Une agente administrative, affectée au sein d’une commune, a été placée en arrêt de travail à la suite d’une altercation sur son lieu de travail, développant une pathologie dont l’imputabilité au service a fait l’objet d’un long contentieux. Après une première annulation par la cour administrative d’appel de Bordeaux d’un jugement qui avait qualifié l’événement d’accident de service, l’agente a sollicité la reconnaissance d’une maladie professionnelle. Face au refus de la commune, fondé sur la tardiveté de sa demande, le tribunal administratif de Limoges, par un jugement du 28 décembre 2022, a annulé cette décision. Le tribunal a enjoint à la commune de reconnaître l’imputabilité au service de la maladie et de « reconstituer sa carrière, ainsi que ses droits à rémunération ». Cette injonction a été confirmée en appel. Estimant que l’exécution de cette décision n’était que partielle, la requérante a saisi la cour administrative d’appel de Bordeaux d’une demande d’exécution. Elle soutenait que la reconstitution de ses droits à rémunération devait inclure le versement des primes et indemnités non perçues durant son congé. La commune s’y opposait, arguant que seuls le traitement indiciaire et certains suppléments étaient légalement garantis, le maintien du régime indemnitaire relevant de la compétence de l’organe délibérant, lequel n’avait rien prévu en ce sens pour les congés pour maladie professionnelle. La question se posait donc de savoir si l’injonction de reconstituer les droits à rémunération d’un agent dont la maladie est reconnue imputable au service impose à la collectivité de verser, au-delà du traitement, les primes et indemnités afférentes à l’exercice des fonctions, lorsque ses propres délibérations ne prévoient pas leur maintien. Par l’arrêt rendu le 27 mai 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la demande de l’agente, jugeant que la commune n’était pas tenue de verser les indemnités litigieuses en l’absence de délibération le prévoyant expressément.
La décision commentée articule sa solution autour de la distinction fondamentale entre la rémunération statutaire de base et le régime indemnitaire, dont la gestion est largement déléguée aux collectivités. En conséquence, si le droit au traitement intégral de l’agent est une conséquence directe de la reconnaissance de l’imputabilité au service (I), le versement des primes demeure une faculté subordonnée aux normes édictées par la collectivité elle-même (II).
I. La nécessaire reconstitution du traitement en cas de maladie imputable au service
L’arrêt confirme que l’exécution du jugement impliquait nécessairement la régularisation du traitement de l’agente (A), mais il rappelle que cette obligation ne s’étend pas de plein droit aux composantes indemnitaires de la rémunération (B).
A. Le maintien du traitement, une obligation légale incontestée
Le jugement dont l’exécution est demandée impliquait, sans ambiguïté, de replacer l’agente dans la situation financière qui aurait été la sienne si son congé avait été d’emblée reconnu comme imputable au service. La cour relève que la commune a bien procédé à une régularisation en versant un rappel de traitement. Cette exécution partielle n’est pas contestée dans son principe, car elle découle directement des dispositions statutaires de la fonction publique territoriale. En effet, l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa version applicable, dispose que le fonctionnaire en congé pour maladie professionnelle « conserve l’intégralité de son traitement ».
Cette disposition établit une protection pour l’agent dont l’état de santé est dégradé en lien avec ses fonctions. Le traitement, qui inclut le traitement brut indiciaire, le supplément familial de traitement et l’indemnité de résidence, constitue le socle de la rémunération. Son maintien intégral vise à ne pas ajouter une précarité financière à la souffrance physique ou psychologique de l’agent. La cour constate donc que la commune, en versant la somme correspondant à cette part de la rémunération, a satisfait à la principale obligation découlant du jugement du tribunal administratif.
B. La dissociation du sort des primes et indemnités
La requérante soutenait que l’injonction de reconstituer ses « droits à rémunération » devait s’entendre de manière globale, incluant les primes qu’elle aurait perçues si elle était restée en service. C’est sur ce point que la cour opère une distinction juridique fondamentale. Elle juge que l’obligation de verser les indemnités ne peut être déduite de la seule reconnaissance de l’imputabilité au service. Le raisonnement s’appuie sur le principe de parité et l’autonomie des collectivités territoriales en matière de régime indemnitaire.
En application de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, les organes délibérants fixent les régimes indemnitaires « dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’Etat ». Cette disposition leur confère une compétence propre pour définir la nature, les conditions d’attribution et le taux des indemnités. La cour souligne ainsi que la collectivité « n’est pas tenue de faire bénéficier ses fonctionnaires de régimes indemnitaires identiques à ceux des fonctionnaires de l’Etat ». Le versement des primes durant un congé n’est donc pas automatique et doit reposer sur une base juridique claire, à savoir une délibération de la collectivité.
En se fondant sur une analyse méticuleuse du droit local, le juge d’appel constate l’absence d’une telle prévision. Il relève qu’aussi bien les délibérations relatives à l’indemnité d’exercice des missions que celles instaurant le RIFSEEP au sein de la commune « ne prévoient pas le maintien du régime indemnitaire aux agents placés en congé de maladie imputable au service ». Cette absence de source normative locale est déterminante. Elle conduit la cour à conclure que la commune n’avait aucune obligation de verser les indemnités réclamées, le jugement du tribunal ne pouvant, implicitement, créer une telle obligation là où le droit positif n’en prévoyait aucune.
II. La portée de l’autonomie locale dans la gestion des régimes indemnitaires
En refusant d’étendre l’injonction au paiement des primes, la cour administrative d’appel consacre la pleine portée du pouvoir réglementaire local en matière indemnitaire (A), tout en précisant les limites de l’office du juge de l’exécution (B).
A. La primauté de la délibération locale pour le maintien des primes
La solution retenue par l’arrêt est une illustration du principe de libre administration des collectivités territoriales. En matière indemnitaire, ce principe se traduit par une capacité d’adaptation des politiques de rémunération aux contraintes et aux choix de gestion propres à chaque collectivité. Le juge rappelle que si le traitement est une contrepartie statutaire, de nombreuses primes sont liées à l’exercice effectif des fonctions, aux sujétions particulières d’un poste ou à l’engagement professionnel de l’agent.
La commune avait, par ses délibérations, lié le maintien de certaines primes à des situations précises, comme l’accident de service ou de trajet, sans y inclure la maladie professionnelle. Cette différenciation, qui relève de son pouvoir d’appréciation, ne peut être remise en cause par le juge de l’exécution, dès lors qu’elle ne contrevient à aucune règle supérieure. La cour réaffirme ainsi que le silence d’une délibération sur le maintien d’une prime en cas d’absence équivaut à une absence de droit pour l’agent. La solution peut paraître rigoureuse pour la requérante, mais elle garantit la sécurité juridique et le respect des compétences de l’organe délibérant.
B. Les limites de l’office du juge de l’exécution
Saisi sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, le juge de l’exécution a pour mission de s’assurer que la chose jugée reçoit une application effective. Il peut à ce titre préciser les mesures qu’implique la décision, mais il ne peut aller au-delà de ce que le jugement a tranché. En l’espèce, le jugement de 2022 ordonnait de reconstituer les droits à rémunération de l’agent, sans détailler la consistance de ces droits.
La cour administrative d’appel, en interprétant la portée de cette injonction, refuse de se substituer à l’administrateur ou au législateur local. Définir l’étendue des droits à rémunération au-delà du traitement légalement garanti aurait consisté à créer une nouvelle règle de droit applicable à la commune. Or, le rôle du juge de l’exécution est de faire appliquer le droit existant, non de le modifier. En concluant que la commune a « entièrement exécuté le jugement », la cour adopte une lecture stricte de la chose jugée. La décision souligne que la protection financière des agents en congé pour maladie professionnelle, s’agissant des primes, dépend non pas de l’interprétation extensive d’une décision de justice, mais bien de la prévoyance des organes délibérants locaux.