Par un arrêt en date du 30 avril 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux se prononce sur la légalité d’une autorisation préfectorale relative à l’exploitation d’un parc éolien, confrontant les impératifs du développement des énergies renouvelables à ceux de la protection de la biodiversité.
En l’espèce, une association de protection de l’environnement a demandé l’annulation d’un arrêté préfectoral du 14 septembre 2018 autorisant une société à exploiter un parc éolien. Par un premier arrêt avant-dire droit du 31 mai 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait partiellement annulé cet acte en tant qu’il ne comportait pas de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, et avait sursis à statuer sur un autre point afin de permettre la régularisation d’un vice de procédure tenant à l’irrégularité de l’avis de l’autorité environnementale. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État, par une décision du 20 juillet 2023, a annulé la partie de l’arrêt relative à la nécessité d’une dérogation « espèces protégées » et a renvoyé l’affaire sur ce point devant la même cour. La cour d’appel se retrouvait donc saisie, d’une part, du suivi de la mesure de régularisation qu’elle avait ordonnée et, d’autre part, de la question de l’atteinte aux espèces protégées qui lui était renvoyée. Constateant l’absence de régularisation du vice de procédure dans les délais impartis et réexaminant le fond du dossier, la juridiction devait déterminer les conséquences de cette carence procédurale et se prononcer à nouveau sur la nécessité d’une dérogation au regard du risque pour les espèces protégées, notamment la cigogne noire. La question de droit qui se posait était donc double : d’une part, quelle sanction le juge doit-il appliquer lorsque la mesure de régularisation qu’il a prescrite n’est pas produite dans le délai fixé ? D’autre part, un risque de destruction, même non certain, pesant sur un seul individu d’une espèce en situation critique d’extinction est-il suffisant pour caractériser l’obligation d’obtenir une dérogation « espèces protégées » ?
La cour administrative d’appel de Bordeaux répond à la première question en prononçant l’annulation de l’arrêté pour le vice non régularisé. Concernant la seconde question, elle juge que le risque pesant sur la cigogne noire est suffisamment caractérisé pour imposer une demande de dérogation. Plutôt que de prononcer une annulation totale, elle décide de surseoir à statuer une nouvelle fois, afin de permettre au pétitionnaire de régulariser ce second vice. L’arrêt illustre ainsi la combinaison des pouvoirs de sanction et de régularisation du juge administratif, d’abord en tirant les conséquences de l’échec d’une première tentative de régularisation (I), puis en réaffirmant le principe de précaution tout en offrant une nouvelle possibilité de correction (II).
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I. La sanction inéluctable d’un vice de procédure non régularisé
La décision de la cour met en lumière le caractère contraignant des mécanismes de régularisation en contentieux administratif. Après avoir initialement offert une voie pour sauver l’acte administratif malgré un vice de procédure, le juge se voit contraint de prononcer l’annulation face à l’absence de diligence des parties concernées (A), bien que cette annulation demeure partielle et circonscrite au vice constaté (B).
A. L’annulation comme conséquence du défaut de mise en œuvre du sursis à statuer
En application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, le juge administratif dispose de la faculté de surseoir à statuer pour permettre la régularisation d’un vice affectant une autorisation environnementale. Dans son arrêt du 31 mai 2022, la cour avait usé de ce pouvoir en identifiant une irrégularité dans l’avis de l’autorité environnementale et en accordant un délai à l’administration pour corriger cette défaillance. Ce mécanisme vise à éviter des annulations contentieuses pour des motifs purement procéduraux qui pourraient être aisément corrigés, assurant ainsi un équilibre entre le respect de la légalité et la stabilité des actes administratifs.
Cependant, la mise en œuvre de cette prérogative n’est pas une simple faculté laissée à la discrétion de l’administration ou du pétitionnaire. L’arrêt commenté constate que, près de trois ans après la décision avant-dire droit, « aucune mesure de régularisation du vice entachant l’autorisation environnementale en litige (…) n’a été notifiée à la cour ». Cette inaction prolongée, malgré les délais successifs, rend le vice de procédure définitif. Le juge ne peut alors que constater l’échec de la tentative de régularisation et prononcer l’annulation de l’acte pour le motif initialement identifié. La sanction de l’annulation n’est donc pas une faculté mais la conséquence logique et nécessaire de la non-exécution de l’injonction de régulariser.
B. Une annulation strictement limitée au vice constaté
Conformément à l’esprit des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, l’annulation prononcée par la cour est partielle. Elle ne vise l’arrêté du 14 septembre 2018 « qu’en tant qu’il n’a pas été précédé d’un avis de l’autorité environnementale » répondant aux exigences du droit de l’Union européenne. Cette approche chirurgicale permet de ne censurer que la partie de l’acte ou de la procédure qui est viciée, sans remettre en cause l’ensemble de l’autorisation environnementale.
Cette limitation de la portée de l’annulation démontre la volonté du juge de ne pas anéantir un projet dans son intégralité pour un vice qui, bien que substantiel, reste circonscrit à une phase de l’instruction. En procédant ainsi, la cour préserve les autres aspects de l’autorisation qui ne sont pas entachés d’illégalité, tout en sanctionnant fermement le manquement procédural. Cette méthode illustre la transformation du rôle du juge administratif qui, loin d’être un simple censeur, se positionne en gestionnaire du contentieux, cherchant à purger les illégalités tout en préservant autant que possible les effets de l’action administrative.
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II. L’appréciation renforcée du risque environnemental et le renouvellement du sursis à statuer
Après avoir réglé la question procédurale, la cour, statuant sur renvoi du Conseil d’État, se penche sur le fond du dossier et procède à une analyse rigoureuse du risque d’atteinte aux espèces protégées (A). Face à l’illégalité constatée, elle privilégie une nouvelle fois la voie de la régularisation, confirmant son rôle de conciliateur entre la légalité environnementale et la poursuite du projet (B).
A. La protection absolue d’une espèce menacée comme critère du risque caractérisé
La question centrale était de savoir si le projet de parc éolien, malgré les mesures d’évitement et de réduction proposées, présentait un risque « suffisamment caractérisé » pour les espèces protégées, justifiant l’obtention préalable d’une dérogation. La cour concentre son analyse sur le cas de la cigogne noire, espèce classée « en danger critique » dans la région et dont la population nicheuse nationale est extrêmement faible. Elle relève que le projet se situe « à l’intersection de trois nids, à l’intérieur des trois périmètres vitaux de vingt kilomètres ».
Le raisonnement de la cour est remarquable en ce qu’il ne se fonde pas sur la certitude d’une destruction, mais sur la gravité exceptionnelle des conséquences qu’aurait la disparition d’un seul individu. Elle énonce que « la mortalité d’un ou de plusieurs individus nicheurs de cigogne noire en raison d’une collision avec une éolienne du parc projeté expose cette espèce à un risque suffisamment caractérisé de destruction ». Ainsi, le très faible effectif de l’espèce et la menace d’extinction qui pèse sur elle suffisent à transformer un risque potentiel en un risque « suffisamment caractérisé » au sens de la loi. Cette interprétation consacre une protection maximale pour les espèces les plus vulnérables, où le principe de précaution est appliqué avec une rigueur particulière.
B. Le sursis à statuer, outil privilégié de la régularisation contentieuse
Ayant établi que l’absence de demande de dérogation « espèces protégées » entachait l’autorisation d’illégalité, la cour aurait pu prononcer l’annulation de l’acte sur ce second motif. Elle choisit cependant une autre voie. Conformément à la logique de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, elle considère que ce vice est susceptible d’être régularisé par l’obtention d’une autorisation modificative. Elle décide donc de « surseoir à statuer sur le surplus des conclusions de la requête jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois » pour permettre au pétitionnaire de déposer un dossier de demande de dérogation et d’obtenir, le cas échéant, l’acte correctif.
Cette décision réitère la préférence du juge pour la régularisation plutôt que pour l’annulation pure et simple. Elle démontre que même une illégalité de fond, tenant à la méconnaissance d’une règle de protection environnementale substantielle, peut faire l’objet d’une correction en cours d’instance. En suspendant l’exécution de l’autorisation jusqu’à la délivrance éventuelle de la dérogation, la cour assure que le projet ne pourra se poursuivre sans que la protection de l’espèce ait été dûment prise en compte par l’autorité administrative compétente. L’arrêt se clôt ainsi sur une injonction qui, tout en reconnaissant la validité du projet sur le principe, le soumet à une mise en conformité stricte avec les exigences du droit de l’environnement.