Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 4 février 2025, n°24BX01768

Par un arrêt en date du 4 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la requête d’un ressortissant sierra-léonais dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 novembre 2023. Ce jugement avait confirmé la légalité d’un arrêté préfectoral refusant de lui accorder une admission exceptionnelle au séjour et l’obligeant à quitter le territoire français. L’intéressé, entré en France en 2017, avait sollicité la régularisation de sa situation en se prévalant notamment d’une insertion professionnelle dans un métier en tension, celui de maçon, et d’une promesse d’embauche. Le préfet de la Gironde avait rejeté sa demande par une décision du 6 mars 2023, estimant que les conditions d’une admission exceptionnelle au séjour n’étaient pas remplies. Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Bordeaux a validé l’analyse de l’administration. Devant la cour administrative d’appel, le requérant soutenait principalement que le préfet avait commis une erreur manifeste d’appréciation en n’examinant pas suffisamment sa qualification et son expérience au regard de l’emploi proposé. Il invoquait également une méconnaissance de son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si une expérience professionnelle de courte durée, assortie d’une simple promesse d’embauche dans un métier en tension, suffisait à constituer un motif exceptionnel d’admission au séjour au sens de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. D’autre part, il lui revenait d’apprécier si les liens sociaux tissés en France par le requérant étaient d’une intensité telle que la décision de l’éloigner portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La cour administrative d’appel répond par la négative à ces deux interrogations, considérant que les éléments avancés par le requérant étaient insuffisants pour justifier une régularisation de sa situation. En confirmant le refus de séjour, la cour rappelle la portée limitée de l’admission exceptionnelle au séjour fondée sur le travail, qui demeure subordonnée à une appréciation souveraine de l’administration et à la preuve d’une intégration professionnelle effective et non seulement potentielle.

La décision de la cour administrative d’appel s’inscrit dans une approche rigoureuse de l’admission exceptionnelle au séjour, en exigeant une démonstration concrète et significative de l’intégration professionnelle du demandeur (I). Cette sévérité se retrouve également dans l’appréciation des liens personnels de l’intéressé, jugés insuffisants pour faire obstacle à la mesure d’éloignement, consacrant une interprétation restrictive de la protection de la vie privée (II).

I. L’exigence d’une intégration professionnelle avérée pour l’admission exceptionnelle au séjour

La cour administrative d’appel confirme la méthode d’analyse que l’autorité administrative doit suivre pour une demande de régularisation sur le fondement de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle réaffirme le large pouvoir d’appréciation du préfet en la matière (A) avant de procéder à une application stricte des critères, en particulier celui de l’expérience professionnelle (B).

A. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration dans l’examen des motifs exceptionnels

L’arrêt rappelle de manière didactique la démarche qui s’impose à l’administration lorsqu’elle est saisie d’une demande de titre de séjour sur le fondement de l’admission exceptionnelle. La cour précise qu’il appartient au préfet « de vérifier, dans un premier temps, si l’admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d’une carte portant la mention « vie privée et familiale » répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s’il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » ». Cette instruction méthodologique n’est pas nouvelle mais souligne le caractère subsidiaire de la régularisation par le travail par rapport à celle fondée sur des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels d’ordre privé et familial.

Par ailleurs, la cour prend soin de souligner que la production d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail ne saurait suffire à elle seule à caractériser l’existence de « motifs exceptionnels ». Une telle circonstance ne lie pas l’administration, qui conserve une pleine marge d’appréciation pour évaluer la situation globale du demandeur. Le contrôle exercé par le juge administratif sur cette évaluation est un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, en validant le refus du préfet, la cour confirme que l’administration n’a pas commis une telle erreur, ce qui témoigne du caractère éminemment discrétionnaire de la décision de régularisation. Le juge se refuse ainsi à substituer sa propre appréciation à celle de l’administration, dès lors que cette dernière n’est pas entachée d’une erreur grossière.

B. L’exigence d’une expérience professionnelle substantielle et documentée

Le cœur de l’argumentation du requérant reposait sur son insertion par le travail dans un secteur en tension. La cour procède à un examen factuel méticuleux pour conclure que cette insertion n’est pas suffisamment établie. Elle relève que l’intéressé ne justifie d’aucun diplôme ou qualification en maçonnerie, et que l’expérience qu’il allègue avoir acquise dans son pays d’origine n’est étayée par aucune pièce. S’agissant de son parcours en France, la cour note qu’il a bien occupé un emploi de manœuvre maçon, mais pour une durée limitée de cinq mois en 2020. De plus, la promesse d’embauche datant de 2021 et la demande d’autorisation de travail de 2022 n’ont pas été suivies d’effets concrets, l’intéressé n’ayant pas démontré avoir effectivement travaillé pour l’entreprise concernée.

La cour en déduit que l’exercice du métier de maçon « pendant une durée inférieure à six mois » est « insuffisante pour caractériser une expérience en cette qualité ». Cette appréciation quantitative démontre que, même pour un métier en tension, la seule potentialité d’emploi ne suffit pas. Le juge administratif exige la preuve d’une expérience significative et stabilisée, qui fait défaut en l’espèce. La décision illustre ainsi une jurisprudence constante qui refuse d’assimiler une simple opportunité d’emploi à un véritable motif exceptionnel d’intégration. En l’absence d’une insertion professionnelle avérée et durable, la demande de régularisation par le travail ne pouvait prospérer, ce qui justifiait également, selon le même raisonnement, le refus d’un titre « vie privée et familiale » pour ce motif.

II. Une conception restrictive de la protection de la vie privée face à l’irrégularité du séjour

Après avoir écarté les motifs professionnels, la cour examine l’atteinte alléguée au droit au respect de la vie privée et familiale. Elle adopte là encore une position rigoureuse, considérant que les liens personnels de l’intéressé en France sont trop ténus pour faire obstacle à son éloignement (A), ce qui confirme une orthodoxie jurisprudentielle en la matière (B).

A. La prévalence de l’irrégularité du séjour sur les liens sociaux et personnels

Le requérant invoquait la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour écarter ce moyen, la cour examine les différents aspects de sa vie privée en France. Elle note d’abord que s’il se dit père de deux enfants, il « ne produit aucun élément de nature à établir qu’ils seraient présents sur le territoire français ni davantage qu’il contribuerait à leur entretien et à leur éducation ». L’absence de vie familiale constituée sur le territoire national prive ainsi son argumentation d’un fondement essentiel.

La cour prend ensuite en compte d’autres éléments d’intégration, tels que son implication dans une association sportive et son bénévolat au sein d’une banque alimentaire. Toutefois, elle juge que ces éléments, tout comme ses « quelques expériences professionnelles », ne permettent pas de justifier de « liens d’une particulière intensité » ni d’une « insertion professionnelle à la date de la décision attaquée ». La cour met en balance ces éléments avec l’irrégularité de sa situation, rappelant son entrée et son maintien sur le territoire en violation des lois en vigueur, et le fait qu’il ait déjà fait l’objet d’une précédente obligation de quitter le territoire français. Dans ce bilan, le caractère précaire de son intégration et l’irrégularité de son séjour l’emportent sur les attaches sociales qu’il a pu nouer, conduisant le juge à conclure que l’ingérence dans sa vie privée n’est pas disproportionnée.

B. Le rappel d’une orthodoxie jurisprudentielle en matière de régularisation

En définitive, cet arrêt s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie qui conditionne la régularisation des étrangers en situation irrégulière à des critères stricts. La décision illustre le fait que l’admission exceptionnelle au séjour, par nature dérogatoire, ne saurait devenir un mode d’accès au séjour de droit commun. Elle est réservée aux situations où l’intégration de l’étranger est si ancienne, si stable et si profonde qu’un refus de séjour heurterait des considérations humanitaires ou constituerait une erreur manifeste d’appréciation. Le cas d’espèce, marqué par une présence de plusieurs années mais une insertion professionnelle limitée et une vie familiale inexistante en France, n’entre manifestement pas dans ce cadre aux yeux du juge.

La solution réaffirme la primauté du contrôle des flux migratoires sur les situations individuelles qui ne présentent pas un caractère exceptionnel suffisamment marqué. Elle envoie un signal clair : ni la seule durée de présence, ni une promesse d’emploi dans un secteur en difficulté de recrutement ne suffisent à fonder un droit au séjour. Seule une appréciation globale, reposant sur des faits concrets et vérifiables témoignant d’une intégration réussie et durable, peut justifier une dérogation au principe selon lequel le séjour en France doit être préalablement autorisé. Cet arrêt, bien que constituant une décision d’espèce, est une illustration pédagogique de la rigueur avec laquelle le juge administratif applique les dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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