Par un arrêt du 27 juin 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur le contrôle exercé par le juge administratif sur les sanctions disciplinaires dans la fonction publique hospitalière. En l’espèce, une aide-soignante titulaire au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes a fait l’objet d’une révocation. Cette sanction lui fut infligée au motif de plusieurs fautes, notamment un acte de violence physique sur une résidente, des comportements et propos inadaptés, ainsi qu’une insubordination à l’égard de sa hiérarchie. Saisi par l’agente, le tribunal administratif de Limoges a annulé cette décision par un jugement du 19 septembre 2023, la jugeant disproportionnée. L’établissement employeur a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant le bien-fondé de la sanction prononcée. Il appartenait donc à la cour de déterminer si une sanction de révocation, la plus lourde de l’échelle disciplinaire, pouvait être justifiée par un ensemble de fautes, alors même que la matérialité du grief le plus grave était contestée. La cour administrative d’appel rejette la requête de l’établissement, confirmant l’annulation de la révocation. Elle estime que l’absence de preuve suffisante concernant les faits de violence physique, grief principal fondant la décision, rend la sanction manifestement disproportionnée au regard des autres fautes reprochées, bien qu’établies. Cet arrêt illustre avec clarté la méthode du contrôle juridictionnel en matière disciplinaire, qui s’attache d’abord à la réalité des faits (I), pour ensuite exercer un contrôle rigoureux de la proportionnalité de la sanction (II).
I. Une appréciation rigoureuse de la matérialité des faits
La cour administrative d’appel rappelle que le contrôle du juge de l’excès de pouvoir porte en premier lieu sur la réalité des faits reprochés à l’agent public. Cette démarche conduit le juge à écarter les griefs insuffisamment établis par l’administration (A) avant de prendre en considération les fautes dont l’existence est avérée (B).
A. L’exclusion des faits non établis
L’arrêt confirme la position des premiers juges qui avaient écarté le principal grief reproché à l’agente, à savoir un acte de violence sur une patiente. La cour valide la méthode d’analyse du tribunal administratif, qui ne s’est pas limité à constater le classement sans suite de la plainte pénale. Elle relève que le juge a souverainement apprécié un faisceau d’indices, notamment « que Mme B… en contestait la matérialité et que ceux-ci avaient été révélés par un agent tardivement, près d’un an après qu’ils aient été commis ».
Cette approche souligne que la charge de la preuve incombe à l’autorité détentrice du pouvoir disciplinaire. L’administration doit fournir des éléments précis et concordants pour établir la réalité des faits sur lesquels elle fonde sa décision. En l’absence de tels éléments, et face aux contestations de l’agente, le doute profite à cette dernière. La cour critique ainsi implicitement l’insuffisance des diligences de l’employeur, qui n’a pas su corroborer le témoignage unique et tardif, alors que d’autres vérifications semblaient possibles. Le contrôle de la matérialité des faits constitue donc une garantie fondamentale pour l’agent, empêchant qu’une sanction soit prononcée sur la base d’allégations incertaines.
B. La reconnaissance des fautes avérées
L’annulation de la sanction ne repose pas sur une exonération totale de l’agente, la cour prenant soin de reconnaître la réalité des autres manquements. Le juge administratif ne rejette pas en bloc l’ensemble des reproches formulés par l’employeur. Il ressort en effet des pièces du dossier, et notamment de témoignages concordants, que l’aide-soignante « s’est comportée à plusieurs reprises de manière inadaptée avec les résidents au cours de l’année 2020 ».
Ces fautes incluent des propos qualifiés de « violents et humiliants » et un comportement inapproprié envers sa hiérarchie. L’arrêt note que ces difficultés relationnelles avaient d’ailleurs déjà été signalées dans des évaluations antérieures. La cour reconnaît donc que ces agissements constituent bien « des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire ». Cette distinction entre les faits établis et ceux qui ne le sont pas est essentielle, car elle forme la base sur laquelle le juge va ensuite exercer son contrôle de proportionnalité. La décision n’est pas une réhabilitation complète, mais un recadrage de la situation disciplinaire à la lumière des seuls faits prouvés.
Cette double démarche d’épuration et de qualification des faits constitue le socle indispensable à l’exercice du plein contrôle de la proportionnalité de la sanction, qui se trouve au cœur de la solution retenue.
II. Une application stricte du principe de proportionnalité
Une fois les faits établis avec certitude, la cour procède à une mise en balance entre la gravité de ces fautes et la sévérité de la sanction. Cette analyse conduit à considérer l’impact décisif du grief écarté dans l’appréciation de la sanction (A), tout en prenant en compte le parcours global de l’agent (B).
A. L’effet déterminant de l’éviction du grief principal
La cour administrative d’appel estime que, les faits de violence physique n’étant pas établis, la sanction de révocation devient disproportionnée. Cette conclusion démontre que toutes les fautes ne se valent pas dans l’appréciation du juge. L’acte de violence constituait manifestement, pour l’administration, le pilier de sa décision d’infliger la sanction la plus sévère. Une fois ce pilier retiré, l’édifice disciplinaire s’effondre.
Les autres fautes, bien que réelles, ne présentent pas le même degré de gravité et ne sauraient, à elles seules, justifier une exclusion définitive du service. L’arrêt met en lumière une appréciation qualitative, et non simplement quantitative, des manquements. Le juge ne se contente pas de compter les fautes restantes ; il évalue leur nature et pèse leur importance respective. La disparition du grief le plus infamant modifie radicalement la perception de l’ensemble du dossier et rend la révocation excessive, même face à des comportements professionnels par ailleurs répréhensibles.
B. La prise en compte de la carrière de l’agent
Pour asseoir sa conclusion, la cour ne se fonde pas uniquement sur la nature des fautes restantes, mais aussi sur des éléments de contexte propres à la situation de l’agente. Elle relève ainsi que « l’intéressée a donné satisfaction durant les neuf premières années de service au sein de cet établissement ». Cet élément de la manière de servir de l’agent constitue un facteur modérateur essentiel.
En le combinant avec le fait que « les faits de violences physiques qui lui sont reprochés n’étaient pas établis », la cour confirme à bon droit l’analyse des premiers juges. La sanction disciplinaire doit en effet être individualisée et tenir compte de l’ensemble de la carrière de l’agent. Une révocation, qui met un terme définitif à un parcours professionnel, apparaît d’autant plus disproportionnée lorsqu’elle frappe un agent dont les services ont été longtemps appréciés, et ce pour des fautes dont la plus grave n’est pas prouvée. L’arrêt réaffirme ainsi que la sanction ultime du quatrième groupe doit être réservée à des manquements d’une gravité exceptionnelle, incontestablement établis, et rendant impossible le maintien du lien avec le service public.