Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 8 avril 2025, n°24BX01858

Par un arrêt en date du 8 avril 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un étranger majeur, ainsi que sur les mesures d’éloignement qui accompagnaient cette décision.

En l’espèce, un ressortissant guinéen entré en France en 2017 et dont la demande d’asile avait été définitivement rejetée, a sollicité en 2023 son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale ainsi qu’à titre exceptionnel. L’intéressé faisait notamment valoir sa résidence en France depuis plusieurs années et son adoption simple par un ressortissant français. Le préfet de la Gironde a rejeté sa demande par un arrêté du 1er septembre 2023, assortissant ce refus d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, d’une décision fixant le pays de destination et d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté sa demande par un jugement du 21 mai 2024. Il a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la légalité de l’ensemble des décisions prises à son encontre.

La question de droit posée à la cour administrative d’appel était de savoir si le refus d’autoriser le séjour d’un étranger, malgré une présence de plusieurs années et un lien d’adoption simple avec un citoyen français, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et si les circonstances de son dossier justifiaient une admission exceptionnelle au séjour. De plus, la cour devait examiner la légalité des mesures d’éloignement prises consécutivement à ce refus.

La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la requête. Elle estime que, nonobstant la durée de présence de l’intéressé sur le territoire et son adoption, l’insuffisance de son insertion sociale et professionnelle ainsi que la nature de ses liens en France ne permettaient pas de caractériser une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Elle juge également que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant de l’admettre au séjour à titre exceptionnel. Par voie de conséquence, elle valide les mesures d’éloignement, y compris l’interdiction de retour justifiée par le fait que le requérant s’était déjà soustrait à une précédente mesure d’éloignement.

L’arrêt illustre ainsi l’application rigoureuse par le juge administratif des critères d’appréciation de la vie privée et familiale et de l’admission exceptionnelle au séjour (I), entraînant la validation logique des mesures d’éloignement qui en découlent (II).

***

I. La validation d’une appréciation rigoureuse des conditions d’admission au séjour

La cour administrative d’appel confirme la décision préfectorale en procédant à un contrôle concret de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale (A) et en validant l’absence de motifs justifiant une régularisation à titre exceptionnel (B).

A. Le contrôle de l’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale

L’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fonde la délivrance d’un titre de séjour sur l’existence de liens personnels et familiaux en France si intenses que le refus de séjour porterait une atteinte disproportionnée au droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale. Pour ce faire, le juge administratif examine un faisceau d’indices, incluant l’ancienneté, l’intensité et la stabilité des liens, ainsi que l’insertion de l’étranger dans la société française. En l’espèce, la cour prend en compte la durée de résidence de cinq ans et l’adoption simple par un ressortissant français. Cependant, elle minore la portée de ces éléments au regard d’autres considérations.

La cour relève en effet que l’intéressé « est célibataire, sans enfant et ne justifie pas, par les pièces qu’il produit, (…) de son insertion sociale et professionnelle ». L’arrêt met en évidence que des attestations d’engagement associatif ou de suivi de cours de français ne suffisent pas à établir une insertion probante. Cette analyse démontre que le juge n’accorde pas une valeur décisive à un seul élément, fût-il aussi structurant qu’une adoption simple. Il procède à une balance globale des intérêts, dans laquelle l’autonomie et l’intégration concrète de la personne priment sur la seule existence d’un lien familial, surtout lorsque ce dernier ne s’accompagne pas d’autres attaches significatives en France et que l’étranger a passé la majeure partie de sa vie dans son pays d’origine. La solution confirme ainsi une approche pragmatique, où la réalité de l’intégration est une condition déterminante.

B. L’appréciation de l’existence de motifs exceptionnels d’admission

Le requérant invoquait également l’article L. 435-1 du même code, qui permet l’admission exceptionnelle au séjour pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels. Sur ce terrain, le préfet dispose d’un large pouvoir d’appréciation, et le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint à l’erreur manifeste. Le juge vérifie si, en refusant la régularisation, l’autorité administrative n’a pas commis une erreur si grossière qu’elle serait assimilable à un déni de justice.

La cour écarte ce moyen en se fondant sur les mêmes éléments factuels que ceux analysés au titre de la vie privée et familiale. Le considérant 7 de l’arrêt énonce qu’« eu égard aux éléments de la situation personnelle et familiale du requérant précédemment énoncés au point 5 du présent arrêt, en ne procédant pas à, titre exceptionnel à la régularisation de la situation (…), le préfet de la Gironde n’a pas entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation ». Cette motivation, bien que succincte, est classique. Elle signifie que des faits jugés insuffisants pour caractériser une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale ne peuvent, sauf circonstance très particulière absente en l’espèce, constituer des motifs exceptionnels justifiant une admission au séjour. La décision réaffirme la portée limitée de ce mécanisme de régularisation, qui n’est pas une voie de recours subsidiaire destinée à pallier l’échec d’une demande fondée sur l’article L. 423-23.

La légalité ainsi confirmée du refus de séjour emporte des conséquences logiques sur les autres mesures contestées par le requérant.

II. La confirmation des conséquences logiques attachées au refus de séjour

La cour tire les conséquences de la légalité du refus de séjour en validant par ricochet l’obligation de quitter le territoire (A) et en opérant une justification spécifique de l’interdiction de retour sur le territoire français (B).

A. La validation en cascade de l’obligation de quitter le territoire et de la décision fixant le pays de destination

Le requérant soutenait que l’obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination étaient illégales par voie d’exception, en raison de l’illégalité prétendue du refus de séjour sur lequel elles se fondaient. Ce raisonnement est juridiquement orthodoxe, la légalité de ces mesures d’éloignement dépendant directement de celle de la décision de ne pas admettre l’étranger au séjour.

Toutefois, ce mécanisme se retourne contre l’appelant dès lors que le juge confirme la validité du refus de titre de séjour. La cour écarte donc logiquement les moyens dirigés contre l’obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi. Les considérants 8 et 9 de l’arrêt se contentent de constater que, la prémisse du raisonnement de l’appelant étant fausse, sa conclusion ne peut qu’être rejetée. Cette partie de l’arrêt est une illustration purement technique du principe selon lequel l’accessoire suit le principal. La légalité de la décision initiale entraîne mécaniquement celle des mesures qui en sont la conséquence nécessaire et directe.

B. La justification de l’interdiction de retour sur le territoire français

Contrairement à l’obligation de quitter le territoire, l’interdiction de retour sur le territoire français n’est pas une conséquence automatique du refus de séjour. L’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose à l’autorité administrative de motiver sa décision en tenant compte de plusieurs critères, notamment la durée de présence de l’étranger, la nature de ses liens avec la France, et la circonstance qu’il a déjà fait ou non l’objet d’une mesure d’éloignement.

La cour procède à une analyse distincte pour cette mesure. Elle reconnaît que la présence du requérant ne constitue pas une menace pour l’ordre public, mais elle retient un élément déterminant pour justifier la sanction : le fait qu’« il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement prise à son encontre ». Ce comportement passé est interprété comme un facteur aggravant, démontrant une volonté de se maintenir sur le territoire en dépit des décisions administratives. Dans ces conditions, la cour estime que la mesure d’interdiction de retour, d’une durée de deux ans, est légalement justifiée dans son principe et son quantum. Cette motivation souligne l’importance accordée par le juge au respect par les administrés des décisions d’éloignement, dont la méconnaissance peut justifier des mesures plus rigoureuses à leur encontre.

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Hassan KOHEN
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