En vertu d’un arrêt rendu le 25 mars 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour à un jeune majeur précédemment confié à l’aide sociale à l’enfance, et plus particulièrement sur l’appréciation de la force probante des actes d’état civil étrangers présentés à l’appui d’une telle demande.
Un ressortissant malien, entré en France et pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance alors qu’il se déclarait mineur, a sollicité la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » dans l’année de sa majorité. Se fondant sur un rapport de la police aux frontières qui concluait à la falsification des actes d’état civil produits, la préfète de la Gironde a, par un arrêté du 28 novembre 2022, rejeté sa demande, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté son recours par un jugement du 22 février 2024. L’intéressé a interjeté appel de ce jugement, soutenant la régularité de ses documents et arguant d’une erreur d’appréciation de l’administration au regard de sa situation. La question de droit qui se posait à la cour était donc de déterminer la valeur probante des actes d’état civil étrangers et l’office du juge administratif face à des éléments nouveaux produits en appel, de nature à corroborer l’authenticité initialement contestée de ces documents.
La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance, annulant l’arrêté préfectoral. Elle a jugé que les nouveaux documents fournis, notamment une attestation d’authenticité émanant des autorités maliennes et non contestée par l’administration, suffisaient à établir que le requérant était bien mineur au moment de sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. Appréciant ensuite les autres conditions légales, tenant au sérieux de son parcours de formation et à son insertion, la cour a conclu que la préfète avait commis une erreur d’appréciation en lui refusant le titre de séjour sollicité.
Cette décision permet de rappeler les principes régissant la preuve de l’état civil étranger et l’étendue du contrôle du juge (I), avant de mettre en lumière la sanction d’une appréciation administrative jugée erronée au regard de la situation globale de l’intéressé (II).
I. L’office du juge administratif dans l’appréciation de la force probante des actes d’état civil étrangers
La cour administrative d’appel, pour annuler la décision préfectorale, a d’abord rappelé le cadre juridique applicable à la vérification des actes d’état civil étrangers, réaffirmant le principe d’une présomption de validité (A), avant de procéder à une appréciation souveraine des nouvelles pièces versées au débat en appel (B).
A. Le rappel du principe de la présomption de validité et de la charge de la preuve
Le raisonnement de la juridiction d’appel s’ancre dans les dispositions de l’article 47 du code civil, qui instaure une présomption de foi pour tout acte d’état civil étranger rédigé dans les formes usitées du pays d’origine. L’arrêt énonce clairement qu’il « incombe à l’administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ». La charge de la preuve pèse donc sans ambiguïté sur l’autorité administrative qui entend écarter un tel acte.
Néanmoins, la cour nuance cette obligation en précisant que l’administration n’est pas tenue de solliciter systématiquement les autorités étrangères, notamment lorsque la fraude apparaît manifeste. Cette clarification reconnaît une marge de manœuvre à l’administration face à des indices patents de falsification. En l’espèce, l’autorité préfectorale s’était appuyée sur un rapport de police pour justifier ses doutes. La cour rappelle cependant que, in fine, c’est au juge qu’il appartient de forger sa propre conviction au vu de tous les éléments du dossier, l’analyse administrative n’étant qu’un des éléments soumis à son appréciation.
B. L’appréciation souveraine des éléments de preuve nouveaux produits en appel
Le pivot de la décision réside dans l’accueil fait à une pièce nouvelle produite pour la première fois devant la cour d’appel. Le requérant a versé au dossier un « certificat d’authenticité établi le 17 janvier 2024 » par le maire délégué d’un centre d’état civil malien, attestant de la transcription de sa naissance dans les registres. Face à ce document, dont l’authenticité n’a pas été contestée par le préfet en défense, la cour a estimé qu’il corroborait de manière décisive les premières pièces fournies par l’intéressé.
Cet élément nouveau a conduit la cour à conclure que la preuve de la minorité du requérant lors de sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance était rapportée. La décision illustre ainsi le pouvoir du juge administratif d’examiner l’ensemble des faits et pièces, y compris ceux postérieurs à la décision attaquée, pour statuer sur la légalité de cette dernière à la date où elle a été prise. En donnant un poids déterminant à cette attestation, la cour exerce pleinement son office et établit les faits sur lesquels elle fondera ensuite son appréciation du respect des conditions de fond.
II. La sanction de l’erreur d’appréciation de l’administration au regard des conditions de fond
Une fois la condition d’âge établie, la cour a examiné le respect des autres critères posés par la loi pour la délivrance du titre de séjour (A), ce qui l’a conduite à censurer l’arrêté préfectoral et à en tirer toutes les conséquences juridiques (B).
A. La vérification du respect des critères d’insertion et d’isolement familial
L’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile subordonne la délivrance du titre de séjour au caractère réel et sérieux du suivi d’une formation, à l’avis de la structure d’accueil et à la nature des liens avec la famille dans le pays d’origine. Sur ce terrain, l’arrêt procède à une analyse concrète et individualisée de la situation du requérant. Il relève les éléments positifs du dossier, notamment le suivi d’une formation en restauration, l’obtention d’un certificat d’aptitude professionnelle avec de bons résultats, et une attestation de la structure d’accueil témoignant de son « investissement personnel […] pour s’intégrer ».
De surcroît, la cour prend en considération la situation d’isolement du requérant, notant qu’il est « dépourvu de toute attache familiale dans son pays d’origine » du fait du décès de ses parents. En retenant l’ensemble de ces éléments factuels, le juge administratif effectue un contrôle complet de l’appréciation portée par le préfet, ne se limitant pas à la seule question de l’authenticité des documents d’état civil.
B. La censure de l’arrêté préfectoral et ses conséquences inéluctables
La combinaison de la preuve de l’âge et des constats relatifs à la bonne insertion sociale et professionnelle et à l’absence de liens familiaux au pays a logiquement conduit la cour à conclure que le préfet avait « commis une erreur d’appréciation dans l’application des dispositions de l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». L’illégalité du refus de séjour est ainsi prononcée.
De cette annulation découle, par voie de conséquence, celle de l’obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi. Plus encore, la cour use de son pouvoir d’injonction. Considérant que la situation de droit et de fait justifie la délivrance du titre, elle ordonne au préfet de délivrer au requérant une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » dans un délai de deux mois. Cette injonction marque la portée concrète de l’arrêt, qui ne se contente pas d’une annulation rétroactive mais impose à l’administration une action positive, assurant ainsi la pleine effectivité de la décision de justice.