Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 mai 2025, n°25BX00297

Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux se prononce sur les conditions de recevabilité d’une requête contentieuse, et plus spécifiquement sur l’appréciation par le juge d’une pièce produite en vue de régulariser la capacité d’ester en justice. En l’espèce, une association s’est vu infliger une amende administrative par une commune, pour une infraction à la réglementation sur la publicité. Cette sanction a été matérialisée par l’émission d’un titre exécutoire. L’association a alors saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de ces deux décisions. Saisi d’une demande de régularisation, le représentant de l’association a produit une délibération l’habilitant à agir, mais celle-ci portait une date antérieure à celle des actes attaqués. Le président du tribunal administratif a par conséquent rejeté la requête par ordonnance pour irrecevabilité manifeste, estimant que la régularisation n’avait pas été valablement opérée. L’association a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant que la date figurant sur le mandat constituait une simple erreur matérielle. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si une erreur matérielle évidente affectant la date d’un mandat d’ester en justice, produit dans le cadre d’une mesure de régularisation, justifie le rejet de la requête pour irrecevabilité manifeste. La cour administrative d’appel censure cette appréciation en reconnaissant l’existence d’une simple erreur matérielle, annulant par suite l’ordonnance et renvoyant l’affaire devant les premiers juges pour qu’ils statuent sur le fond du droit.

Cette décision conduit à examiner la manière dont le juge administratif contrôle la régularité formelle d’une requête, en opposant une lecture stricte des pièces à une analyse fondée sur la logique et la vraisemblance (I). La solution retenue par la cour d’appel témoigne ainsi d’une approche pragmatique qui privilégie le droit au recours effectif sur un formalisme excessif (II).

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I. Le contrôle de la capacité à agir entre formalisme procédural et appréciation souveraine

La question de la régularité du mandat d’ester en justice a été au cœur de l’opposition entre l’analyse du premier juge et celle de la cour d’appel. Alors que le tribunal s’en était tenu à une application littérale des règles de recevabilité (A), la cour a procédé à une interprétation des pièces qui rétablit la cohérence des faits (B).

A. Le rejet de la requête fondé sur une application littérale de la condition de régularisation

Le président du tribunal administratif a fait usage de la faculté que lui offre l’article R. 222-1 du code de justice administrative de rejeter par ordonnance les requêtes manifestement irrecevables. L’irrecevabilité tenait ici à un défaut de qualité pour agir du président de l’association, la délibération produite pour habiliter son action en justice portant une date antérieure à l’édiction des décisions contestées. En l’absence de régularisation dans le délai imparti, le juge a conclu à l’irrecevabilité manifeste, considérant qu’un mandat ne peut logiquement pas autoriser une action contre un acte qui n’existe pas encore. Cette approche se caractérise par un formalisme rigoureux, où la date inscrite sur un document fait foi jusqu’à preuve du contraire, preuve qui n’avait pas été suffisamment rapportée en première instance. Le juge s’est ainsi limité à un constat matériel de l’incohérence chronologique, sans chercher à en déterminer la cause.

B. La requalification de l’irrégularité en erreur matérielle par le juge d’appel

La cour administrative d’appel adopte un raisonnement différent en ne s’arrêtant pas à la date portée sur le document. Elle relève que « le conseil d’administration de cette association n’en avait, par construction, pas connaissance à la date du 7 juillet 2024 et ne pouvait pas donner, à cette date, à son président un mandat pour agir contre ce titre ». Par cette analyse, le juge d’appel déduit de l’impossibilité logique et factuelle que la date mentionnée ne peut être que le fruit d’une erreur matérielle. En se fondant sur la chronologie des faits, il restitue la véritable intention de l’organe délibérant, qui était bien d’autoriser une action contentieuse contre des actes déjà nés. La cour établit que le mandat a nécessairement été accordé après l’édiction des actes attaqués, acceptant ainsi l’explication de l’association selon laquelle la délibération datait en réalité du 7 septembre, et non du 7 juillet. Cette démarche substitue une logique substantielle à une logique purement formelle.

II. La consécration d’une approche pragmatique protectrice du droit au recours

En annulant l’ordonnance de rejet, la cour administrative d’appel affirme la prééminence de la recherche de la vérité matérielle sur le strict respect des formes (A), et rappelle par là même la finalité des procédures de tri, qui ne sauraient faire obstacle au droit d’accès au juge (B).

A. La primauté de la substance sur la forme dans l’examen de la recevabilité

La décision commentée illustre la volonté du juge de ne pas laisser une simple coquille faire échec à l’exercice d’une voie de recours. En qualifiant l’anomalie d’« erreur matérielle », la cour lui retire toute portée juridique et considère que la condition de recevabilité tenant à la capacité d’agir était en réalité remplie. Cette solution est une manifestation du principe selon lequel les règles de procédure doivent être interprétées à la lumière du droit à un recours juridictionnel effectif. Elle témoigne d’une appréciation souveraine des pièces du dossier, où le juge ne se contente pas d’enregistrer les informations, mais les analyse de manière critique pour en vérifier la vraisemblance et la cohérence. L’arrêt souligne que la régularisation d’une requête a précisément pour objet de couvrir les irrecevabilités, et non de créer des pièges procéduraux pour le justiciable.

B. La portée encadrée des procédures de rejet pour irrecevabilité manifeste

Cet arrêt contribue également à délimiter le champ d’application des ordonnances de tri prévues par l’article R. 222-1 du code de justice administrative. La cour rappelle implicitement que le caractère « manifeste » d’une irrecevabilité suppose une évidence qui ne laisse place à aucune interprétation ou discussion. Or, une irrégularité qui peut s’expliquer par une simple erreur, décelable au moyen d’un raisonnement logique, ne revêt pas ce caractère manifeste. La procédure de tri est un instrument d’une bonne administration de la justice, destiné à écarter rapidement les requêtes vouées à un échec certain, mais elle ne doit pas conduire à un déni de justice. En renvoyant l’affaire devant le tribunal administratif, la cour d’appel garantit à l’association que sa demande sera examinée au fond, préservant ainsi son droit à ce que sa cause soit entendue par un juge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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