Un agent public, affecté depuis 2010 au sein d’un service du ministère des armées, a sollicité la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un accident qu’il estimait avoir subi le 5 juin 2020. Cette demande se fondait sur un certificat médical faisant état d’une anxiété généralisée réactionnelle à un stress professionnel. Après avoir repris ses fonctions au début du mois de juin 2020, l’agent avait constaté, en consultant un logiciel de gestion des ressources humaines, que son poste était supprimé et qu’il était répertorié sous un statut particulier signifiant une affectation hors du cadre organisationnel. L’intéressé a interprété cette situation comme une marque de déconsidération de la part de sa hiérarchie et a déclaré un accident de service.
L’administration a refusé de reconnaître l’imputabilité au service par une décision du 15 mars 2021. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d’annulation de cette décision par un jugement du 14 décembre 2022. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la régularité de la procédure consultative préalable et l’appréciation des faits par l’administration. Il soutenait que la découverte de la suppression de son poste constituait un événement soudain et traumatisant qui devait être qualifié d’accident de service. L’administration, pour sa part, maintenait que cette mesure relevait de l’exercice normal de son pouvoir d’organisation dans le cadre d’une restructuration de services.
La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était donc de déterminer si la prise de connaissance par un agent de la modification de sa situation administrative, dans le contexte d’une réorganisation de service, peut être qualifiée d’accident de service au sens des dispositions applicables à la fonction publique.
Par un arrêt du 4 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la requête de l’agent. Elle juge que la circonstance que le poste de l’intéressé « ait été classé HRO à l’occasion d’une réorganisation des services ne manifeste pas un exercice anormal du pouvoir hiérarchique à l’égard de l’intéressé et ne saurait être regardée comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service ». La cour écarte ainsi la qualification d’accident de service, estimant que les faits ne remplissent pas les critères légaux, notamment celui de la soudaineté d’un événement se détachant du cours normal du service.
L’analyse de cette décision conduit à examiner la conception restrictive de l’accident de service retenue par le juge administratif (I), avant d’envisager la distinction qu’elle opère implicitement entre cet évènement ponctuel et la gestion des risques psychosociaux (II).
***
**I. La confirmation d’une conception stricte de l’accident de service**
La cour administrative d’appel, pour refuser la qualification d’accident de service, applique de manière rigoureuse les critères définis par la loi et la jurisprudence. Elle se fonde sur une analyse objective de l’événement déclencheur, refusant de s’arrêter au seul ressenti de l’agent (A), ce qui la conduit à réaffirmer l’exigence d’un fait matériel anormal et soudain (B).
**A. Une appréciation objective de l’événement déclencheur**
La solution retenue par la cour repose sur une dissociation claire entre le choc psychologique subjectivement éprouvé par l’agent et la nature objective de l’événement qui en est à l’origine. Le requérant invoquait le traumatisme né de la découverte de la suppression de son poste, mais le juge se concentre sur la matérialité et la nature de la mesure administrative elle-même. La cour relève que le classement du poste en catégorie « HRO » s’inscrivait dans une procédure prévue par les textes relatifs aux restructurations du ministère. Par conséquent, cette mesure relevait de l’exercice normal du pouvoir d’organisation de l’administration.
En jugeant que cette circonstance « ne manifeste pas un exercice anormal du pouvoir hiérarchique », la cour écarte l’idée qu’une décision administrative régulière puisse, en elle-même, constituer un fait accidentel. Le caractère légal et réglementaire de la procédure de réorganisation prime sur la perception qu’en a l’agent. Cette approche s’inscrit dans une logique jurisprudentielle constante qui refuse d’assimiler les difficultés professionnelles, même sources d’une vive anxiété, à un accident de service, dès lors qu’elles ne résultent pas d’une action anormale de l’employeur. La souffrance morale, bien que réelle, ne suffit pas à transformer un acte de gestion en accident.
**B. Le maintien de l’exigence d’un fait matériel, soudain et anormal**
La décision réaffirme la définition même de l’accident de service, tel qu’il est présumé imputable au service par l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Cette présomption ne joue que pour un événement survenu « dans le temps et le lieu du service », lequel doit présenter un caractère de soudaineté. Le juge administratif contrôle si le fait invoqué par l’agent peut être précisément daté et s’il se distingue du déroulement habituel des fonctions. En l’espèce, la cour estime que la découverte d’une information dans un système informatique ne constitue pas « un événement soudain et violent ».
Cette formulation est significative, car elle oppose la simple prise de connaissance d’une situation, même déplaisante, à un fait matériel et extérieur qui viendrait perturber le cours normal du service. Un accident de service pourrait être une chute, une agression verbale d’une particulière intensité, ou encore un choc physique. La cour refuse d’étendre cette notion à une situation qui, bien que génératrice de stress, s’inscrit dans une temporalité et une logique administrative qui ne sont pas celles de l’imprévu. Ainsi, le processus de réorganisation, étalé dans le temps, ne peut se cristalliser en un accident unique à la date où l’agent en prend connaissance.
***
**II. La distinction entre l’accident de service et la prise en compte des risques psychosociaux**
En écartant la qualification d’accident de service, la cour ne nie pas la souffrance de l’agent mais la replace dans un autre cadre juridique. La décision souligne ainsi la frontière entre le régime de l’accident et celui, plus large, de la maladie professionnelle ou de la gestion des risques liés au travail (A), tout en rappelant les obligations de l’administration en matière d’accompagnement de ses agents (B).
**A. L’anxiété réactionnelle, une pathologie relevant davantage de la maladie professionnelle**
Le certificat médical initial produit par l’agent faisait état d’une « anxiété généralisée réactionnelle à un stress au travail ». Cette terminologie médicale évoque davantage un état pathologique qui s’installe progressivement qu’une lésion consécutive à un événement ponctuel. En droit de la fonction publique, une telle pathologie peut, sous certaines conditions, être reconnue comme une maladie contractée en service, notamment si elle est directement et essentiellement causée par l’exercice des fonctions. Ce régime juridique suppose de démontrer un lien de causalité sur la durée, et non de se prévaloir d’un fait accidentel unique.
En refusant la qualification d’accident, la cour invite implicitement à distinguer les régimes juridiques. La solution n’interdit pas à l’agent de chercher à faire reconnaître sa pathologie psychique comme une maladie professionnelle, mais cette voie suppose une instruction et une démonstration différentes. La décision a donc pour portée de préserver la spécificité du régime de l’accident de service, qui est conçu pour des événements brutaux et identifiables, et non pour des pathologies d’épuisement ou de stress chronique dont la survenance est un processus.
**B. Le rappel de l’obligation d’accompagnement de l’administration**
Bien qu’elle juge que l’administration n’a pas commis d’illégalité en refusant la qualification d’accident, la cour prend soin de relever des éléments factuels qui témoignent d’un certain accompagnement de l’agent. Elle note que la directrice du centre « a fait immédiatement part de son souhait de le conserver au sein des effectifs, sur un poste à définir dans le cadre d’un accompagnement par l’antenne mobilité-reclassement ». Cet élément, bien que non décisif pour la qualification juridique de l’accident, n’est pas neutre. Il suggère que l’exercice du pouvoir d’organisation, même s’il est légal, s’accompagne d’un devoir de diligence envers les agents concernés.
La décision, tout en étant défavorable au requérant sur le terrain de l’accident de service, rappelle en creux que l’administration est tenue de prendre en considération l’impact humain des réorganisations. En soulignant les mesures d’accompagnement proposées, le juge indique que la légalité d’une restructuration n’exonère pas l’employeur public de ses obligations en matière de prévention des risques psychosociaux et de reclassement. La solution, stricte sur le plan juridique, n’ignore donc pas la dimension humaine et managériale de la situation, contribuant à délimiter les responsabilités de chacun dans la gestion des transformations administratives.