Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 février 2025, n°24BX01269

Par un arrêt en date du 6 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Cette décision illustre la conciliation opérée par le juge administratif entre le droit des étrangers au séjour et le respect des procédures d’entrée sur le territoire national, particulièrement dans le cadre d’une vie privée et familiale.

En l’espèce, un ressortissant tunisien, entré irrégulièrement sur le territoire national en 2020 après y avoir déjà séjourné et fait l’objet d’une mesure d’éloignement exécutée en 2017, a sollicité son admission au séjour. L’intéressé se prévalait notamment de son mariage avec une ressortissante française, célébré en 2018, et d’un état de santé nécessitant une prise en charge médicale.

Le préfet de la Gironde a opposé un refus à sa demande par un arrêté du 19 décembre 2023, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande par un jugement du 25 avril 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et méconnaissait les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives aux conjoints de Français et aux étrangers malades.

Il appartenait ainsi à la cour de déterminer si l’absence de visa de long séjour fait obstacle à la régularisation de la situation d’un étranger conjoint de Français entré irrégulièrement sur le territoire, et si, dans de telles circonstances, le refus de séjour, compte tenu de l’ensemble de la situation personnelle de l’intéressé, porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle juge que l’exigence d’un visa de long séjour pour une première demande de titre en tant que conjoint de Français est une condition légale, et que le refus opposé à l’intéressé, compte tenu des particularités de sa situation, ne méconnaît pas les stipulations de l’article 8 de la convention européenne. L’analyse de la cour repose sur une application rigoureuse des textes régissant l’entrée et le séjour, dont il convient d’expliciter la logique, avant d’en apprécier la portée au regard de la protection de la vie familiale.

I. L’application rigoureuse des conditions de délivrance du titre de séjour

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une lecture stricte des conditions légales d’obtention d’un titre de séjour, tant en ce qui concerne l’exigence d’un visa préalable qu’en ce qui concerne l’appréciation de la situation personnelle du requérant.

A. La confirmation de l’exigence du visa de long séjour pour le conjoint de Français

Le juge d’appel rappelle avec fermeté une condition procédurale essentielle à la première délivrance d’un titre de séjour. Il souligne en effet que, nonobstant la qualité de conjoint de Français, l’obtention d’une première carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » est subordonnée à la possession d’un visa de long séjour, conformément aux dispositions de l’article L. 412-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour énonce clairement qu’il « résulte de ces dispositions que l’étranger qui sollicite une première demande de titre de séjour en tant que conjoint de français doit être entré en France sous couvert d’un visa de long séjour ».

En statuant ainsi, la cour écarte l’idée selon laquelle le mariage avec un ressortissant français suffirait, à lui seul, à régulariser une situation née d’une entrée et d’un séjour irréguliers. Le raisonnement confirme que la régularisation sur place demeure une exception et que la voie normale pour le conjoint d’un citoyen français résidant à l’étranger est de solliciter un visa d’installation auprès des autorités consulaires françaises avant son entrée sur le territoire. Cette solution réaffirme la maîtrise par l’État des flux migratoires et la primauté des conditions d’entrée sur les situations de fait constituées a posteriori.

B. L’appréciation restrictive de l’atteinte à la vie privée et familiale

La cour procède ensuite à un contrôle de proportionnalité de l’ingérence dans la vie privée et familiale du requérant, au regard des exigences de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si elle reconnaît l’existence d’une communauté de vie de trois ans avec son épouse française, elle minore la portée de cet élément en le confrontant à plusieurs autres circonstances. Le juge retient notamment le caractère irrégulier du séjour, l’absence d’insertion particulière dans la société française et surtout le fait que rien n’empêche le requérant de retourner dans son pays d’origine pour y solliciter le visa requis.

La décision est motivée par une mise en balance précise où la cour estime que la relation familiale, bien que réelle, « ne saurait toutefois suffire à ouvrir un droit au séjour ». L’analyse est complétée par la constatation que l’intéressé n’est pas dépourvu d’attaches dans son pays d’origine. Cette approche démontre que la seule existence d’un lien matrimonial, même effectif, ne suffit pas à rendre disproportionnée une décision de refus de séjour lorsque l’étranger s’est soustrait aux procédures légales d’entrée et ne démontre pas d’obstacle insurmontable à un retour temporaire pour se conformer à la loi. La même logique s’applique au moyen tiré de l’état de santé, le juge s’en remettant à l’avis du collège de médecins de l’OFII quant à la disponibilité d’un traitement approprié en Tunisie.

II. Une solution d’espèce limitant la portée des protections légales

L’arrêt, tout en appliquant des principes établis, se caractérise par une interprétation stricte des conditions de protection contre l’éloignement, ce qui en fait une décision d’espèce dont la portée doit être mesurée.

A. Le rejet de la protection contre l’éloignement

Le requérant invoquait les dispositions de l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui protègent de l’obligation de quitter le territoire français l’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint français, sous condition d’une communauté de vie ininterrompue. La cour écarte ce moyen en relevant une rupture de la communauté de vie entre la date du mariage en 2018 et le retour de l’intéressé en France en 2020.

En jugeant que « la communauté de vie des deux époux a cessé entre le mariage célébré en Tunisie en 2018, et le retour présumé de M. A… en France en 2020 », la cour adopte une lecture littérale de la condition de continuité. Cette interprétation souligne que la protection légale n’est pas acquise du seul fait de la durée du mariage, mais exige une réalité de vie commune effective et continue depuis sa célébration. Toute période de séparation, surtout lorsqu’elle coïncide avec un éloignement du territoire, peut ainsi rompre cette protection. La solution est rigoureuse mais juridiquement fondée sur la lettre du texte, qui vise à prémunir contre les mariages de complaisance ou les situations où le lien matrimonial n’est pas le centre de la vie des époux.

B. La portée limitée d’un arrêt d’espèce

Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais bien une application des règles de droit à une situation factuelle particulière. La solution est fortement influencée par le parcours du requérant : une première entrée irrégulière, une mesure d’éloignement déjà exécutée, une interdiction judiciaire du territoire et une nouvelle entrée irrégulière. Ces éléments ont pesé lourd dans la balance opérée par le juge et expliquent la sévérité de l’appréciation portée sur sa situation.

La décision réaffirme un principe constant : la vie privée et familiale ne constitue pas un droit inconditionnel au séjour, et sa protection est mise en balance avec les objectifs de défense de l’ordre public et de maîtrise des flux migratoires. En l’absence de circonstances humanitaires exceptionnelles ou d’une intégration particulièrement remarquable, le juge administratif tend à faire prévaloir le respect des procédures d’entrée. La portée de cet arrêt est donc celle d’un rappel : la voie consulaire reste le principe pour l’installation en France du conjoint étranger d’un ressortissant français, et la régularisation a posteriori n’est accordée que dans des circonstances que le juge, en l’espèce, n’a pas estimées réunies.

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Hassan KOHEN
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