Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 26 juin 2025, n°24BX02443

La Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée, le 26 juin 2025, sur la légalité d’un refus de renouvellement de titre de séjour opposé à une ressortissante étrangère malade. La requérante, de nationalité ivoirienne, souffre d’une infection par le virus de l’immunodéficience humaine nécessitant une prise en charge médicale spécifique et continue depuis son arrivée sur le territoire. L’autorité administrative avait refusé sa demande de séjour le 28 mars 2023, s’appuyant sur un avis défavorable rendu par le collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Le tribunal administratif de Poitiers ayant rejeté sa demande d’annulation le 19 septembre 2024, l’intéressée a saisi la juridiction d’appel pour contester cette appréciation de son état de santé. La question posée au juge consistait à déterminer si l’indisponibilité de molécules précises et l’inefficacité prouvée des traitements locaux suffisent à renverser l’avis médical officiel. La Cour censure le premier jugement en estimant que les pièces produites démontrent l’absence de traitement approprié effectif dans le pays d’origine pour la pathologie concernée. Le raisonnement suivi par le juge administratif s’articule autour du renversement de la présomption de l’avis médical avant de consacrer l’exigence d’une prise en charge effective.

I. Le renversement de la présomption issue de l’avis médical

L’examen de la légalité de la décision administrative repose sur l’analyse des éléments médicaux produits par les parties au cours de l’instruction contradictoire menée devant la Cour.

A. La force probante limitée de l’expertise technique

L’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile conditionne la délivrance du titre de séjour à l’absence de traitement approprié. Le collège de médecins de l’office spécialisé avait estimé, dans un avis du 25 octobre 2022, que l’intéressée pouvait bénéficier de soins suffisants en Côte d’Ivoire. Cette expertise bénéficie normalement d’une présomption de régularité que l’administration utilise pour justifier ses décisions de refus de séjour ou d’éloignement du territoire national. La juridiction précise toutefois que cette appréciation technique peut être contestée par la production d’éléments de fait suffisamment précis et circonstanciés par la partie requérante. Le juge administratif exerce ainsi un contrôle entier sur les faits pour vérifier si l’état de santé justifie réellement la protection sollicitée par l’étranger résidant habituellement.

B. La preuve de l’indisponibilité des molécules essentielles

La requérante a produit des documents émanant d’un laboratoire pharmaceutique étranger attestant que les composants de son traitement actuel ne sont pas accessibles dans son pays. La Cour relève que « le Biktarvy, composé de Bictégravir, d’Emtricitabine et de Ténofir alafénamide, n’est pas disponible en Côte d’Ivoire » selon les informations fournies lors de l’instance. L’administration n’a pas contesté ces éléments matériels, ce qui a permis au juge de considérer la présomption initiale comme valablement renversée par les pièces du dossier. L’inefficacité des alternatives thérapeutiques locales, mentionnée par un certificat médical hospitalier, renforce la conviction de la juridiction quant au risque sérieux encouru par la patiente en exil. Ce constat factuel impose alors une analyse plus globale de la sécurité sanitaire de l’étranger dont le renvoi vers son pays d’origine est envisagé.

II. L’exigence de garantie d’une prise en charge effective

La reconnaissance de l’insuffisance des structures de soins locales conduit la juridiction à privilégier la continuité du protocole thérapeutique indispensable à la survie de la personne.

A. Une appréciation concrète de l’offre de soins étrangère

L’arrêt souligne que la simple existence théorique d’une classe de médicaments ne suffit pas à caractériser l’accès effectif à un traitement approprié pour une pathologie grave. La Cour administrative d’appel de Bordeaux rejette l’argumentation générale de l’administration qui se fondait sur des bases de données européennes mentionnant la disponibilité de trithérapies classiques. Elle privilégie une approche concrète en notant que « le traitement antirétroviral administré en Côte d’Ivoire était inefficace du fait d’un virus multirésistant » chez la personne concernée par la mesure. Cette décision valorise les certificats médicaux récents décrivant précisément l’évolution pathologique et les risques de réplication virale massive en cas de modification forcée du protocole thérapeutique. Le juge administratif refuse ainsi de valider une substitution de médicaments qui conduirait inévitablement à une immunodépression profonde ou au décès prématuré de la patiente.

B. La protection juridictionnelle contre les conséquences d’une exceptionnelle gravité

La solution retenue confirme la portée protectrice des dispositions législatives en faveur des étrangers malades dont la vie est directement menacée par une absence de soins. En annulant l’arrêté préfectoral, la Cour rappelle que l’autorité administrative doit s’assurer de la continuité réelle de la prise en charge médicale avant d’ordonner un départ. L’injonction de délivrer un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale découle directement de la reconnaissance de l’impossibilité de soins dans le pays d’origine. Cette jurisprudence renforce l’obligation de vigilance pesant sur les préfectures lors de l’examen des situations individuelles impliquant des pathologies lourdes comme le virus de l’immunodéficience humaine. La décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel protecteur qui impose au juge de vérifier la réalité de l’accès aux soins par-delà les simples affichages statistiques globaux.

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Hassan KOHEN
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