Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 février 2025, n°22BX02089

Une contribuable, gérante et associée unique d’une société exploitant un bar à champagne, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité ayant abouti à un rehaussement de l’impôt sur le revenu et des contributions sociales pour les années 2013 et 2014. L’administration fiscale, après avoir écarté la comptabilité de la société comme non probante, a reconstitué son chiffre d’affaires et a considéré les bénéfices supplémentaires comme des revenus distribués à l’associée unique. La contribuable a saisi le tribunal administratif de Bordeaux pour obtenir la décharge de ces impositions, mais sa demande fut rejetée par un jugement du 24 mai 2022. Elle a alors interjeté appel de cette décision, contestant tant la régularité de la procédure que le bien-fondé des rectifications et des pénalités appliquées. La question posée à la cour administrative d’appel de Bordeaux était de déterminer si l’administration pouvait légalement écarter une comptabilité pour défaut de justification des recettes et, le cas échéant, si les rehaussements de bénéfices qui en découlaient pouvaient être imposés comme revenus distribués au nom de l’associée unique, y compris avec l’application d’une majoration d’assiette. Par un arrêt du 6 février 2025, la cour a rejeté la requête, validant la procédure de l’administration et confirmant l’imposition. Elle a jugé que le caractère non probant de la comptabilité était établi, que la méthode de reconstitution des recettes n’était pas viciée et que les rehaussements constituaient des revenus distribués devant être imposés au nom de l’associée, confirmant par ailleurs la légalité de la majoration appliquée à ces revenus.

La décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux confirme avec fermeté le pouvoir de contrôle de l’administration fiscale face à une comptabilité jugée lacunaire, tout en tirant les conséquences financières les plus étendues pour l’associé qui en est le maître. Il convient ainsi d’analyser la consolidation des prérogatives de l’administration dans la reconstitution des bases imposables (I), avant d’examiner la portée de la présomption de distribution appliquée à l’associé unique (II).

I. La consolidation des prérogatives administratives dans la reconstitution des recettes

La cour valide le rejet de la comptabilité de l’entreprise et la méthode de reconstitution subséquente, réaffirmant les exigences de justification pesant sur le contribuable. Elle approuve ainsi le rejet d’une comptabilité jugée irrégulière au regard des justificatifs produits (A), puis elle légitime une méthode de reconstitution des recettes jugée cohérente (B).

A. Le rejet justifié d’une comptabilité jugée irrégulière

La cour administrative d’appel rappelle qu’une comptabilité ne peut être considérée comme probante si l’exploitant ne fournit pas les pièces justifiant le détail et la réalité de ses recettes. Elle énonce qu’il « appartient donc à l’entreprise contrôlée de produire les bandes de caisse enregistreuse journalières, dites « tickets Z », qui totalisent en fin de journée toutes les recettes TTC enregistrées ». Ces documents doivent permettre de vérifier la concordance entre les ventes déclarées et les achats comptabilisés. En l’espèce, le juge constate que les tickets produits mentionnaient des libellés imprécis tels que « divers champagne », « divers vins » ou encore « divers alcool », ne permettant pas de distinguer la nature exacte des produits vendus. Cette insuffisance de détail constitue une grave irrégularité, car elle empêche l’administration de mener un contrôle matériel des comptes. La cour estime que la contribuable ne parvient pas à « remettre sérieusement en cause les constats du service », balayant l’argument selon lequel elle n’aurait produit qu’une partie des pièces en sa possession. La charge de la preuve de la fiabilité de la comptabilité pèse donc entièrement sur le contribuable, qui doit fournir des documents suffisamment précis pour permettre un contrôle effectif.

Cette position rigoureuse justifie le recours par l’administration à une reconstitution des recettes, dont la cour va également examiner la méthode.

B. La validation d’une méthode de reconstitution jugée cohérente

La cour examine ensuite la méthode employée par l’administration pour reconstituer le chiffre d’affaires. Le service avait déterminé le montant des achats, isolé les consommations du personnel et les pertes, puis appliqué les prix de vente pour calculer les recettes. La requérante contestait notamment le taux de 10 % appliqué pour les pertes et offerts, qu’elle jugeait inadapté à son activité spécifique, et la marge retenue sur les ventes de champagne. La cour rejette ces arguments en soulignant que les affirmations de la contribuable, y compris les attestations produites, « se bornent à affirmer l’existence d’offerts sans permettre de corroborer les affirmations de Mme A… ». Le juge relève que l’administration s’est fondée sur « les données propres de l’établissement » pour calculer les marges, une approche qui n’est pas contestée dans ses éléments factuels. Il conclut qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’administration aurait utilisé une méthode « excessivement sommaire ou radicalement viciée dans son principe ». Cette solution confirme que, dès lors que la comptabilité est écartée, l’administration dispose d’une marge d’appréciation significative pour reconstituer les bases d’imposition, à condition que sa méthode ne soit pas arbitraire.

Une fois les recettes de la société reconstituées à la hausse, la cour examine les conséquences fiscales pour son associée unique.

II. L’imposition étendue des revenus distribués à l’associé unique

L’arrêt applique sans détour la présomption de distribution des bénéfices non déclarés au maître de l’affaire et confirme la validité des majorations fiscales associées. Il illustre ainsi l’application rigoureuse de la présomption de distribution (A), tout en validant la majoration d’assiette de ces revenus sur un fondement juridique renouvelé (B).

A. L’application rigoureuse de la présomption de distribution au maître de l’affaire

En vertu de l’article 109 du code général des impôts, tous les bénéfices d’une société qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital sont considérés comme des revenus distribués. La cour rappelle que les rehaussements de résultats opérés par l’administration fiscale entrent dans cette catégorie. Elle précise ensuite que « la qualité de seul maître de l’affaire suffit à regarder le contribuable comme bénéficiaire des revenus réputés distribués ». Cette solution est d’une grande sévérité, car elle ne requiert pas de prouver que l’associé a effectivement appréhendé les sommes. La circonstance que les fonds aient pu être utilisés pour d’autres fins ou versés à des tiers est jugée sans incidence. En tant que gérante et unique associée de l’EURL, la requérante est donc automatiquement désignée comme la seule bénéficiaire des distributions occultes. Cette présomption irréfragable, attachée à la qualité de maître de l’affaire, constitue un outil puissant pour l’administration fiscale dans la lutte contre la dissimulation de revenus au sein de petites structures sociétaires.

Au-delà de l’imposition des revenus eux-mêmes, la cour se prononce sur une majoration spécifique dont la légalité était contestée.

B. La légalité maintenue de la majoration d’assiette des revenus distribués

La requérante soutenait que la majoration de 25 % de l’assiette de ses revenus, prévue par l’article 158, 7-2° du code général des impôts, était contraire au droit au respect des biens. Elle s’appuyait sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, *Waldner c/ France* du 7 décembre 2023, qui avait invalidé un dispositif similaire. La cour administrative d’appel opère une distinction minutieuse entre les deux textes. Elle juge que la requérante « ne peut utilement se prévaloir » de cet arrêt, car celui-ci concernait une majoration appliquée aux non-adhérents d’un organisme de gestion agréé, tandis que la disposition en cause ici vise les revenus distribués résultant d’une rectification. Selon la cour, ces deux dispositifs ont une « finalité différente ». Elle ajoute que la majoration contestée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété au regard de l’objectif de lutte contre la fraude fiscale. Cette analyse démontre la volonté du juge de circonscrire la portée des décisions européennes et de préserver les outils de sanction fiscale, en opérant une lecture stricte des finalités poursuivies par le législateur.

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