Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 4 mars 2025, n°23BX01075

Par un arrêt rendu le 4 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Bordeaux précise les limites du pouvoir discrétionnaire de l’administration dans l’attribution du complément indemnitaire annuel. Un agent occupant un poste de direction au sein d’un établissement public de coopération intercommunale contestait le montant de sa prime pour l’année 2020. L’autorité territoriale avait fixé cette indemnité à 1 900 euros alors que l’évaluation professionnelle de l’intéressée s’avérait particulièrement élogieuse. Le tribunal administratif de la Guadeloupe ayant annulé cette décision, la collectivité a interjeté appel devant la juridiction bordelaise. Elle soutenait notamment que l’enveloppe budgétaire allouée permettait d’ajuster le niveau général des primes sans modifier les plafonds réglementaires. La question posée au juge consistait à savoir si des contraintes budgétaires non étayées peuvent justifier une réduction drastique du complément indemnitaire annuel. La Cour confirme l’annulation en retenant une erreur manifeste d’appréciation commise par l’employeur public dans la fixation individuelle de cette prime. Le présent commentaire examinera d’abord l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’autorité territoriale avant d’analyser la sanction juridictionnelle de l’erreur d’appréciation.

**I. Le cadre du pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière indemnitaire**

La Cour rappelle que l’organe délibérant fixe librement la nature et les conditions d’attribution des indemnités dans le respect du principe de parité.

**A. L’autonomie de l’organe délibérant dans la définition du régime indemnitaire**

Selon l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, les collectivités territoriales fixent leurs régimes indemnitaires dans la limite de ceux des services de l’Etat. Il appartient ainsi à l’assemblée délibérante de déterminer « la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités bénéficiant aux fonctionnaires de la collectivité ». Cette liberté permet notamment de subordonner le bénéfice d’une prime à des conditions plus restrictives que celles applicables au sein de la fonction publique d’Etat. L’autorité territoriale dispose donc d’une marge de manœuvre importante pour adapter le régime indemnitaire aux spécificités et aux capacités financières de sa structure.

**B. La nécessaire corrélation entre les critères délibérés et la modulation individuelle**

Le complément indemnitaire annuel doit rester étroitement « lié à l’engagement professionnel et à la manière de servir » de chaque fonctionnaire concerné par la mesure. Si l’autorité peut ajuster le niveau des primes selon l’intérêt du service, elle doit impérativement respecter les plafonds fixés par la délibération cadre en vigueur. Dans cette affaire, l’administration prétendait avoir modulé le montant global versé aux agents pour tenir compte de l’enveloppe budgétaire affectée à cette dépense particulière. La Cour vérifie alors si l’application concrète de ces critères par l’autorité territoriale ne dénature pas les objectifs fixés initialement par l’organe délibérant local.

**II. La sanction de l’erreur manifeste d’appréciation face à des contraintes infondées**

Le juge administratif exerce un contrôle restreint sur les décisions individuelles d’attribution afin de censurer les choix administratifs manifestement disproportionnés ou erronés.

**A. L’exigence de preuve concernant les restrictions budgétaires invoquées**

L’administration arguait d’une baisse nécessaire des primes en raison de la diminution du budget affecté au complément indemnitaire annuel durant l’exercice considéré par le litige. La Cour relève pourtant qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que l’enveloppe budgétaire affectée à cette prime pour l’année 2020 aurait diminué ». Les plafonds indemnitaires n’avaient d’ailleurs fait l’objet d’aucune modification réglementaire de la part du conseil communautaire avant l’intervention de la décision attaquée. L’invocation de contraintes financières ne saurait donc dispenser l’autorité territoriale de justifier précisément la réalité et l’ampleur de la baisse de ses crédits.

**B. L’incohérence manifeste entre le mérite professionnel et l’indemnisation effective**

Le juge souligne que l’agent aurait dû être classé dans un groupe de fonctions supérieur compte tenu de ses responsabilités de direction fiscale. L’autorité avait admis que la manière de servir de l’intéressée correspondait à un taux de réussite de 92 % du plafond prévu par les textes. Pourtant, la somme attribuée ne représentait que « 42,22 % du montant du plafond de son groupe de fonction », ce qui constituait une discordance flagrante. Aucun élément extérieur ne justifiant une telle réduction, la décision attribuant l’indemnité est jugée « entachée d’erreur manifeste d’appréciation » par la Cour administrative d’appel. Cette solution protège ainsi les agents contre l’arbitraire budgétaire lorsque leur valeur professionnelle est explicitement reconnue par leur propre hiérarchie administrative.

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Hassan KOHEN
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