prétend victime.
La cour administrative d’appel répond par la négative, rejetant la requête de l’agent. Elle juge que le demandeur n’a pas satisfait à son obligation de fournir à l’administration les pièces nécessaires à l’instruction de sa demande, rendant ainsi son argumentation sur l’absence de faute personnelle sans pertinence. La portée de cette décision réside dans la confirmation rigoureuse des conditions procédurales de la demande de protection fonctionnelle (I), tout en opérant une distinction claire entre le bien-fondé de la demande et l’exception tirée de la faute personnelle (II).
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I. La réaffirmation des exigences probatoires à la charge de l’agent
La décision de la cour administrative d’appel souligne avec fermeté que le droit à la protection fonctionnelle, bien que fondamental pour les agents publics, est subordonné à une démarche probatoire minimale de leur part. Cette exigence se manifeste à travers l’obligation de constituer un dossier suffisamment étayé (A) et la sanction de l’insuffisance d’une allégation de préjudice formulée en termes généraux (B).
A. L’obligation de substantiation de la demande de protection
Le régime de la protection fonctionnelle, issu de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, crée une obligation pour la collectivité publique de protéger ses agents contre les attaques subies dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions. Toutefois, la cour rappelle que la mise en œuvre de cette obligation n’est pas automatique. Elle est conditionnée par la capacité de l’agent à démontrer la matérialité des faits qu’il invoque. L’arrêt énonce clairement le principe directeur en la matière : « Il incombe au fonctionnaire qui demande la protection fonctionnelle de fournir à l’autorité administrative les éléments lui permettant de statuer sur sa demande ».
Cette solution consacre une approche pragmatique et équilibrée. L’administration n’a pas à se transformer en organe d’enquête à la seule évocation d’un litige. Elle doit pouvoir s’appuyer sur des éléments concrets pour apprécier si les conditions légales de la protection sont réunies, notamment l’existence d’une attaque et son lien avec les fonctions. En l’espèce, l’agent s’était contenté d’invoquer un préjudice subi, sans documenter davantage sa demande, ce que la cour a jugé insuffisant pour déclencher l’obligation de protection.
B. La portée limitée d’une allégation de préjudice non circonstanciée
La cour ne se contente pas de poser un principe général ; elle en tire les conséquences directes au regard des faits de l’espèce. Elle relève que l’agent « n’a pas fait état, dans sa demande, du dépôt de sa plainte pour dénonciation calomnieuse et n’a pas davantage apporté d’éléments permettant à l’administration d’apprécier les attaques dont il aurait été victime ». Cette lacune dans la formulation de la demande initiale est fatale à la prétention de l’agent.
Le juge administratif contrôle ainsi que l’agent a bien mis son administration en mesure d’exercer son pouvoir d’appréciation. Une simple affirmation d’un tort, même si elle peut être sincère, ne constitue pas une attaque au sens de la loi. L’agent doit produire des pièces, des témoignages ou tout autre élément objectif qui matérialisent la nature, la teneur et la gravité des agissements qu’il dénonce. Cette exigence préserve les deniers publics d’engagements pris sur des bases factuelles incertaines et garantit que la protection fonctionnelle demeure un instrument de défense face à des situations avérées.
II. La distinction opérée entre faute personnelle et recevabilité de la demande
Au-delà de la question probatoire, l’arrêt apporte une clarification utile sur l’articulation des différents motifs pouvant justifier un refus de protection. La cour distingue nettement l’argumentation relative à la faute personnelle, jugée inopérante en l’espèce (A), de l’examen préalable du bien-fondé de la demande, qui lui est logiquement antérieur (B).
A. Le caractère inopérant du moyen tiré de l’absence de faute personnelle
L’un des arguments principaux du requérant reposait sur l’absence de faute personnelle de sa part, condition qui, si elle est remplie, prive en principe l’agent du droit à la protection. La cour écarte ce moyen avec une grande rigueur procédurale en le qualifiant d’inopérant. Elle motive sa position en des termes dénués d’ambiguïté : « si M. A… fait valoir qu’aucune faute personnelle ne peut lui être reprochée, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision de refus d’octroi de la protection fonctionnelle qui n’est pas fondée sur ce motif ».
Ce raisonnement illustre parfaitement la technique du contrôle juridictionnel, qui s’attache à vérifier la légalité des motifs sur lesquels l’administration a effectivement fondé sa décision. L’employeur public ayant justifié son refus par le défaut de preuve des attaques, et non par une éventuelle faute de l’agent, le débat sur l’existence de cette faute devenait sans objet. Le juge ne peut substituer son propre raisonnement à celui de l’administration, ni statuer sur des motifs hypothétiques qui n’ont pas été invoqués dans la décision contestée.
B. La primauté de l’examen du bien-fondé de la demande sur la faute
Cette décision a pour portée de clarifier l’ordre logique d’analyse d’une demande de protection fonctionnelle. Avant même de s’interroger sur l’existence d’une faute personnelle susceptible de faire obstacle au droit à protection, l’administration doit d’abord vérifier que les conditions positives sont remplies, c’est-à-dire l’existence d’une attaque en lien avec le service. La faute personnelle n’intervient que comme une exception, un motif de déchéance d’un droit qui aurait été, sans cela, constitué.
En l’espèce, le dossier n’a jamais atteint le stade de l’analyse d’une éventuelle faute de l’agent. La demande a été écartée en amont, faute d’avoir été suffisamment étayée. Cet arrêt, bien qu’il s’agisse vraisemblablement d’une décision d’espèce au regard de la faiblesse du dossier présenté par le requérant, constitue un rappel pédagogique de la charge de la preuve. Il confirme que la protection fonctionnelle est un droit encadré, dont l’octroi est subordonné au respect de conditions de forme et de fond que l’agent ne saurait ignorer.