Par une décision en date du 26 septembre 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré régulièrement en France puis débouté de sa demande d’asile, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Le préfet a rejeté sa demande par un arrêté du 1er octobre 2024, lui a enjoint de quitter le territoire et a fixé le pays de destination. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande par un jugement du 14 février 2025. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soulevant tant l’irrégularité de la procédure de première instance que l’illégalité au fond de la décision préfectorale. Il soutenait notamment que le jugement avait été rendu sans qu’il ait été régulièrement convoqué à l’audience. Sur le fond, il invoquait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi qu’une méconnaissance des dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour au regard de ses efforts d’intégration professionnelle. La question de droit qui se posait à la cour était double. D’une part, l’absence de convocation du mandataire d’une partie à l’audience de première instance entache-t-elle la procédure d’une irrégularité justifiant l’annulation du jugement ? D’autre part, et en cas de réponse positive, les éléments d’intégration personnelle et professionnelle de l’intéressé constituaient-ils des motifs exceptionnels ou des considérations humanitaires justifiant l’octroi d’un titre de séjour ? La cour administrative d’appel annule le jugement pour vice de procédure, puis, usant de son pouvoir d’évocation, rejette la demande au fond. Elle juge que l’absence de convocation à l’audience constitue bien une irrégularité qui vicie le jugement. Statuant ensuite sur le fond du litige, elle estime que ni l’ancienneté de séjour, ni les liens familiaux, ni les perspectives professionnelles de l’intéressé ne suffisent à caractériser une situation justifiant une admission exceptionnelle au séjour ou une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
La décision commentée illustre un dualisme classique du contentieux administratif, où la censure d’un vice de procédure procédural n’exclut pas la validation de la décision administrative sur le fond. Ainsi, la cour sanctionne fermement une irrégularité procédurale affectant les droits de la défense (I), avant de procéder à une application rigoureuse des critères de l’admission exceptionnelle au séjour (II).
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I. La sanction d’une irrégularité procédurale substantielle
La cour administrative d’appel fonde l’annulation du jugement sur un manquement aux règles de procédure, réaffirmant ainsi l’exigence du respect du principe du contradictoire (A), ce qui la conduit logiquement à évoquer l’affaire pour la juger au fond (B).
A. La violation du principe du contradictoire
La décision rappelle avec force l’importance de la convocation des parties à l’audience, conformément aux dispositions du code de justice administrative. Le juge d’appel constate qu’il « ne ressort ni des pièces du dossier de première instance, ni des mentions portées dans l’application Télérecours, que la mandataire de M. A… a été convoquée à l’audience ». Cette absence de notification est considérée comme une atteinte aux garanties procédurales fondamentales.
En effet, le principe du contradictoire, qui innerve toute la procédure juridictionnelle, suppose que chaque partie soit mise en mesure de connaître les arguments de son adversaire et de présenter ses propres observations oralement lors de l’audience. Le défaut de convocation prive matériellement le requérant de cette faculté essentielle. La solution retenue n’est pas nouvelle mais confirme une jurisprudence constante qui veille scrupuleusement au respect des droits de la défense. Le juge en conclut sans équivoque que le jugement « a été rendu à l’issue d’une procédure irrégulière », ce qui justifie son annulation sans qu’il soit même nécessaire d’examiner les autres moyens de régularité soulevés.
B. L’annulation du jugement et le recours à l’évocation
La conséquence directe de la constatation de l’irrégularité est l’annulation de la décision du premier juge. Face à un jugement vicié, la cour administrative d’appel aurait pu simplement renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif pour qu’il statue à nouveau. Toutefois, dans un souci de bonne administration de la justice et de célérité, elle choisit de mettre en œuvre son pouvoir d’évocation.
L’article L. 821-2 du code de justice administrative lui offre cette possibilité lorsqu’elle est en mesure de régler l’affaire au fond. En déclarant qu’il « y a lieu par conséquent d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande », la cour se substitue au premier juge. Elle va donc examiner l’ensemble des moyens de légalité soulevés à l’encontre de l’arrêté préfectoral, se plaçant dans la même situation que le tribunal administratif au moment où il aurait dû statuer. Cette technique procédurale permet d’éviter un allongement des délais de jugement, ce qui est particulièrement pertinent dans le contentieux des étrangers.
II. La confirmation matérielle du refus de séjour
Après avoir réglé la question procédurale, la cour examine les moyens de fond et valide la décision du préfet. Elle adopte une appréciation stricte des conditions d’intégration (A) et réitère la portée limitée de l’insertion par le travail comme motif d’admission exceptionnelle au séjour (B).
A. Une appréciation restrictive de l’intégration personnelle et familiale
La cour procède à un contrôle de proportionnalité de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle relève la durée de présence limitée à deux ans, le fait que le requérant soit célibataire et sans charge de famille en France, et que ses liens avec des parents présents sur le territoire ne sont pas établis comme étant particulièrement « fréquents et intenses ».
Face à ces éléments, le juge considère que la présence d’enfants dans le pays d’origine, où le requérant a vécu jusqu’à un âge avancé, fait obstacle à ce que le refus de séjour soit considéré comme une ingérence disproportionnée. Cette analyse factuelle, qui relève d’une appréciation souveraine des juges du fond, s’inscrit dans une approche classique où seuls des liens d’une particulière densité et une intégration ancienne et significative sont susceptibles de faire obstacle à une mesure d’éloignement. La décision illustre la difficulté pour un étranger en situation récente de faire valoir une intégration suffisante.
B. La portée limitée de l’insertion professionnelle comme motif exceptionnel
Le requérant invoquait également l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permet une admission exceptionnelle au séjour pour des motifs humanitaires ou exceptionnels, notamment liés au travail. La cour rappelle sa doctrine en la matière : une promesse d’embauche, même dans un secteur en tension, ne constitue pas en soi un motif exceptionnel.
Le juge vérifie si, au-delà de la seule promesse d’emploi, d’autres éléments tels que « la qualification, l’expérience et les diplômes de l’étranger ainsi que les caractéristiques de l’emploi » ou l’ancienneté de son séjour pourraient justifier une régularisation. En l’espèce, la cour estime que les emplois proposés ne requièrent pas de compétences spécifiques et que la présence en France est trop récente. Ce faisant, elle confirme le large pouvoir d’appréciation laissé à l’administration en la matière et interprète la notion de « motifs exceptionnels » de manière restrictive. Cette solution, si elle est juridiquement fondée, témoigne d’une application rigoureuse des critères légaux qui ne laisse qu’une place étroite à la régularisation par le travail pour les séjours de courte durée.