Un agent technique employé par une commune a saisi la juridiction administrative après avoir constaté l’interruption du versement d’une indemnité prévue par une délibération de la collectivité. Sa demande, visant à l’annulation de la décision implicite de rejet de son employeur et au rétablissement de son droit, a été initialement écartée par une ordonnance du tribunal administratif pour irrecevabilité manifeste. Le juge de première instance a estimé que le requérant ne justifiait pas avoir lié le contentieux par une réclamation préalable. Saisie en appel, la cour administrative d’appel devait se prononcer, d’une part, sur la régularité de cette ordonnance de rejet prise sans invitation formelle à régulariser, et d’autre part, sur le bien-fondé de la suppression de l’indemnité litigieuse. Dans sa décision du 27 mai 2025, la cour annule l’ordonnance pour vice de procédure, estimant que l’irrecevabilité soulevée était régularisable et aurait dû faire l’objet d’une demande de régularisation en bonne et due forme. Statuant ensuite par la voie de l’évocation, elle juge que la suppression de l’indemnité par la commune n’était pas justifiée et constituait une erreur manifeste d’appréciation, annulant par conséquent la décision de l’employeur et lui enjoignant de reprendre le versement de l’indemnité. Cette décision rappelle avec force les garanties procédurales offertes au requérant (I) avant de procéder à un contrôle substantiel de la décision administrative (II).
I. Le rappel des garanties procédurales encadrant le rejet par ordonnance
La cour administrative d’appel a d’abord censuré la méthode employée par le premier juge, réaffirmant l’interprétation stricte qui doit prévaloir en matière d’irrecevabilité manifeste (A) et sanctionnant en conséquence le défaut d’invitation à régulariser une requête (B).
A. Une interprétation stricte de l’irrecevabilité manifeste
Le code de justice administrative offre aux présidents de juridiction la faculté d’écarter par ordonnance les requêtes qui sont manifestement irrecevables, accélérant ainsi le traitement des dossiers. Toutefois, cette prérogative est strictement encadrée pour préserver le droit d’accès au juge. La cour rappelle la portée de ces dispositions en citant sa propre jurisprudence, précisant que les requêtes pouvant être ainsi rejetées sont « celles dont l’irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte en cours d’instance ». Il s’agit des irrecevabilités non régularisables, telles que la tardiveté du recours, par opposition à celles qui peuvent être corrigées, comme l’absence de liaison du contentieux.
En l’espèce, le premier juge a considéré la requête comme manifestement irrecevable au motif que l’agent ne prouvait pas l’existence d’une décision administrative préalable, formalité substantielle exigée avant toute saisine. Or, la production de la réclamation préalable ou de son accusé de réception est une formalité qui peut être accomplie à tout moment de l’instance. Le simple fait de communiquer le mémoire en défense de la partie adverse soulevant cette irrecevabilité ne saurait suffire à considérer que le requérant a été mis en demeure de régulariser sa situation. La cour souligne ainsi que le caractère « manifeste » de l’irrecevabilité ne peut être retenu lorsque celle-ci est susceptible d’être couverte.
B. La sanction du défaut d’invitation à régulariser
Le respect du principe du contradictoire impose au juge, lorsqu’il soulève d’office une irrecevabilité susceptible d’être couverte, d’inviter formellement le requérant à la régulariser. L’article R. 612-1 du code de justice administrative détaille les modalités de cette invitation, qui doit mentionner le délai imparti et les conséquences d’un défaut de régularisation. La cour constate qu’en l’espèce, le premier juge a failli à cette obligation. Elle relève en effet que « la juridiction s’est toutefois bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel la partie adverse a opposé à la demande une fin de non-recevoir, sans inviter le demandeur selon les modalités prévues par le dernier alinéa de l’article R. 612-1 du CJA ».
Cette omission vicie la procédure suivie en première instance et prive l’ordonnance de base légale. La sanction est donc l’annulation de la décision du premier juge pour irrégularité. Cette censure rigoureuse réaffirme l’importance des garanties formelles qui protègent le justiciable contre un rejet prématuré de sa requête. L’annulation de l’ordonnance a permis à la cour d’évoquer l’affaire, c’est-à-dire de statuer directement sur le fond du litige sans le renvoyer au tribunal administratif.
II. Le contrôle approfondi du bien-fondé de la suppression de l’indemnité
Après avoir réglé la question de procédure, la cour a examiné le fond du droit, confirmant d’abord la persistance du fondement réglementaire de l’indemnité (A), pour ensuite caractériser une erreur manifeste d’appréciation dans la décision de la commune (B).
A. La persistance du fondement réglementaire de l’indemnité
La commune soutenait que l’indemnité n’avait plus lieu d’être versée car le décret d’État de 1997 qui l’avait initialement inspirée avait été abrogé en 2017. La cour écarte cet argument en s’appuyant sur le principe d’équivalence et d’autonomie des collectivités territoriales en matière de régime indemnitaire, consacré par l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984. Elle juge que « l’abrogation du décret du 26 décembre 1997 (…) n’a pas eu pour effet d’abroger la délibération précitée qui s’est seulement inspirée (…) du décret du 26 décembre 1997 sans qu’il n’en constitue sa base légale ».
La délibération du conseil municipal de 2010, qui a institué l’indemnité pour les agents de la commune, constitue donc un acte réglementaire autonome. Tant qu’elle n’est pas rapportée ou modifiée dans le respect du parallélisme des formes, cette délibération demeure en vigueur et continue de produire ses effets de droit. La suppression du texte de référence au niveau national est sans incidence sur la légalité de l’acte local qui s’en est inspiré. La base juridique du versement de l’indemnité à l’agent restait donc parfaitement valide.
B. La caractérisation d’une erreur manifeste d’appréciation
La commune devait dès lors justifier la suppression individuelle de la prime par des motifs liés à la situation de l’agent. Elle avançait plusieurs justifications : un changement de poste, des évaluations professionnelles faisant état de points d’amélioration et un long arrêt de travail. La cour examine chacun de ces arguments et les réfute un par un. Elle constate que les entretiens professionnels qualifiaient l’agent de « bon agent sérieux » et de « collaborateur sérieux motivé ». De plus, l’arrêt de travail était consécutif à un accident reconnu imputable au service, circonstance qui, selon la délibération elle-même, ne devait pas affecter le versement de la prime.
Enfin, concernant le changement de poste, la cour relève que l’employeur « n’explique pas en quoi l’exercice (…) de la fonction d’agent polyvalent (…) justifie à elle seule l’interruption du versement de l’indemnité ». Faute de motifs pertinents et suffisants, la décision de cesser le versement est jugée illégale. La cour conclut que « le maire de la commune (…) a commis une erreur manifeste d’appréciation en cessant de verser à M. A… B… ». Par cette analyse factuelle précise, la cour exerce un contrôle entier sur l’appréciation des faits par l’administration, sanctionnant une décision qui apparaît comme arbitraire et dépourvue de justification matérielle sérieuse.