En l’espèce, une société spécialisée dans la transformation de produits carnés s’est vu refuser par l’organisme payeur compétent le versement d’une partie des aides sollicitées au titre d’un programme de soutien à l’agriculture pour deux périodes distinctes de l’année 2020. Le refus était motivé par le fait que l’une des organisations de producteurs qui l’approvisionnait ne disposait pas de l’agrément administratif requis pour la campagne concernée. La société a saisi le tribunal administratif de la Guyane afin d’obtenir l’annulation de ces décisions de refus partiel. Par un jugement du 27 octobre 2022, le tribunal a rejeté sa demande. La société a alors interjeté appel de ce jugement, contestant sa régularité et le bien-fondé des décisions administratives. Elle soutenait notamment que l’agrément de son fournisseur devait être considéré comme valide et que, en tout état de cause, l’organisme payeur ne pouvait se contenter de constater l’absence d’agrément sans procéder à un examen plus approfondi de sa situation.
Il était donc demandé à la cour administrative d’appel si l’organisme chargé du versement d’une aide agricole est légalement tenu de rejeter la demande d’un opérateur économique au motif que l’un de ses fournisseurs ne dispose plus de l’agrément administratif nécessaire, ou s’il conserve un pouvoir d’appréciation l’obligeant à examiner les circonstances particulières de la demande.
Par un arrêt en date du 27 mars 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’organisme payeur se trouvait en situation de compétence liée. En effet, les dispositions applicables subordonnant le bénéfice de l’aide à la condition que les produits proviennent de structures agréées, l’absence d’agrément du fournisseur obligeait l’organisme payeur à refuser le paiement des aides correspondantes, sans qu’il ait à porter une quelconque appréciation sur ce point. La cour confirme ainsi une application rigoureuse de la notion de compétence liée, dont la reconnaissance conditionne l’ensemble de la solution (I), ce qui la conduit à écarter logiquement l’ensemble des autres moyens soulevés par la société requérante comme étant sans pertinence (II).
I. La consécration d’une compétence liée de l’organisme payeur
La cour administrative d’appel justifie le rejet de la requête en se fondant sur la situation de compétence liée de l’organisme payeur, laquelle découle directement de l’absence de renouvellement de l’agrément du fournisseur (A), privant ainsi l’organisme de tout pouvoir d’appréciation (B).
A. Le défaut d’agrément du fournisseur comme condition dirimante
Le bénéfice des aides du programme POSEI est subordonné à un ensemble de conditions définies par le droit de l’Union européenne et précisées au niveau national et local. En l’espèce, un arrêté préfectoral du 9 juillet 2019 avait modifié les modalités d’agrément des opérateurs, mettant fin à un système de tacite reconduction. Cet arrêté imposait aux opérateurs dont l’agrément datait de plus de quatre ans de déposer une nouvelle demande. La cour relève que l’organisation de producteurs, qui fournissait la société requérante, disposait d’un agrément datant du 9 mai 2016. En application des nouvelles dispositions, cet agrément n’était donc plus valide pour la campagne 2020.
La cour constate que les services administratifs compétents avaient rappelé à cette organisation, par deux courriers successifs, la nécessité de solliciter un nouvel agrément. En l’absence d’une telle démarche, elle en conclut que l’organisation « n’était pas titulaire d’un agrément au titre de la campagne 2020 ». Cette condition faisant défaut, les produits livrés par cette structure à la société requérante ne pouvaient ouvrir droit au versement de l’aide. L’analyse factuelle et juridique de la cour s’attache à la lettre des textes, considérant l’agrément comme un préalable non négociable à l’éligibilité des productions.
B. L’absence de pouvoir d’appréciation reconnu à l’organisme payeur
De cette absence d’agrément, la cour déduit logiquement que l’organisme payeur n’avait d’autre choix que de refuser le versement des aides. Elle énonce clairement que cet organisme « s’est borné à constater qu’à la date de traitement des dossiers, l’OPEG n’étant pas agréée, les quantités de viande fournies par cette structure à la société Vivenda étaient inéligibles ». Le rôle de l’organisme payeur est ainsi réduit à une simple vérification formelle : l’existence d’un agrément en cours de validité. Si cette condition n’est pas remplie, il est tenu de rejeter la demande, sans pouvoir examiner d’autres éléments.
La cour formalise cette analyse en jugeant que « l’ODEADOM, qui n’avait aucune appréciation à porter sur ce point, était tenue de refuser le versement des aides sollicitées ». Cette formule illustre parfaitement la notion de compétence liée, situation dans laquelle l’administration ne dispose d’aucune marge de manœuvre et doit agir dans un sens déterminé par les textes. La décision de refus n’est donc pas le fruit d’un choix, mais l’exécution d’une obligation légale. Cette qualification emporte des conséquences déterminantes sur l’ensemble du litige.
II. Les conséquences étendues de la compétence liée
La reconnaissance de la compétence liée de l’organisme payeur rend inopérants la plupart des arguments de la société requérante, qu’ils soient relatifs à la légalité formelle des décisions (A) ou aux circonstances particulières de sa situation (B).
A. La neutralisation des moyens de légalité externe et interne
Une conséquence classique de la compétence liée est que les vices de forme ou de procédure qui auraient pu affecter une décision deviennent inopérants. En effet, même si la décision avait été prise au terme d’une procédure parfaitement régulière, son contenu aurait été identique. La cour applique ce raisonnement avec rigueur. Elle juge ainsi que les moyens tirés de l’incompétence de l’auteur de l’une des décisions et de l’insuffisante motivation des deux actes « étaient inopérants et ne peuvent qu’être écartés ».
Dès lors que l’administration était tenue de refuser l’aide, un éventuel défaut de motivation ou de compétence du signataire ne pouvait avoir aucune influence sur la solution du litige et ne saurait donc justifier l’annulation de la décision. De même, la cour écarte le moyen tiré d’un défaut d’examen particulier, considérant qu’un tel examen n’avait pas lieu d’être. Cette approche démontre comment la qualification de compétence liée ferme la porte à une grande partie du contrôle de légalité habituellement exercé par le juge administratif.
B. L’indifférence aux situations de fait propres à l’opérateur
La société requérante tentait également de faire valoir des éléments factuels propres à sa situation. Elle soutenait notamment être elle-même titulaire d’un agrément, ou encore que l’organisme payeur aurait dû ventiler les quantités de produits selon qu’elles provenaient du fournisseur non agréé ou d’autres fournisseurs agréés. La cour rejette ces arguments en soulignant leur absence de pertinence. Elle précise que l’agrément dont se prévalait la société était un agrément sanitaire, « sans rapport avec les conditions d’octroi de l’agrément des structures éligibles pour l’accès aux aides POSEI-MFPA ».
De même, elle écarte la référence à un arrêt de relaxe rendu par la cour d’appel de Cayenne, en relevant que les faits jugés au pénal ne présentaient « pas de lien avec les conditions d’agrément » requises pour les aides. Chaque argument est ainsi analysé à l’aune de la seule condition pertinente aux yeux du juge : la validité de l’agrément du fournisseur au titre du programme d’aide. Les autres circonstances, qu’elles concernent la société requérante elle-même ou des procédures connexes, sont jugées indifférentes à la solution du litige, qui repose entièrement sur l’application mécanique de la réglementation.