Par un arrêt en date du 30 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’une ressortissante étrangère, mère d’un enfant français. En l’espèce, une étrangère, entrée sur le territoire national en 2014, s’est vue notifier par l’autorité préfectorale un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français, assorti d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’intéressée avait eu d’une précédente union un enfant né en France, et donc de nationalité française, dont elle assurait la charge. Saisie d’un recours en annulation, la juridiction de première instance a rejeté la demande. La requérante a alors interjeté appel du jugement, soutenant principalement qu’en sa qualité de mère d’un enfant français contribuant à son entretien et à son éducation, elle ne pouvait faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Se posait dès lors la question de savoir si la contribution effective à l’entretien et à l’éducation d’un enfant français, condition à la délivrance de plein droit d’un titre de séjour, peut être considérée comme établie sur la base de justificatifs attestant d’un soutien matériel et affectif intermittent. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que les éléments produits par la requérante n’étaient pas suffisants pour prouver une contribution effective et continue. Elle a en conséquence jugé que l’administration n’était pas tenue de lui délivrer un titre de séjour et a validé la légalité de la mesure d’éloignement.
L’appréciation rigoureuse par le juge de la condition de contribution effective à l’éducation d’un enfant français (I) conduit à une application restrictive des protections liées à la vie privée et familiale, reléguant au second plan l’intérêt supérieur de l’enfant (II).
I. L’appréciation rigoureuse de la condition de contribution à l’entretien de l’enfant
La décision commentée illustre la démarche du juge administratif, qui procède à une vérification concrète et exigeante de la contribution parentale (A) avant d’appliquer sans détour les récentes évolutions législatives qui restreignent les protections contre l’éloignement (B).
A. La confirmation d’un contrôle de l’effectivité de la contribution parentale
Le droit au séjour de l’étranger parent d’un enfant français est subordonné à la condition qu’il « établit contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ». En l’espèce, la cour administrative d’appel se livre à un examen détaillé des preuves apportées par la mère pour justifier de cette contribution. La juridiction écarte les éléments présentés, au motif que la requérante « se borne à se prévaloir de son audition […] dans laquelle elle a indiqué que le père de l’enfant prenait en charge l’enfant les week-end et les vacances et lui donnait un peu d’argent, ainsi que de photos, de vidéos et d’une attestation […] révélant l’attachement du père à son enfant et des preuves de virements depuis février 2025 ». La cour juge que de tels éléments ne permettent pas d’établir l’effectivité de la contribution, notamment en l’absence de versements financiers réguliers et établis sur une période significative.
Cette approche factuelle réaffirme que la charge de la preuve pèse entièrement sur le parent étranger, qui doit fournir des éléments objectifs, continus et vérifiables. La simple existence d’un lien affectif ou d’une aide matérielle ponctuelle est jugée insuffisante. Ce faisant, la juridiction administrative confère sa pleine portée à l’adverbe « effectivement » inscrit à l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et refuse de présumer l’existence de cette contribution à partir du seul lien de filiation. La solution s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui exige des preuves tangibles de l’implication parentale.
B. La consécration d’un durcissement législatif en matière d’éloignement
La décision met également en lumière les conséquences directes de la modification de l’article L. 611-3 du même code, intervenue en janvier 2024. Le juge rappelle que dans sa nouvelle rédaction, ce texte « ne prévoit plus que l’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ». Cette évolution législative a supprimé une immunité importante qui protégeait auparavant les parents d’enfants français contre les mesures d’éloignement, sous réserve de leur contribution effective.
En appliquant cette nouvelle disposition, la cour entérine le choix du législateur de réduire le champ des protections absolues contre l’éloignement. La qualité de parent d’un enfant français ne constitue donc plus un obstacle juridique dirimant à l’édiction d’une obligation de quitter le territoire. Elle devient un simple élément d’appréciation de la situation personnelle de l’étranger, examiné notamment au regard du droit au respect de la vie privée et familiale. Cette application littérale du nouveau texte confirme un net durcissement du droit des étrangers et limite la marge d’appréciation du juge sur ce fondement.
II. La portée limitée des garanties liées à la vie privée et à l’intérêt de l’enfant
Une fois le caractère non établi de la contribution parentale acté, la cour procède à une mise en balance des intérêts en présence qui s’avère défavorable à la requérante. Cette analyse conduit à une application mesurée de la protection de la vie privée et familiale (A) et à une interprétation pragmatique de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. Une mise en balance classique au détriment de la vie privée et familiale
La requérante invoquait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour examine alors l’ensemble des liens personnels et familiaux de l’intéressée en France. Elle reconnaît l’existence d’une vie familiale, marquée par la naissance de son enfant français et une relation passée avec un citoyen français. Toutefois, elle oppose à ces éléments la brièveté de son intégration, l’absence de stabilité de ses liens, la persistance d’attaches familiales dans son pays d’origine, et surtout le fait qu’elle avait déjà fait l’objet d’une précédente mesure d’éloignement.
La cour conclut que la décision d’éloignement « n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ». Cette motivation révèle une application classique du contrôle de proportionnalité, où l’irrégularité du séjour et les antécédents administratifs de l’étranger pèsent lourdement dans la balance. L’intensité des liens en France n’est pas jugée suffisante pour l’emporter sur les considérations d’ordre public et de maîtrise des flux migratoires, ce qui illustre une conception exigeante de l’intégration comme condition à la protection de la vie privée.
B. Une conception restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant
Conformément à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant. Le juge examine cet intérêt mais aboutit à une conclusion qui ne fait pas obstacle à l’éloignement de la mère. Il retient d’une part que le père, bien que présent sur le territoire, ne contribue pas de manière substantielle à l’entretien de l’enfant, et d’autre part, que « compte tenu du jeune âge de l’enfant […] la décision attaquée ne fait pas obstacle à ce qu’il se retourne dans le pays d’origine de sa mère ».
Cette approche témoigne d’une vision pragmatique de l’intérêt de l’enfant, apprécié principalement sous l’angle de sa capacité d’adaptation. Le juge estime que la cellule familiale pourra se reconstituer dans le pays d’origine et que le jeune âge de l’enfant facilite cette transition. Si cette analyse est juridiquement fondée, elle réduit l’intérêt de l’enfant à sa dimension matérielle et géographique, sans explorer en profondeur les conséquences psychologiques ou sociales de la rupture avec son environnement et l’un de ses parents. La décision confirme ainsi que, si l’intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale, il ne s’impose pas de manière absolue et peut être mis en balance avec d’autres impératifs, notamment le contrôle de l’immigration.