Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 28 mai 2025, n°24BX02836

Par un arrêt en date du 28 mai 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué sur la légalité d’un arrêté préfectoral refusant la délivrance d’un titre de séjour à un ressortissant étranger, lui faisant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de destination. En l’espèce, un individu de nationalité marocaine, présent en France depuis 2015, a sollicité son admission au séjour en raison de son état de santé. Il souffre d’une tétraplégie consécutive à une agression et nécessite une prise en charge médicale continue. Il est également le père d’un enfant français, qu’il a reconnu tardivement. Le préfet de la Gironde a rejeté sa demande par un arrêté du 30 septembre 2022. Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Bordeaux a confirmé cette décision par un jugement du 30 novembre 2023. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour méconnaissait plusieurs dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que des conventions internationales, notamment au regard de sa situation médicale et de ses liens familiaux. La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si l’état de santé du requérant et l’existence de ses liens familiaux en France faisaient obstacle à la légalité de la décision préfectorale. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, estimant que l’administration n’avait commis aucune erreur d’appréciation. Elle a considéré que le requérant n’apportait pas la preuve que son état de santé ne pouvait être pris en charge dans son pays d’origine, ni qu’il contribuait effectivement à l’entretien et à l’éducation de son enfant.

La solution retenue par la cour administrative d’appel illustre une application rigoureuse des conditions légales encadrant le droit au séjour des étrangers (I), confirmant ainsi la portée limitée du contrôle du juge face à l’appréciation des preuves fournies par le requérant (II).

I. L’application rigoureuse des conditions du droit au séjour

La cour procède à une analyse successive et stricte des deux fondements principaux invoqués par le requérant. Elle examine d’abord la condition liée à l’état de santé (A), avant de se pencher sur celle relative à la vie privée et familiale (B).

A. Le contrôle de l’accès effectif aux soins dans le pays d’origine

Le droit au séjour pour raisons médicales est subordonné, aux termes de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à une double condition cumulative. L’état de santé de l’étranger doit nécessiter une prise en charge dont le défaut entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et il ne doit pas pouvoir bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine. En l’espèce, si la première condition n’était pas contestée, la seconde a fait l’objet d’un examen attentif par la cour. Le juge rappelle la valeur probante de l’avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Cet avis établit une présomption qu’il appartient au requérant de renverser par des éléments précis et circonstanciés.

La cour a estimé que le requérant ne parvenait pas à défaire cette présomption. Elle juge qu’il « n’apporte pas d’élément précis de nature à remettre en cause l’avis des médecins du collège de l’OFII du 30 août 2022 ». La production d’un article général, même issu d’une revue spécialisée, sur les insuffisances du système de santé marocain est jugée insuffisante. Cette approche démontre l’exigence d’une preuve concrète et personnalisée de l’inaccessibilité du traitement pour le requérant lui-même, et non une simple démonstration des faiblesses générales d’un système de santé. La charge de la preuve pèse donc lourdement sur l’étranger qui doit contredire un avis médical administratif circonstancié.

B. L’appréciation restrictive des liens de filiation

Le requérant invoquait également son droit au séjour en qualité de parent d’un enfant français, sur le fondement de l’article L. 423-7 du même code. Cette disposition exige que le parent étranger établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis sa naissance ou depuis au moins deux ans. La cour rejette le moyen en soulignant d’abord que la condition de durée de deux ans n’est pas remplie, la reconnaissance de l’enfant étant trop récente par rapport à la date de la décision attaquée.

Au-delà de ce constat formel, le juge examine la réalité de la contribution parentale. Il écarte les éléments produits, jugeant que « ni les trois attestations très insuffisamment circonstanciées et rédigées dans des termes quasiment similaires par deux de ses amis ainsi que par la mère de l’enfant, ni les quelques prescriptions de transport médicalisé (…) ne sont de nature à l’établir ». Cette motivation révèle le scepticisme du juge face à des attestations considérées comme de pure complaisance. Le contrôle de l’effectivité de la contribution se veut concret et exige des preuves tangibles et variées, telles que des virements bancaires réguliers, des factures ou des témoignages détaillés, que le requérant n’a pu fournir. L’appréciation de l’atteinte à la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme est traitée de manière similaire, la cour concluant à une absence d’atteinte disproportionnée en raison de la faiblesse des liens établis et du caractère irrégulier de l’essentiel du séjour en France.

II. La portée limitée du contrôle juridictionnel en l’absence de preuve probante

Cette décision illustre le rôle du juge administratif qui, s’il exerce un plein contrôle sur l’appréciation des faits par l’administration, demeure tributaire de la qualité des éléments versés au dossier. Cette dépendance se manifeste tant dans l’évaluation de la preuve (A) que dans la confirmation de la marge d’appréciation de l’autorité préfectorale (B).

A. L’exigence probatoire comme clé de voûte du contentieux

L’issue du litige repose presque entièrement sur la question de la preuve. Que ce soit pour l’état de santé, la contribution à l’éducation de l’enfant, ou même l’existence d’une procédure pénale en cours, la cour fonde systématiquement ses rejets sur une carence probatoire du requérant. Concernant la plainte qu’il aurait déposée, la cour relève que « la seule mention dans ses écritures d’un numéro qu’il indique être un « numéro parquet », non assortie de la production de pièce, ne permet pas d’établir l’existence d’une plainte déposée ». Cette approche formaliste mais juridiquement orthodoxe rappelle que l’allégation d’un fait doit être étayée par une pièce justificative.

Cette décision a donc une valeur pédagogique pour les justiciables. Elle souligne que la conviction du juge ne peut se forger sur des affirmations ou des documents jugés trop généraux ou insuffisamment crédibles. Dans le contentieux des étrangers, où les requérants peuvent être en situation de précarité et éprouver des difficultés à rassembler des preuves formelles, cette exigence peut constituer un obstacle majeur. L’arrêt confirme que le doute, en l’absence d’éléments suffisants, ne bénéficie pas nécessairement à l’administré, surtout lorsque l’administration s’appuie sur des avis techniques comme celui de l’OFII.

B. La confirmation de la marge d’appréciation de l’administration

En rejetant l’ensemble des moyens, la cour administrative d’appel confirme la légalité de la décision du préfet. Ce faisant, elle valide l’appréciation que ce dernier a portée sur la situation personnelle du requérant. L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui, tout en soumettant les décisions de refus de séjour à un contrôle normal, laisse à l’administration une marge d’appréciation significative, notamment dans la mise en balance des intérêts en présence au titre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour estime ici que le refus de séjour n’a pas porté une « atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ».

La portée de cet arrêt est donc moins de créer un nouveau principe que de rappeler les règles établies en matière de preuve et de contrôle juridictionnel. Il réaffirme que le droit au séjour, même pour des motifs humanitaires ou familiaux sérieux, n’est pas automatique et reste soumis à des conditions strictes dont le respect doit être rigoureusement démontré par le demandeur. La décision illustre ainsi le dialogue entre le juge et l’administration, où le premier s’assure que le second n’a pas commis d’erreur manifeste ou d’erreur de droit, mais ne se substitue pas à son pouvoir d’appréciation en l’absence de preuves irréfutables fournies par le requérant.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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