Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 février 2025, n°24BX01377

Par un arrêt en date du 6 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué sur le recours d’un ressortissant tunisien contre un jugement confirmant le refus de la préfecture de lui octroyer un titre de séjour en qualité de parent d’enfant français. Cet étranger, présent sur le territoire national depuis plusieurs années et père de deux enfants de nationalité française, s’est vu opposer une décision préfectorale de refus, assortie d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. La procédure initiée devant le tribunal administratif de Poitiers ayant abouti au rejet de sa demande, l’intéressé a interjeté appel, soutenant principalement que la décision administrative portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Le problème de droit soulevé par cette affaire consistait à déterminer si la contribution effective à l’entretien et à l’éducation d’un enfant français, condition légale pour l’obtention d’un titre de séjour, pouvait être considérée comme établie par un parent ne cohabitant pas avec ses enfants, et ce, dans un contexte personnel marqué par des antécédents de violences conjugales. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, estimant que les éléments produits ne suffisaient pas à prouver cette contribution effective et que, au regard de l’ensemble des circonstances, le refus de séjour ne constituait pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. L’arrêt illustre ainsi une application rigoureuse des conditions d’octroi du titre de séjour pour parent d’enfant français, fondée sur une appréciation concrète de la réalité du lien parental (I), tout en confirmant la prévalence des considérations liées au comportement personnel de l’étranger dans la balance des intérêts effectuée au titre du droit au respect de la vie privée et familiale (II).

I. L’interprétation rigoureuse de la condition de contribution effective à l’entretien de l’enfant français

La décision de la cour administrative d’appel repose sur une analyse stricte de la condition de contribution effective, exigée par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle subordonne la reconnaissance de ce lien à des preuves concrètes dépassant la simple matérialité financière, surtout en l’absence de vie commune (A), affirmant ainsi le pouvoir d’appréciation de l’administration sous le contrôle du juge (B).

A. L’insuffisance des preuves matérielles en l’absence de communauté de vie

Le juge administratif rappelle que la charge de la preuve de la contribution effective pèse sur le demandeur. En l’espèce, le requérant produisait des factures d’achats et des attestations de présence à des rendez-vous médicaux pour ses enfants. Toutefois, la cour a estimé ces éléments insuffisants, soulignant un fait déterminant : « il est donc établi, qu’à la date de la décision en litige, [l’intéressé] ne résidait pas avec ses enfants ». Cette absence de cohabitation, conséquence de violences conjugales ayant conduit à une composition pénale, vide de leur substance les preuves matérielles fournies. Le raisonnement de la cour suggère que la contribution effective ne saurait se limiter à un soutien financier ou à une présence ponctuelle ; elle implique une participation active et continue à la vie de l’enfant, que la communauté de vie est présumée garantir. La séparation du foyer familial, surtout lorsqu’elle est imputable au comportement du parent, constitue donc un obstacle majeur à la reconnaissance de cette contribution.

B. La confirmation d’une appréciation factuelle sous le contrôle de l’erreur manifeste

En validant la position de la préfète, la cour confirme que l’appréciation de la contribution effective relève d’un examen au cas par cas des faits de chaque espèce. Le juge n’a pas estimé que l’administration avait commis une « erreur manifeste d’appréciation » en refusant le titre de séjour. Ce contrôle restreint laisse une marge de manœuvre importante à l’autorité préfectorale pour évaluer la réalité et l’intensité des liens entre le parent étranger et son enfant français. L’arrêt souligne que la simple filiation ne crée pas un droit automatique au séjour. La législation impose une condition de comportement, celle d’une implication parentale réelle et constante, dont l’absence de vie commune est un indice particulièrement fort, difficile à renverser par la seule production de documents attestant de dépenses. La décision s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui exige des preuves tangibles et cohérentes de l’exercice effectif de l’autorité parentale.

La cour ne se contente pas d’analyser la situation du requérant au seul regard des dispositions spécifiques aux parents d’enfants français ; elle procède également à un examen au titre du droit au respect de la vie privée et familiale, où le comportement de l’individu devient un critère central.

II. La mise en balance du droit à la vie privée et familiale avec la situation personnelle de l’étranger

Au-delà de l’application du droit spécial, la cour procède à une balance des intérêts en jeu au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette analyse conduit à relativiser la force du lien familial en raison du comportement personnel de l’intéressé (A), limitant ainsi la portée protectrice attachée à la qualité de parent d’enfant français dans de telles circonstances (B).

A. La relativisation du lien familial au regard du comportement personnel

Le requérant invoquait l’ancienneté de sa présence en France et l’existence de sa famille pour arguer d’une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. La cour écarte ce moyen en procédant à un examen global de sa situation. Elle retient plusieurs éléments défavorables : l’absence de séjour régulier, le défaut d’insertion professionnelle durable, mais surtout les faits de violence conjugale. L’arrêt précise que le requérant « a fait l’objet d’une composition pénale le 7 avril 2022 pour des faits de violence sur sa compagne ». Ce comportement, qui est à l’origine de la rupture de la vie commune, affaiblit considérablement la crédibilité de son invocation de la vie familiale. La cour établit un lien direct entre les violences, la séparation, et l’absence de « proximité avec ses enfants et son épouse ». Par conséquent, l’ingérence dans sa vie familiale que constitue le refus de séjour est jugée proportionnée, car sa situation familiale dégradée lui est en grande partie imputable.

B. La portée limitée de la protection accordée au parent d’enfant français

Cette décision illustre les limites de la protection dont bénéficie un étranger parent d’enfant français. Elle confirme que ce statut ne constitue pas une immunité contre une mesure d’éloignement. La jurisprudence, tout en accordant une importance primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant, n’efface pas les autres critères d’appréciation, notamment ceux liés au comportement de l’étranger et à l’ordre public. L’arrêt s’inscrit dans une logique où le droit au séjour demeure conditionné par une intégration globale et un comportement personnel irréprochable. En l’espèce, la combinaison d’un séjour irrégulier, d’une faible insertion et, de manière déterminante, de faits de violence intrafamiliale, a conduit le juge à faire prévaloir les motifs du refus sur les liens familiaux invoqués. La portée de cet arrêt est donc celle d’une décision d’espèce qui rappelle avec fermeté que la qualité de parent d’enfant français doit s’accompagner d’un exercice exemplaire des responsabilités parentales pour fonder un droit au séjour.

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