Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 26 septembre 2025, n°25BX00873

Par un arrêt en date du 26 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la requête de deux ressortissants étrangers contestant le refus de leur accorder un titre de séjour. En l’espèce, un couple et leur enfant étaient entrés en France en 2017, où deux autres enfants sont nés ultérieurement. Après le rejet de leur demande d’asile, ils ont fait l’objet d’une première mesure d’éloignement en 2018. Ayant rejoint une communauté d’Emmaüs en 2019, ils y ont exercé une activité ininterrompue pendant plus de trois ans avant de solliciter, en 2022, leur admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de leur participation à cet organisme de travail solidaire. L’autorité préfectorale a rejeté leurs demandes par des arrêtés du 15 mars 2024, au motif principal qu’ils ne possédaient plus le statut de compagnon à la date de sa décision et ne justifiaient pas de perspectives d’intégration professionnelle suffisantes. Ces refus étaient assortis d’obligations de quitter le territoire français. Les requérants ont alors saisi le tribunal administratif de Poitiers, qui a rejeté leurs demandes par un jugement du 20 mars 2025. Ils ont ensuite interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, en invoquant notamment le caractère réel et sérieux de leur activité passée et leur intégration sociale, ainsi qu’une atteinte à leur vie privée et familiale. La question posée à la cour était double : d’une part, elle devait déterminer si l’autorité préfectorale pouvait légalement refuser un titre de séjour à des étrangers ayant accompli trois années d’activité au sein d’un organisme d’accueil, mais ne justifiant plus de cette activité ni de perspectives professionnelles à la date de la décision. D’autre part, il lui appartenait de vérifier si un tel refus, compte tenu de la situation familiale des intéressés, portait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale et méconnaissait l’intérêt supérieur de leurs enfants. La cour administrative d’appel a répondu par la négative à ces deux interrogations, considérant que l’appréciation préfectorale n’était entachée d’aucune erreur manifeste et que l’ingérence dans la vie familiale des requérants était justifiée au regard des conditions de leur séjour.

La décision commentée illustre la marge d’appréciation dont dispose l’administration dans l’octroi des titres de séjour à titre exceptionnel, que ce soit au regard de la situation professionnelle ou des attaches personnelles de l’étranger. Il convient ainsi d’examiner la confirmation d’une appréciation rigoureuse des conditions d’intégration professionnelle (I), avant d’analyser la mise en balance défavorable aux requérants de leur droit au respect de la vie privée et familiale (II).

I. Une conception stricte des conditions d’admission au séjour par le travail

La cour administrative d’appel valide l’analyse préfectorale en retenant une interprétation exigeante des conditions posées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle confirme ainsi une lecture restrictive de la condition d’activité (A) tout en réaffirmant le caractère limité de son propre contrôle sur l’appréciation des perspectives d’intégration (B).

A. L’appréciation de la condition d’activité à la date de la décision

La cour entérine la position de l’autorité préfectorale qui s’est fondée sur la situation des intéressés au jour de sa décision pour écarter l’application du dispositif d’admission exceptionnelle au séjour. Pour refuser le titre de séjour, l’administration avait relevé que, bien que les requérants aient exercé une activité de compagnon d’Emmaüs de 2019 à 2022, ils n’avaient plus ce statut depuis décembre 2022. La cour reprend ce raisonnement en soulignant qu’« à la date des décisions attaquées, M. et Mme B… ne disposaient ni de contrat de travail ni d’une promesse d’embauche ». Cette approche temporelle est déterminante, car elle rend inopérante la période d’activité de plus de trois ans pourtant achevée. Le juge administratif considère que la condition de justification de trois années d’activité ininterrompue n’est pas la seule à devoir être remplie. L’examen de la demande se cristallise au moment où l’administration statue, ce qui impose une continuité de la situation professionnelle ou, à tout le moins, des garanties sérieuses pour l’avenir. La production d’attestations de la communauté d’Emmaüs témoignant du sérieux des intéressés durant leur période d’activité est ainsi jugée insuffisante pour contrebalancer l’absence de situation professionnelle stable au moment de la décision.

B. La confirmation du large pouvoir d’appréciation préfectoral

En examinant les moyens des requérants, la cour administrative d’appel se limite à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Elle indique qu’il revient au préfet, « dans le cadre du large pouvoir dont elle dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l’intéressé ». Ce faisant, le juge rappelle que son office n’est pas de se substituer à l’administration pour déterminer si le séjour doit être autorisé, mais seulement de sanctionner les erreurs les plus flagrantes. En l’espèce, la cour estime que la préfète « n’a commis ni une erreur de droit ni une erreur manifeste d’appréciation » en refusant le titre. Ce contrôle restreint laisse une latitude considérable à l’autorité administrative pour apprécier les « perspectives d’intégration ». L’absence de contrat de travail ou de promesse d’embauche devient un critère dirimant, et ce, même si les requérants avaient exercé une activité salariée durant l’année 2023 et avaient été repris comme travailleurs solidaires après la décision attaquée. La solution retenue confirme que le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière d’admission exceptionnelle au séjour demeure très étendu, le juge se refusant à une analyse approfondie de l’ensemble des éléments d’intégration présentés.

Cette approche rigoureuse se retrouve également dans l’examen des moyens tirés des atteintes aux droits fondamentaux, où les conditions du séjour l’emportent sur la réalité des liens familiaux.

II. La primauté des conditions du séjour sur les droits fondamentaux invoqués

La cour administrative d’appel effectue une mise en balance des intérêts en présence qui s’avère défavorable aux requérants. Elle écarte l’argumentation fondée sur le droit au respect de la vie privée et familiale (A) en adoptant une lecture restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).

A. Une atteinte à la vie privée et familiale jugée proportionnée

Face à l’invocation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour procède à une analyse circonstanciée de la situation des requérants. Elle reconnaît la présence en France du couple avec ses trois enfants, dont deux nés sur le territoire, ainsi que la scolarisation des aînés. Toutefois, elle oppose à ces éléments plusieurs circonstances qu’elle juge déterminantes. La cour relève d’abord que les parents « se sont maintenus irrégulièrement sur le territoire français, malgré le prononcé le 24 octobre 2018 à l’encontre de chacun d’entre eux d’une mesure d’éloignement qu’ils n’ont pas exécutée ». Elle ajoute ensuite que le père a fait l’objet d’une condamnation pénale pour tentative de vol. Enfin, elle souligne que les intéressés n’établissent pas être dépourvus de liens familiaux dans leur pays d’origine, où ils pourraient « reconstituer la cellule familiale ». La combinaison de l’irrégularité du séjour et de l’existence d’un trouble, même mineur, à l’ordre public suffit à faire pencher la balance en faveur des motifs du refus. L’ingérence dans la vie privée et familiale est ainsi considérée comme proportionnée, la durée du séjour et l’intensité des liens familiaux en France ne suffisant pas à faire obstacle à la mesure d’éloignement.

B. Une application circonscrite de l’intérêt supérieur de l’enfant

Les requérants invoquaient également les stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant. La cour écarte ce moyen en considérant que l’intérêt supérieur des enfants a été suffisamment pris en compte. Son raisonnement se fonde sur deux arguments principaux. D’une part, elle énonce que les décisions attaquées « n’ont ni pour objet ni pour effet de mettre fin à l’unité familiale des requérants, ou de séparer les enfants de leurs parents ». D’autre part, elle affirme que, « compte tenu de leur jeune âge, rien ne fait obstacle à ce que les enfants […] poursuivent leur scolarité en Géorgie ». Cette approche pragmatique réduit la portée du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant à la seule préservation de l’unité familiale et à la capacité d’adaptation des enfants dans le pays d’origine de leurs parents. Le juge n’analyse pas l’impact de la décision sur le bien-être des enfants, leur environnement social et scolaire en France, ni les conséquences d’un déracinement. En estimant que l’intérêt des enfants n’est pas méconnu dès lors qu’ils ne sont pas séparés de leurs parents, la cour adopte une interprétation minimaliste de cette garantie conventionnelle.

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