Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 8 avril 2025, n°23BX01106

La Cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt rendu le 8 avril 2025, précise l’étendue de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur public.

Un agent territorial a été victime de faits de harcèlement sexuel commis par un collègue de service entre les mois de mai et décembre 2019.

La requérante a sollicité la condamnation de la collectivité territoriale en réparation des préjudices résultant de l’absence de mesures préventives et de réaction de son employeur.

Le tribunal administratif de la Martinique ayant rejeté sa demande indemnitaire le 10 février 2023, l’intéressée a interjeté appel devant la juridiction bordelaise.

La juridiction d’appel devait déterminer si l’absence de formation préalable et la lenteur du traitement administratif d’un signalement de harcèlement constituent une faute de service.

La Cour annule le jugement de première instance en retenant la responsabilité de la collectivité pour manquement à ses obligations de protection de la santé des agents.

L’examen de cette décision conduit à analyser d’abord la défaillance dans la prévention des risques, puis la sanction de la gestion tardive du signalement.

I. La caractérisation d’une défaillance dans l’obligation de prévention des risques

L’employeur public est tenu, en vertu du code général de la fonction publique, d’assurer des conditions d’hygiène et de sécurité préservant la santé des agents.

A. L’insuffisance manifeste des actions d’information et de formation

La Cour souligne que si une démarche de prévention des risques psychosociaux avait été initiée, ses modalités de mise en œuvre effective n’étaient pas établies.

L’instruction révèle que « la direction n’avait pris aucune mesure pour prévenir la survenance d’agissements de harcèlement sexuel et d’humiliation » au sein du service.

Les magistrats relèvent l’absence de dispositif d’alerte permettant d’éviter que ces agissements ne perdurent pendant plusieurs mois au sein d’un collectif de travail indifférent.

Cette carence initiale dans le déploiement des outils de sensibilisation obligatoires prévus par le code du travail fonde la reconnaissance d’une première faute administrative.

B. L’influence d’une culture de service délétère sur la responsabilité

Un rapport d’audit externe a mis en lumière une organisation où il était admis de subir des blagues sexistes au nom d’une prétendue normalité masculine.

Le juge note que la culture du « c’est pas grave » a pris le pas sur la dignité et sur l’obligation de respect des lois et règlements.

L’inertie de la hiérarchie face à des pratiques régulières d’humiliation caractérise une méconnaissance grave des obligations de sécurité et de protection de la santé mentale.

Cette défaillance structurelle dans l’organisation du service précède et aggrave les manquements constatés lors du traitement individuel de la situation de l’agent victime.

II. La sanction du traitement tardif et inadéquat du signalement de harcèlement

La responsabilité de la collectivité est également engagée par les lacunes constatées dans la prise en charge opérationnelle des faits signalés par la victime.

A. Une protection fonctionnelle neutralisée par l’absence de mesures conservatoires

L’administration n’a pris aucune mesure immédiate de séparation, obligeant la victime à côtoyer son harceleur pendant près de cinq mois jusqu’à son arrêt maladie.

La Cour observe que « les agissements répréhensibles commis ont pu se poursuivre pendant plusieurs mois après le signalement », exposant l’agent à un sentiment d’abandon.

Le contexte de crise sanitaire ne saurait justifier de tels retards dès lors que les agents de la direction concernée restaient présents sur leur lieu de travail.

Le défaut de mesures d’organisation adaptées pour faire cesser le risque constitue une violation directe de l’obligation de protéger l’intégrité physique et morale des agents.

B. La réparation du préjudice moral découlant des fautes cumulées

Les manquements répétés de l’employeur dans la prévention et la gestion du harcèlement sont jugés constitutifs d’une faute de nature à engager sa pleine responsabilité.

Le juge administratif évalue à la somme de cinq mille euros le préjudice moral subi par l’intéressée à raison des carences fautives de la personne publique.

La décision confirme que l’indemnisation doit couvrir les conséquences dommageables d’un comportement administratif défaillant face à des risques professionnels connus et documentés.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux marque ainsi une exigence de diligence accrue pour les autorités administratives confrontées à des situations de harcèlement.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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