L’édiction d’une législation d’urgence sanitaire a conduit les administrations à prendre des mesures restrictives des libertés individuelles pour des motifs de santé publique, soulevant des questions relatives à leur articulation avec le statut des agents publics. En l’espèce, une aide-soignante contractuelle employée par un centre hospitalier universitaire a fait l’objet d’une décision de suspension de ses fonctions et de sa rémunération pour non-respect de l’obligation vaccinale contre la Covid-19. L’agente soutenait être en congé de maladie durant la période visée, ce qui aurait dû faire obstacle à l’entrée en vigueur de la mesure.
Saisi par l’agente, le tribunal administratif a partiellement annulé la décision de suspension. Il a considéré que la mesure ne pouvait légalement prendre effet pendant la période où l’agente était couverte par un congé maladie. Le centre hospitalier a interjeté appel de ce jugement, arguant que l’agente ne lui avait jamais transmis les justificatifs de ses arrêts de travail et ne pouvait donc être considérée comme étant en congé de maladie. La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était de savoir si une mesure de suspension pour non-respect de l’obligation vaccinale pouvait légalement s’appliquer à un agent qui, bien que disposant d’arrêts de travail, n’a pas prouvé les avoir communiqués à son employeur.
La cour répond par l’affirmative et infirme le jugement de première instance. Elle estime que la charge de la preuve de la transmission des arrêts de travail pèse sur l’agent. En l’absence d’une telle preuve, l’administration était fondée à considérer que l’agente n’était pas en situation régulière de congé maladie et pouvait, par conséquent, faire l’objet d’une suspension immédiate. Cette décision clarifie l’application des règles de preuve en matière de congé maladie dans le contexte spécifique de la législation d’urgence (I), consacrant une interprétation stricte des obligations de l’agent qui rend inopérants les autres moyens soulevés (II).
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I. La conditionnalité du congé maladie à l’obligation d’information de l’agent
La cour administrative d’appel rappelle d’abord que le statut du congé maladie constitue une protection pour l’agent, mais que son bénéfice est subordonné à une démarche active de sa part. La solution retenue repose ainsi sur l’articulation entre la protection statutaire de l’agent (A) et la portée de son devoir d’information (B).
A. Le rappel du caractère suspensif du congé maladie
Le raisonnement des juges d’appel s’amorce par une réaffirmation d’un principe protecteur. Ils précisent qu’un agent public peut légalement faire l’objet d’une décision de suspension pour manquement à l’obligation vaccinale alors même qu’il se trouve en congé de maladie. Toutefois, la portée d’une telle mesure est temporellement limitée. La cour énonce clairement que « cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent entrer en vigueur qu’à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l’agent ».
Cette position confirme que le placement régulier en congé maladie a pour effet de suspendre les conséquences financières d’une mesure de police administrative telle que l’interdiction d’exercer. L’agent, bien que visé par une mesure de suspension, continue de percevoir son traitement ou les indemnités afférentes à son congé tant que celui-ci n’est pas arrivé à son terme. Le congé maladie agit donc comme un écran juridique temporaire, reportant l’application effective de la sanction financière. L’effectivité de cette protection dépend cependant entièrement de la reconnaissance formelle du statut de l’agent par son employeur.
B. La centralité de la preuve de la transmission du certificat médical
La cour déplace ensuite le cœur du litige sur le terrain de la preuve. Pour qu’un agent soit considéré en congé de maladie, il ne suffit pas qu’il dispose d’un certificat médical. Il doit également satisfaire aux exigences de l’article 10 du décret du 6 février 1991, qui impose de présenter ce certificat. Le juge en déduit que la charge de prouver la bonne information de l’employeur incombe à l’agent. Le centre hospitalier soutenait n’avoir jamais reçu les arrêts de travail pour la période litigieuse, produisant des éléments de son système de gestion interne.
Face à cela, la cour constate que l’agente « se borne à soutenir qu’elle a communiqué l’ensemble de ses arrêts, mais ne produit aucun élément probant en ce sens ». L’existence matérielle des certificats médicaux ou même un avis d’inaptitude temporaire émis par le médecin du travail ne suffit pas à établir que l’employeur en a été formellement avisé. En l’absence de preuve de cette transmission, l’agente ne pouvait être juridiquement considérée en congé de maladie. Son absence était donc irrégulière, ce qui la rendait immédiatement éligible à la mesure de suspension.
II. La prééminence de la charge de la preuve sur la situation de l’agent
La solution adoptée par la cour, fondée sur une application rigoureuse des règles de preuve, a pour effet de neutraliser les autres arguments soulevés par l’agente. Cette approche met en lumière la conception stricte de la charge probatoire qui pèse sur l’agent (A) et conduit à écarter comme inopérants les moyens tirés de sa situation personnelle ou de l’évolution ultérieure du droit (B).
A. Une conception rigoureuse de la charge probatoire pesant sur l’agent
Le juge d’appel consacre une application stricte du principe selon lequel il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’en rapporter la preuve. En l’espèce, l’agente n’a pu fournir aucun accusé de réception, courriel ou autre élément matériel attestant de la transmission de ses arrêts de travail. La simple affirmation de les avoir envoyés, face à la dénégation de l’employeur appuyée par ses propres documents de gestion, a été jugée insuffisante. Cette solution souligne l’importance pour les agents publics de se ménager une preuve de leurs échanges avec l’administration, en particulier lorsque ces échanges conditionnent l’octroi de droits statutaires.
La cour estime ainsi que l’agente « n’étant pas en congé de maladie entre les 3 novembre 2021 et 24 janvier 2022, elle pouvait légalement être suspendue de ses fonctions ». La décision illustre que, sur le plan contentieux, la réalité juridique d’une situation prime sur sa réalité factuelle si cette dernière n’est pas formellement établie. L’absence de preuve de la notification transforme le congé maladie en une absence injustifiée, laissant l’administration libre de prendre les mesures qui s’imposent.
B. La neutralisation des moyens tirés des circonstances de l’espèce
L’approche rigoureuse du juge administratif sur le terrain probatoire rend le reste de l’argumentation de l’agente sans portée. La cour écarte ainsi les moyens subsidiaires en les jugeant inopérants. L’argument selon lequel la suspension aurait placé l’agente dans une situation financière difficile est rejeté au motif que les conséquences personnelles d’une décision sont « sans incidence sur la légalité de la décision en litige ». Cette position rappelle un principe constant du contentieux administratif, qui apprécie la légalité d’un acte au regard des règles de droit applicables et non de ses effets sur la situation individuelle des administrés.
De même, la circonstance que l’agente se soit ultérieurement mise en conformité avec l’obligation vaccinale, ou que cette obligation ait été suspendue par la suite, est jugée sans pertinence. Le juge se place à la date à laquelle la décision a été prise pour en apprécier la légalité. Les évolutions factuelles ou juridiques postérieures au prononcé de l’acte ne peuvent rétroactivement l’entacher d’illégalité. La décision commentée offre ainsi une illustration classique du rôle du juge de l’excès de pouvoir.