Par un arrêt rendu le 4 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux précise les conditions de légalité du retrait d’une décision de protection fonctionnelle. Un agent communal avait obtenu cette garantie suite à des propos malveillants tenus sur des blogs depuis plusieurs années par un élu d’opposition. Cependant, l’auteur de ces critiques, devenu maire de la commune, a décidé de retirer l’arrêté initial accordant ladite protection.
L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 24 novembre 2022. Le requérant soutient devant la juridiction d’appel que le maire était incompétent pour agir en raison de sa partialité manifeste. La question posée aux juges consiste à savoir si une autorité administrative peut valablement retirer une décision de protection visant ses propres agissements.
La cour annule le jugement et l’arrêté contesté en soulignant que le signataire de l’acte ne pouvait statuer sans méconnaître le principe d’impartialité. L’examen de cette décision permet d’étudier l’exigence d’impartialité de l’autorité administrative avant d’analyser les conséquences du retrait illégal d’un acte créateur de droits.
I. L’exigence d’impartialité de l’autorité administrative dans l’octroi de la protection fonctionnelle
A. L’incompétence de l’auteur de l’acte en raison d’un conflit d’intérêts manifeste
La cour rappelle que le supérieur hiérarchique mis en cause par des actes graves ne peut régulièrement statuer sur la demande de protection. Cette règle s’applique même si l’intéressé demeure en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision au nom de la collectivité. En l’espèce, le maire avait personnellement diffusé des critiques intenses sur un blog satirique pendant plusieurs années avant son élection.
La juridiction souligne que « le signataire de l’arrêté attaqué ne pouvait légalement, sans manquer d’impartialité, procéder au retrait » de la décision initiale. Le conflit d’intérêts entre l’autorité administrative et l’agent demandeur rend l’acte administratif entaché d’un vice de procédure particulièrement substantiel. L’impossibilité de statuer de manière neutre entraîne nécessairement l’illégalité de la décision prise par l’auteur des attaques initiales.
B. Le dépassement du cadre normal du pouvoir hiérarchique
La protection fonctionnelle ne s’applique normalement pas aux différends survenant entre un agent public et son supérieur dans le cadre du service. Toutefois, il en va différemment quand les actes sont « par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ». Les propos reprochés ici accusaient notamment l’agent de faire partie d’une loge de copains obtenant des fonctions municipales sans aucun concours.
La cour estime que l’intensité de la critique et son caractère personnel démontrent une situation conflictuelle dépassant largement le cadre d’une campagne politique. Ces circonstances particulières justifient l’application exceptionnelle de la protection contre les agissements d’un supérieur hiérarchique dont la neutralité est absente. Cette incompétence liée à la situation conflictuelle justifie l’annulation de l’acte et permet d’envisager les suites juridiques attachées au rétablissement de la protection.
II. Les conséquences du retrait illégal d’une décision créatrice de droits
A. La sanction du manquement au devoir de neutralité de l’administration
L’annulation de l’arrêté de retrait restaure les effets de la décision du 25 juin 2020 qui accordait le bénéfice de la protection. Le juge administratif sanctionne ici une autorité qui s’est comportée comme juge et partie dans un litige la concernant directement. Le principe d’impartialité constitue une garantie fondamentale permettant de protéger les administrés contre l’arbitraire ou les règlements de comptes personnels.
La cour administrative d’appel de Bordeaux refuse de valider une procédure où le maire statue sur la défense contre ses propres écrits. Cette solution garantit que l’exercice des prérogatives de puissance publique reste toujours au service de l’intérêt général et non d’intérêts privés. La méconnaissance d’une règle de procédure aussi essentielle conduit à l’éviction définitive de l’acte de retrait de l’ordonnancement juridique.
B. Une protection renforcée de l’agent public face aux critiques personnelles
L’arrêt confirme que la collectivité doit protéger ses agents contre les menaces ou les diffamations, sauf si un motif d’intérêt général s’y oppose. En l’occurrence, le caractère outrageant des propos tenus par le futur maire justifiait pleinement le maintien de la protection fonctionnelle initiale. La décision souligne que l’administration doit couvrir les frais de défense de l’agent mis en cause à raison de ses fonctions administratives régulières.
Par cette position, la juridiction d’appel assure une continuité de la protection juridique malgré les changements intervenus au sein de l’exécutif local. Le droit à la protection devient alors une garantie effective face à des attaques personnelles qui pourraient compromettre le bon fonctionnement du service. La solution retenue protège l’agent contre les conséquences d’un conflit personnel importé dans la sphère de la gestion administrative communale.