Par un arrêt en date du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur l’étendue de la responsabilité d’un employeur public vis-à-vis d’un de ses agents, en particulier quant aux conséquences d’une modification des conditions de travail effectuée en dépit de préconisations médicales. En l’espèce, une agente d’un établissement public social et médico-social, qui avait repris son service à temps partiel thérapeutique après un accident de service, s’est vu imposer un nouvel aménagement de son temps de travail. Alors que le médecin du travail avait préconisé des demi-journées, l’employeur a réorganisé son service en journées complètes. L’agente a subi une nouvelle incapacité physique dès le premier jour de l’application de ce nouvel emploi du temps.
Soutenant que cette rechute résultait du non-respect des recommandations médicales, l’agente a formé une réclamation préalable auprès de son employeur afin d’obtenir réparation des préjudices subis. Face au rejet de sa demande, elle a saisi le tribunal administratif, qui a également rejeté sa requête indemnitaire. L’agente a alors interjeté appel du jugement, faisant valoir que la responsabilité de l’employeur était engagée en raison d’une méconnaissance de son obligation de sécurité, d’un retard fautif dans le traitement de sa situation administrative et du refus illégitime de reconnaître l’imputabilité au service de son accident. Le problème de droit posé à la cour consistait à déterminer si le non-respect des préconisations du médecin du travail, suivi d’un accident, suffisait à caractériser une faute de l’employeur engageant sa responsabilité, ou si une preuve plus stricte du lien de causalité entre le manquement et le dommage était requise.
À cette question, la cour a répondu par la négative, estimant que la responsabilité de l’établissement public ne pouvait être engagée. Elle juge que, malgré l’obligation pour l’employeur de prendre en compte les avis du médecin du travail, le lien de causalité direct et certain entre la modification des horaires et les douleurs subies par l’agente n’était pas établi. Cette décision illustre l’exigence probatoire pesant sur l’agent s’estimant victime d’une faute de son employeur, tant en ce qui concerne l’obligation de sécurité (I) que dans la gestion administrative de sa situation (II).
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I. L’exigence d’un lien de causalité certain dans l’appréciation de l’obligation de sécurité
La cour, tout en rappelant le principe d’une obligation de sécurité renforcée à la charge de l’employeur (A), soumet l’engagement de sa responsabilité à la preuve rigoureuse d’un lien de causalité direct entre le manquement allégué et le préjudice (B).
A. Le rappel du principe de l’obligation patronale de sécurité
L’arrêt prend soin de viser les textes fondamentaux qui gouvernent la protection de la santé des agents publics. Il rappelle que l’employeur, en vertu des dispositions combinées du statut général de la fonction publique et du code du travail, est tenu de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents ». Cette obligation ne se limite pas à une simple déclaration d’intention ; elle impose une démarche active de prévention et d’adaptation.
Dans ce cadre, les préconisations émises par le médecin du travail revêtent une importance particulière. La juridiction souligne à juste titre qu’il incombe à l’autorité administrative de prendre en compte les propositions d’aménagements de poste « que les médecins du travail sont seuls habilités à émettre ». En ne suivant pas l’avis préconisant un travail par demi-journées, l’employeur s’exposait donc manifestement à un engagement de sa responsabilité pour faute. Le manquement à une obligation réglementaire précise semblait ainsi constitué.
B. La neutralisation du manquement par l’absence d’une causalité directe
Cependant, la cour refuse de déduire automatiquement la responsabilité de l’établissement de ce seul manquement. Elle concentre son analyse sur le lien de causalité et estime qu’il n’est pas suffisamment démontré en l’espèce. Pour écarter la faute, elle retient qu’« il ne résulte pas de l’instruction que les douleurs dorsales dont la requérante a souffert lors de sa première journée de travail de sept heures, survenues quinze minutes seulement au-delà de son temps de travail antérieur dans des circonstances qui ne sont pas clairement établies […], aient résulté de façon directe et certaine de la durée de temps de travail ».
Cette approche se révèle particulièrement stricte. En exigeant une preuve quasi-irréfutable du lien de causalité, la cour impose à l’agent une charge probatoire très lourde. La simple coïncidence temporelle entre la modification des conditions de travail et la survenance du dommage est jugée insuffisante. Cette solution, si elle protège l’employeur public de réclamations potentiellement opportunistes, réduit considérablement la portée de l’obligation de sécurité en pratique, en subordonnant sa sanction à une démonstration souvent difficile à rapporter pour la victime.
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II. La confirmation d’une appréciation souple des autres fautes administratives alléguées
Outre le manquement à l’obligation de sécurité, la requérante invoquait d’autres fautes imputables à son employeur. L’analyse de la cour confirme une approche pragmatique, justifiant le délai de traitement du dossier par des circonstances particulières (A) et rejetant fermement les griefs insuffisamment étayés (B).
A. La justification du délai d’instruction par les contraintes du service
L’agente critiquait le délai de vingt-et-un mois mis par l’administration pour statuer sur l’imputabilité au service de son accident. Un tel délai peut, en principe, constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique. Toutefois, la cour écarte le caractère fautif de ce retard en se fondant sur plusieurs éléments.
Elle retient ainsi « la difficulté à instruire la demande de Mme A… au vu des avis médicaux contradictoires » ainsi que « la circonstance, étrangère à l’établissement, que la crise sanitaire due au Covid-19 a paralysé le fonctionnement des organes consultatifs ». En considérant que ces éléments exonèrent l’administration, la cour fait preuve d’une compréhension certaine des difficultés de gestion que peuvent rencontrer les services publics. Cette clémence, bien que fondée sur des faits objectifs, contraste avec la rigueur dont elle fait preuve dans l’appréciation du lien de causalité concernant l’obligation de sécurité.
B. Le rejet des fautes fondées sur des allégations imprécises ou erronées
La cour écarte les autres fautes alléguées avec une grande célérité. Concernant l’absence de démarches en vue du versement d’indemnités journalières, elle relève que la requérante « ne précise pas à quel titre elle était éligible au versement de ces prestations ». Ce faisant, elle rappelle une exigence procédurale fondamentale : le demandeur doit articuler ses moyens de manière suffisamment précise pour permettre au juge d’en apprécier le bien-fondé.
De même, s’agissant du refus de reconnaître une rechute, la cour se retranche derrière une autre de ses décisions rendue le même jour, laquelle a confirmé la légalité de ce refus. Le caractère non fautif de la décision est ainsi établi par l’autorité de la chose jugée. Cette partie de l’arrêt souligne que la responsabilité pour faute ne peut être recherchée sur la base d’allégations générales ou de contestations qui ont déjà été tranchées par ailleurs sur le terrain de la légalité.