Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 30 septembre 2025, n°23BX02014

Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 30 septembre 2025 offre un éclairage sur les modalités d’indemnisation des droits à congé d’un agent public contractuel à la fin de sa relation de travail. En l’espèce, un fonctionnaire d’État détaché occupait les fonctions de directeur au sein d’une régie locale en vertu d’un contrat de droit public. Cet agent a fait l’objet d’un licenciement pour motif disciplinaire, entraînant sa réintégration dans son administration d’origine. Il a alors sollicité de son ancien employeur le versement d’une indemnité compensatrice pour ses congés annuels non pris ainsi que pour les jours inscrits sur son compte épargne-temps. L’établissement public ayant opposé un refus, l’agent a saisi la juridiction administrative. Par un jugement du 2 mai 2023, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté sa demande. L’agent a interjeté appel de cette décision, maintenant ses prétentions indemnitaires. Il soutenait que le droit de l’Union européenne lui ouvrait droit à l’indemnisation de ses congés annuels et qu’un protocole d’accord interne à la régie devait permettre la monétisation de son compte épargne-temps. Se posait donc la double question de savoir, d’une part, si un agent public licencié pour faute peut prétendre à une indemnité pour ses congés non pris, et d’autre part, si un protocole d’accord peut, en l’absence de délibération formelle de l’organe compétent, fonder un droit à l’indemnisation des jours épargnés sur un compte épargne-temps. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant qu’aucun droit acquis à l’indemnisation des congés annuels n’était établi et que la monétisation du compte épargne-temps était subordonnée à une délibération que le protocole invoqué ne pouvait remplacer.

I. Le droit à l’indemnisation des congés annuels, un principe conditionné

A. Une application mesurée du droit de l’Union européenne

La cour administrative d’appel rappelle avec précision la primauté du droit au congé annuel payé, qualifié de « principe général du droit social communautaire » par la Cour de Justice de l’Union européenne. Elle se fonde sur l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui impose aux États membres de garantir à tout travailleur un congé d’au moins quatre semaines ne pouvant être remplacé par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. Le juge en déduit que les dispositions nationales, notamment l’article 5 du décret du 26 novembre 1985 qui prohibe en principe le report et l’indemnisation des congés non pris, doivent être écartées lorsqu’elles s’opposent à ce droit fondamental. Toutefois, cette mise à l’écart n’est pas absolue ; elle ne vaut que dans la mesure où l’agent a été « dans l’impossibilité de prendre ses congés annuels pour des raisons indépendantes de sa volonté ». Cette interprétation établit un juste équilibre, évitant qu’un agent puisse délibérément omettre de prendre ses congés pour en obtenir une compensation financière, tout en protégeant celui qui en a été empêché par des contraintes de service ou des raisons de santé. La solution confirme que le droit à indemnisation n’est pas un droit automatique à la monétisation, mais une garantie subsidiaire du droit effectif au repos.

B. Le rejet de la demande face à l’absence d’impossibilité avérée

En appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour opère une distinction rigoureuse entre les droits afférents à l’année 2020 et ceux de l’année 2021. Concernant l’année 2020, il est jugé que l’agent « n’établit pas avoir demandé ni à fortiori obtenu de la collectivité une autorisation exceptionnelle pour reporter ses congés ». De plus, il n’a pas démontré avoir été dans l’impossibilité de les prendre, que ce soit pour des raisons de service ou de santé. Faute de droit acquis au report, la demande d’indemnisation est logiquement écartée, les dispositions restrictives du droit national retrouvant leur pleine application. Quant à l’année 2021, la cour constate, par une analyse factuelle de son solde, que l’agent a épuisé l’intégralité de ses droits entre les jours pris et ceux versés sur son compte épargne-temps. La décision, sur ce point, est une simple application des faits au droit, mais elle réaffirme que la charge de la preuve de l’impossibilité de prendre ses congés pèse sur l’agent qui en demande réparation. Le licenciement pour motif disciplinaire, bien que non explicitement invoqué comme un obstacle à l’indemnisation, ne confère en lui-même aucun droit supplémentaire à l’agent.

II. La monétisation du compte épargne-temps, une faculté subordonnée

A. La compétence exclusive de l’organe délibérant

L’arrêt rappelle avec force une règle fondamentale du droit de la fonction publique territoriale : l’indemnisation des jours accumulés sur un compte épargne-temps (CET) n’est pas un droit de principe, mais une simple faculté. Conformément à l’article 3-1 du décret du 26 août 2004, cette possibilité doit être expressément prévue par une délibération de l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement public. En l’absence d’une telle délibération, la seule option pour l’agent est d’utiliser ses jours épargnés sous forme de congés. La cour en conclut que l’autorité administrative se trouve en situation de « compétence liée pour rejeter » une demande d’indemnisation si aucune délibération n’a été prise en ce sens. Cette solution orthodoxe renforce le principe de légalisme et le parallélisme des formes. Seul l’organe qui a le pouvoir de créer l’établissement et d’en fixer les règles générales de fonctionnement est habilité à décider d’une mesure ayant un impact financier aussi direct. Cette exigence garantit une gestion saine et transparente des deniers publics, en soumettant de telles options à un contrôle démocratique et collégial.

B. L’inefficacité juridique d’un protocole d’accord dérogatoire

L’agent tentait de contourner l’absence de délibération en se prévalant d’un protocole d’accord signé en 2013 et modifié en 2020, qui prévoyait une possible compensation financière des jours du CET en cas de licenciement. La cour écarte fermement cet argument en jugeant que le protocole « ne saurait se substituer » à la délibération requise. Cette affirmation réaffirme sans ambiguïté la hiérarchie des normes internes à l’administration. Un protocole, même signé par la direction et les organisations syndicales, a une valeur juridique inférieure aux décrets et ne peut donc pas déroger à une condition de fond posée par une norme réglementaire. Le juge ajoute, presque à titre surabondant, que le protocole lui-même ne fixait pas « les modalités d’indemnisation éventuelle », ce qui le rendait de toute façon inapplicable. Enfin, la cour prend soin de noter que l’agent ne perd pas ses droits, puisqu’il « conserve les droits qu’il a acquis au titre de son compte épargne-temps » à l’occasion de sa réintégration dans son administration d’origine. La solution est donc équilibrée : elle refuse la monétisation en l’absence de fondement légal adéquat, mais préserve le bénéfice des jours épargnés pour un usage ultérieur conforme à leur finalité première, qui est la prise de repos.

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