Par un arrêt en date du 30 septembre 2025, la cour administrative d’appel a rejeté le recours formé contre une autorisation environnementale délivrée pour l’exploitation d’un parc éolien. Cette décision, rendue en premier et dernier ressort, s’inscrit dans un contentieux technique où la procédure et le fond sont intimement liés.
En l’espèce, la préfète des Deux-Sèvres avait accordé une autorisation environnementale pour l’installation de deux aérogénérateurs. Plusieurs requérants, dont une association de protection de l’environnement, le centre des monuments nationaux, des communes et des particuliers, ont saisi la juridiction administrative pour demander l’annulation de cet arrêté. Ils invoquaient de nombreux moyens, touchant tant à la régularité de la procédure d’instruction qu’aux atteintes que le projet porterait à l’environnement, au paysage, au patrimoine et à la commodité du voisinage. La société exploitante a, pour sa part, opposé une fin de non-recevoir à plusieurs de ces moyens, arguant de leur présentation tardive au regard des règles de procédure applicables.
Le juge administratif devait donc se prononcer sur deux questions principales. D’une part, il lui fallait déterminer si des moyens, initialement énoncés de manière générale dans la requête introductive d’instance, et seulement précisés après l’expiration du délai de cristallisation de deux mois, pouvaient être considérés comme recevables. D’autre part, et sur le seul moyen de fond examiné, il était demandé au juge de vérifier si les mesures de prévention et de suivi proposées par l’exploitant étaient suffisantes pour écarter la nécessité de solliciter une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.
La cour administrative d’appel a répondu à la première question par la négative, jugeant irrecevables les moyens tardivement détaillés. Sur la seconde question, elle a considéré que les mesures prévues présentaient des garanties d’effectivité suffisantes pour que le risque pour la faune ne soit pas considéré comme suffisamment caractérisé, écartant ainsi l’obligation de dérogation. Cette décision illustre la rigueur procédurale imposée dans le contentieux éolien (I), tout en procédant à une appréciation concrète du risque résiduel pour les espèces protégées (II).
I. L’encadrement procédural strict du contentieux éolien
La solution retenue par la cour administrative d’appel met en lumière l’importance de la discipline procédurale dans les litiges relatifs aux parcs éoliens, où le mécanisme de cristallisation des moyens s’applique avec une rigueur particulière (A), ce qui renforce la sécurité juridique des projets autorisés mais impose une charge notable aux requérants (B).
A. L’application rigoureuse du principe de cristallisation des moyens
La cour a fait une application stricte de l’article R. 611-7-2 du code de justice administrative, qui fixe un délai de deux mois après la communication du premier mémoire en défense pour soulever des moyens nouveaux. La décision est remarquable en ce qu’elle précise la notion de moyen nouveau dans ce contexte. Elle considère en effet que ne sont pas seulement nouveaux les moyens soulevés pour la première fois, mais également ceux qui n’ont pas été suffisamment étayés dans l’acte initial. Le juge estime que « doivent être regardés comme des moyens nouveaux, au sens et pour l’application des dispositions précitées, ceux qui n’ont été assortis des précisions permettant d’en apprécier la portée et le bien-fondé qu’après l’expiration du délai de deux mois prévu par ces dispositions ».
Ainsi, la cour a systématiquement écarté comme irrecevables les critiques relatives à l’étude d’impact, aux atteintes au paysage et au patrimoine, à la faune, ou encore aux nuisances sonores. Pour chacun de ces points, les requérants s’étaient contentés dans leur requête initiale d’affirmations générales, telles que le fait que « le projet querellé porte une atteinte manifeste à la qualité paysagère du milieu », sans fournir d’éléments factuels ou d’analyses précises. Les détails n’ayant été apportés que dans des mémoires ultérieurs, hors délai, le juge a refusé de les examiner au fond. Cette approche confirme que l’intitulé d’un moyen ne suffit pas ; il doit être, dès l’origine, accompagné des développements qui le rendent intelligible et discutable.
B. Une exigence de précision au service de la célérité de la justice
La règle de la cristallisation et son interprétation sévère par le juge administratif poursuivent un objectif clair de bonne administration de la justice et de célérité dans le traitement des contentieux éoliens. En obligeant les parties à présenter l’ensemble de leurs arguments de manière complète et détaillée dans un temps bref, le législateur et le juge entendent éviter que le débat contentieux ne s’éternise par l’ajout successif de nouvelles critiques. Cette discipline procédurale vise à stabiliser rapidement la situation juridique de l’autorisation administrative, offrant ainsi une visibilité et une sécurité juridique accrues aux porteurs de projet.
Toutefois, cette rigueur n’est pas sans contrepartie pour les requérants. Elle leur impose de maîtriser parfaitement un dossier technique complexe et de formuler l’intégralité de leurs griefs de façon circonstanciée dès les premiers échanges écrits. Cela peut constituer un obstacle significatif, en particulier pour les justiciables qui ne disposent pas d’emblée de l’ensemble des expertises nécessaires pour analyser en profondeur chaque aspect de l’étude d’impact ou du projet. La décision illustre donc une forme de prévalence de l’objectif de sécurité juridique sur la possibilité pour les opposants d’affiner leur argumentation au fil de l’instruction.
Après avoir écarté l’essentiel des critiques pour des motifs procéduraux, le juge s’est prononcé sur le seul moyen de fond jugé recevable, relatif à la protection des espèces.
II. L’appréciation concrète du régime de dérogation « espèces protégées »
La seconde partie de l’arrêt est consacrée à l’analyse de l’unique moyen de fond recevable. Le juge y examine la nécessité d’une dérogation « espèces protégées » en contrôlant les mesures présentées par l’exploitant (A), adoptant une approche pragmatique du risque pour la biodiversité (B).
A. Le contrôle des garanties d’effectivité des mesures d’évitement et de réduction
Le cœur de l’argumentation des requérants reposait sur l’idée que le projet présentait un risque suffisamment caractérisé pour l’avifaune et les chiroptères pour imposer l’obtention préalable d’une dérogation au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement. La cour rappelle cependant le cadre juridique applicable, précisant qu’une telle dérogation « n’est pas requise lorsqu’un projet comporte des mesures d’évitement et de réduction présentant des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque ».
Le juge s’est alors livré à une analyse détaillée des mesures proposées par la société exploitante et renforcées par l’arrêté préfectoral. Il a relevé que le choix d’implantation en dehors des zones à enjeux, le nombre limité d’éoliennes, l’augmentation de la garde au sol, et l’adaptation du calendrier des travaux à la période de nidification constituaient un ensemble cohérent de mesures d’évitement et de réduction. La cour a estimé que ces dispositions, combinées, étaient de nature à prévenir efficacement les risques de collision et de perturbation. L’analyse montre que le juge ne se contente pas de l’existence de mesures, mais en apprécie la pertinence et l’adéquation par rapport aux enjeux écologiques identifiés sur le site.
B. La validation d’une approche fondée sur le suivi et la correction
Au-delà des mesures initiales, la décision accorde une importance déterminante au dispositif de suivi post-implantation. L’arrêté attaqué prévoyait non seulement un suivi de mortalité, mais aussi un suivi d’activité des chiroptères en hauteur de nacelle, afin d’ajuster le bridage des éoliennes. Le juge souligne que ce dispositif est conçu pour être adaptatif : en cas d’impact significatif constaté, des mesures correctives devront être mises en place et leur efficacité vérifiée par un nouveau suivi. Ce mécanisme de surveillance et d’ajustement constitue, pour la cour, une garantie que le projet ne portera pas d’atteinte durable aux populations d’espèces protégées.
En validant cette approche, le juge administratif admet qu’un projet peut être autorisé même en présence d’une incertitude sur son impact résiduel, à la condition qu’un protocole de suivi rigoureux soit mis en place pour maîtriser ce risque dans la durée. L’arrêt considère que « le projet autorisé par l’arrêté litigieux comprend un dispositif de suivi permettant d’évaluer l’efficacité des mesures d’évitement et de réduction et, le cas échéant, de prendre toute mesure supplémentaire nécessaire ». Cette position pragmatique reconnaît l’impossibilité d’un risque zéro et privilégie une gestion dynamique et corrective des impacts environnementaux, sous le contrôle de l’administration. Par conséquent, le risque n’étant pas jugé « suffisamment caractérisé » au départ, la nécessité d’une dérogation est écartée.