Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 30 septembre 2025, n°23BX01484

En droit de la fonction publique, la reconnaissance d’un accident de service ouvre droit à une protection pour l’agent, dont le terme est marqué par la date de consolidation de son état de santé. Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 30 septembre 2025 vient préciser les modalités d’appréciation de cette consolidation, tant sur le plan procédural que sur le fond. En l’espèce, une agente territoriale avait été victime d’une crise de panique sur son lieu de travail, événement reconnu imputable au service par l’autorité administrative. Toutefois, par un second arrêté pris le même jour, l’administration avait fixé la date de consolidation de son état de santé au jour même de l’accident.

L’agente a contesté cette décision devant le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande. Saisie en appel, la requérante soutenait principalement que l’avis de la commission de réforme, sur lequel l’administration s’était appuyée, était irrégulier en raison de l’absence d’un médecin spécialiste en psychiatrie. Elle arguait également que l’administration avait commis une erreur d’appréciation en ne tenant pas compte de la persistance de ses troubles psychologiques postérieurement à l’accident. La question soumise au juge d’appel était double. D’une part, l’absence d’un médecin spécialiste au sein de la commission de réforme vicie-t-elle systématiquement son avis lorsque l’agent présente une pathologie relevant de cette spécialité ? D’autre part, la fixation de la date de consolidation au jour même de l’accident de service constitue-t-elle une erreur d’appréciation lorsque l’agent fait état de troubles psychiques persistants ?

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge d’abord que la régularité de l’avis de la commission de réforme ne dépend pas de la présence formelle d’un spécialiste, dès lors que cet organe a pu se prononcer en pleine connaissance de cause grâce aux pièces médicales spécialisées versées au dossier. Ensuite, elle estime que la date de consolidation n’est pas entachée d’erreur d’appréciation, car aucun élément ne permettait d’établir que l’état de santé de l’agente, en lien exclusif avec l’accident, ne s’était pas stabilisé le jour même.

L’arrêt confirme ainsi une approche pragmatique du contrôle des avis des instances médicales (I), tout en validant une appréciation stricte et factuelle de la notion de consolidation (II).

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I. La validation d’une approche pragmatique du contrôle de la commission de réforme

La cour administrative d’appel, pour écarter le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure, adopte une appréciation souple de la composition de la commission de réforme (A), ce qui confirme la portée limitée d’un tel argument contentieux lorsque les droits de l’agent sont préservés (B).

A. L’appréciation souple de la composition de la commission

La composition de la commission de réforme est encadrée par des textes réglementaires qui prévoient l’adjonction d’un médecin spécialiste « s’il y a lieu ». La requérante estimait qu’en présence d’une pathologie d’ordre psychiatrique, la présence d’un tel spécialiste était indispensable pour éclairer l’avis de la commission. Or, le juge ne suit pas cette analyse et se livre à une appréciation concrète des garanties offertes à l’agent. Il relève que la commission, bien que composée uniquement de généralistes, disposait de nombreux documents pertinents, notamment des rapports émanant d’un psychiatre et de psychologues, qui avaient été fournis par l’agente elle-même.

En jugeant que ces éléments suffisaient pour que la commission se prononce valablement, la cour privilégie la qualité de l’information détenue par l’instance sur sa composition formelle. Elle considère que la garantie essentielle pour l’agent réside dans le fait que la décision administrative soit précédée d’un avis émis par une instance éclairée sur sa situation médicale. Comme le formule l’arrêt, « l’absence de médecin spécialiste en psychiatrie au sein de la commission n’a pas privé l’intéressée de la garantie que constitue pour l’agent le fait que la commission de réforme soit éclairée, s’il y a lieu, par un médecin spécialiste de sa pathologie ». Cette solution pragmatique évite qu’une simple omission formelle, sans incidence sur le fond de l’avis, ne conduise à une annulation.

B. La portée limitée du moyen tiré de l’irrégularité procédurale

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence administrative bien établie qui tend à ne sanctionner un vice de procédure que si celui-ci a exercé une influence sur le sens de la décision prise ou a privé l’intéressé d’une garantie. En l’espèce, la cour estime que la garantie d’un examen éclairé de la situation de l’agent a été respectée, malgré l’absence physique du spécialiste. Le fait que la commission ait pu fonder son avis sur des pièces spécialisées versées au dossier a été jugé suffisant pour purger le vice de procédure allégué.

La décision rappelle ainsi que la charge de la preuve repose sur le requérant, qui doit démontrer en quoi l’irrégularité procédurale a concrètement lésé ses droits. En validant un avis rendu dans ces conditions, le juge administratif confirme que le contrôle de la régularité des consultations préalables ne saurait se limiter à une simple vérification formelle des règles de composition des instances. Cette approche renforce la stabilité des décisions administratives tout en s’assurant que les droits des agents à un examen complet de leur dossier sont matériellement satisfaits. La procédure étant jugée régulière, le juge a pu ensuite se pencher sur le bien-fondé de la date de consolidation retenue.

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II. La confirmation d’une appréciation stricte de la date de consolidation

Pour rejeter le second argument de la requérante, la cour opère une dissociation rigoureuse entre l’accident de service et le contexte professionnel général de l’agent (A), ce qui la conduit à valider une appréciation souveraine des faits par l’administration (B).

A. La dissociation de l’accident de service et du contexte professionnel global

Le point central de l’argumentation de l’agente reposait sur la persistance de ses troubles psychologiques bien après le 10 septembre 2019, date de l’accident. La cour administrative d’appel va toutefois procéder à une analyse très ciblée. Elle rappelle que la date de consolidation est celle où les lésions résultant de l’accident se sont fixées et ont pris un caractère permanent, de sorte qu’un traitement n’est plus susceptible d’apporter une amélioration à l’état de la victime. Le juge va alors soigneusement distinguer les conséquences directes de l’accident des autres affections de l’agent.

L’arrêt relève que si l’agente produit des pièces médicales faisant état d’une souffrance psychique, ces dernières attestent d’une situation de mal-être liée à sa situation professionnelle depuis plusieurs mois. Le juge en déduit qu’aucun document ne démontre spécifiquement que son état de santé, « exclusivement lié à l’accident de service du 10 septembre 2019, n’aurait pas été stabilisé à cette même date ». Cette distinction est fondamentale : la protection liée à l’accident de service ne couvre que les préjudices qui en découlent directement, à l’exclusion des pathologies préexistantes ou connexes relevant d’un contexte plus large de risques psychosociaux. En opérant cette dissociation, la cour justifie la possibilité d’une consolidation très rapide pour un événement isolé et ponctuel.

B. L’appréciation factuelle souveraine de la stabilisation de l’état de santé

En retenant qu’aucun élément probant ne contredisait la stabilisation de l’état de santé de l’agente au jour même de l’accident, le juge confirme la validité de l’arrêté municipal. Il exerce ici un contrôle restreint à l’erreur d’appréciation, sans substituer sa propre évaluation médicale à celle de l’administration, elle-même éclairée par l’avis de la commission de réforme et un rapport d’expertise. Le fait que l’agente, après son passage aux urgences, ait repris le travail, conforte l’analyse d’un trouble bref et rapidement résolu.

Si la fixation d’une date de consolidation au jour même de l’accident peut paraître surprenante, elle est juridiquement admissible pour des incidents mineurs dont les effets sont instantanés et non évolutifs. La décision est donc avant tout une décision d’espèce, fortement conditionnée par les éléments factuels du dossier et notamment l’absence de preuve d’un lien de causalité direct et exclusif entre l’accident ponctuel et la persistance des troubles anxieux. Cet arrêt illustre la rigueur de l’appréciation du juge administratif et le poids de la charge de la preuve qui pèse sur l’agent souhaitant contester une date de consolidation fixée par l’administration.

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Hassan KOHEN
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