Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 27 juin 2025, n°23BX03174

Par un arrêt en date du 27 juin 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à statuer sur les conditions de versement d’une indemnité de sujétion géographique à un agent de la fonction publique d’État.

En l’espèce, une attachée principale d’administration avait été affectée à Mayotte pour une durée de quatre ans à compter du 1er juin 2018. À ce titre, elle était éligible au bénéfice d’une indemnité de sujétion géographique versée en plusieurs fractions annuelles. Après avoir perçu la première fraction, l’agent a sollicité et obtenu un détachement en métropole à compter du 1er juillet 2020, interrompant ainsi son affectation après vingt-cinq mois de service. L’administration préfectorale a alors refusé de lui verser la deuxième fraction de l’indemnité. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Mayotte, par un jugement du 25 octobre 2023, a annulé cette décision et a enjoint à l’État de verser l’intégralité de la deuxième fraction. Le ministre de l’intérieur a interjeté appel de ce jugement.

Le ministre soutenait, d’une part, que le jugement était irrégulier au motif que l’État n’avait pas été valablement représenté en première instance, la décision litigieuse relevant de sa compétence et non de celle du préfet. D’autre part, il arguait que le tribunal avait méconnu les dispositions réglementaires en accordant l’intégralité de la deuxième fraction de l’indemnité, alors que celle-ci aurait dû être calculée au prorata de la durée de service réellement accomplie. L’agent concluait au rejet de la requête, maintenant que la deuxième fraction lui était entièrement due.

Il appartenait donc à la cour de déterminer, à titre préliminaire, si la représentation de l’État par le préfet en première instance était régulière s’agissant d’un litige indemnitaire relatif à un agent dont la gestion relevait d’une autorité ministérielle. Au fond, il lui incombait de trancher la question des modalités de calcul de l’indemnité de sujétion géographique lorsqu’un agent interrompt, sur sa propre demande, son service avant la durée minimale de quatre années requise.

La cour administrative d’appel juge que la représentation de l’État par le préfet n’était pas régulière, ce qui vicie le jugement de première instance. Statuant par la voie de l’évocation, elle considère que si l’agent avait bien droit au versement de la deuxième fraction de l’indemnité, l’administration était fondée à opérer une retenue calculée au prorata de la durée de service non effectuée. La cour procède alors par compensation et ne reconnaît à l’agent qu’un droit à un reliquat indemnitaire.

La solution retenue par la cour conduit ainsi à préciser les règles de la représentation contentieuse de l’État (I), avant de déterminer le régime de l’indemnité de sujétion géographique en cas de service écourté (II).

I. La clarification des règles de représentation contentieuse de l’État

La cour administrative d’appel, avant d’examiner le fond du litige, a dû statuer sur la régularité du jugement de première instance. Pour ce faire, elle a procédé à une détermination rigoureuse de l’autorité compétente pour représenter l’État (A), ce qui l’a conduite à prononcer l’annulation du jugement et à statuer par évocation (B).

A. La détermination de l’autorité ministérielle compétente pour représenter l’État

Le juge d’appel rappelle d’abord que, si le préfet représente en principe l’État en défense lorsque le litige naît de l’activité des administrations civiles dans le département, cette règle connaît des exceptions. La cour s’attache à définir la nature de la décision attaquée afin d’identifier l’autorité administrative dont elle émane réellement. Elle constate qu’en matière de gestion de certains corps de fonctionnaires, dont celui auquel appartenait l’agent en l’espèce, les pouvoirs de gestion et de nomination sont rattachés au ministre et non à l’autorité déconcentrée.

En l’absence de texte spécifique déléguant au préfet le pouvoir de décision en matière d’indemnité de sujétion géographique pour ce corps, la décision de refus, bien qu’émanant matériellement des services préfectoraux, « doit être regardée comme ayant été prise par le ministre de l’intérieur et des outre-mer ». Cette analyse fonctionnelle de la compétence, fondée sur les textes régissant la gestion des carrières, prime sur la localisation géographique de l’agent et du service instructeur. La cour en déduit logiquement que la défense de l’État devant le tribunal administratif ne pouvait être assurée par le préfet, mais incombait au ministre compétent.

B. L’annulation du jugement et le recours à la voie de l’évocation

La conséquence directe de cette qualification est l’irrégularité de la procédure de première instance. Le tribunal administratif ayant communiqué la requête uniquement au préfet, l’autorité ministérielle compétente n’a pas été mise à même de présenter ses observations en défense. La cour constate que le jugement « a été irrégulièrement rendu faute pour l’État d’avoir été représenté à l’instance par l’autorité compétente ». Le respect du principe du contradictoire, qui impose que chaque partie puisse faire valoir ses arguments, est ainsi jugé comme ayant été méconnu.

Face à cette irrégularité, la cour prononce l’annulation du jugement attaqué. Conformément à une bonne administration de la justice, elle choisit de ne pas renvoyer l’affaire devant les premiers juges et décide de statuer immédiatement sur le fond du litige par la voie de l’évocation. Cette technique procédurale lui permet de régler définitivement le litige, évitant ainsi un allongement des délais de jugement préjudiciable aux deux parties. La cour se saisit donc de l’entier dossier pour examiner la légalité des décisions administratives contestées.

II. La définition du régime de l’indemnité en cas de service incomplet

Statuant au fond, la cour se livre à une interprétation des textes régissant l’indemnité de sujétion géographique. Elle affirme le caractère conditionnel et révisable du droit à l’indemnité (A), ce qui la conduit à préciser les modalités de calcul du reliquat dû à l’agent par l’opération d’une compensation (B).

A. L’affirmation du principe d’un droit à l’indemnité conditionné et révisable

La cour d’appel examine les dispositions du décret du 15 avril 2013, qui subordonne le bénéfice de l’indemnité de sujétion géographique à l’accomplissement d’une durée minimale de quatre années de services consécutifs. Elle en tire une conséquence essentielle en cas de départ anticipé de l’agent. Le juge énonce que « dès lors que le droit à l’indemnité de sujétion géographique est conditionné par l’accomplissement d’une durée minimale de quatre années consécutives de services, la cessation volontaire des fonctions avant l’expiration de cette période a pour effet de provoquer une révision des droits au bénéfice de cette indemnité ».

Par cette formule, la cour rejette l’idée selon laquelle les fractions annuelles de l’indemnité seraient définitivement acquises à l’agent au fur et à mesure de l’écoulement du temps. Au contraire, le droit n’est consolidé qu’au terme des quatre années. Un départ avant ce terme, sauf pour des motifs liés aux besoins du service ou à l’état de santé, remet en cause le montant global de l’indemnité perçue ou à percevoir. Cette interprétation est conforme à la finalité du dispositif, qui vise à stabiliser les agents publics dans des territoires connaissant des difficultés de recrutement, et non à simplement rémunérer le service année après année.

B. Les modalités de calcul du reliquat par l’opération de compensation

Appliquant ce principe au cas d’espèce, la cour procède à une liquidation précise des droits respectifs de l’agent et de l’administration. Elle constate que l’agent, ayant achevé sa deuxième année de service, était bien créancier de la deuxième fraction de l’indemnité. Cependant, en parallèle, son départ après seulement vingt-cinq mois sur les quarante-huit requis la rendait débitrice envers l’État d’une partie des sommes déjà versées ou dues.

La cour valide le mécanisme de retenue prévu par l’article 7 du décret, calculé au prorata de la durée des services non effectués. Elle chiffre cette retenue à « 23/48ème du montant total des deux fractions ». Le juge opère alors une compensation entre la créance de l’agent (la deuxième fraction de l’indemnité) et sa dette (la retenue pour service incomplet). Il en résulte que « l’administration était en droit de pratiquer entre, d’une part, la fraction due et, d’autre part, la retenue à opérer, que [l’agent] était bénéficiaire d’un reliquat de 715,63 euros ». La cour annule donc le refus de l’administration seulement en tant qu’il portait sur ce solde et enjoint à l’État de procéder à son versement.

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Hassan KOHEN
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