Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 8 janvier 2025, n°22BX02547

Par un arrêt en date du 8 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions d’engagement de la responsabilité des personnes publiques à la suite de dommages provoqués par une inondation. En l’espèce, plusieurs sociétés commerciales dont les locaux ont été endommagés par le débordement d’un cours d’eau consécutif à des pluies intenses ont cherché à obtenir réparation de leurs préjudices non couverts par leur assurance. Elles ont initié une action en justice contre plusieurs collectivités territoriales et un syndicat mixte. Le tribunal administratif de Pau, en première instance, a rejeté leur demande indemnitaire par un jugement du 20 juillet 2022. Les sociétés ont alors interjeté appel de cette décision, fondant leurs prétentions sur la responsabilité pour faute d’une des communes dans l’exercice de ses pouvoirs de police, ainsi que sur la responsabilité sans faute des différentes personnes publiques mises en cause en leur qualité de maîtres d’ouvrages publics. La question posée à la cour était donc double : il s’agissait de déterminer si la responsabilité d’une commune pouvait être engagée pour une carence fautive dans la prévention du risque d’inondation, et si la responsabilité sans faute des personnes publiques pouvait être retenue du fait de l’existence d’un ouvrage hydraulique ou du cours d’eau lui-même. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant qu’aucune faute ne peut être imputée à la commune concernée et que les conditions de la responsabilité sans faute ne sont pas réunies, ni au titre de l’ouvrage hydraulique spécifique, ni au titre du cours d’eau.

La décision de la cour écarte ainsi la responsabilité des personnes publiques en s’appuyant sur une analyse pragmatique des obligations pesant sur elles en matière de police administrative (I), puis en appliquant de manière stricte les critères de la responsabilité sans faute pour les dommages de travaux publics (II).

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I. L’exonération de la responsabilité pour faute des personnes publiques face au risque d’inondation

La cour administrative d’appel examine d’abord la potentielle carence d’une commune dans l’exercice de son pouvoir de police générale. Elle conclut à l’absence de faute en rejetant l’idée d’une défaillance dans l’obligation de prévention et d’information (A), tout en soulignant la complexité des aménagements nécessaires pour maîtriser le risque (B).

A. Le rejet d’une carence dans l’exercice du pouvoir de police

Les sociétés requérantes soutenaient qu’une faute avait été commise par l’absence de mesures d’information et de prévention adéquates face au risque connu d’inondation. Cependant, la cour écarte cet argument en constatant qu’il n’est pas démontré que la municipalité détenait une information spécifique sur un risque imminent qu’elle aurait manqué de transmettre à la population. Elle juge également qu’une information générale sur le risque d’inondation n’aurait pas présenté un caractère suffisamment opérationnel pour être utile aux administrés le jour du sinistre. La cour se livre ainsi à une appréciation concrète des mesures qu’il était raisonnablement possible d’attendre de l’autorité de police. Elle considère que seules des précautions effectives, et non une simple signalisation générale, sont de nature à répondre aux exigences de sécurité publique, confirmant une approche pragmatique des obligations qui incombent au maire dans la gestion des risques naturels.

B. La prise en compte de la complexité technique et administrative des mesures préventives

Le juge administratif va plus loin en analysant les raisons de l’absence de travaux de plus grande ampleur. Il ressort de l’instruction que les aménagements efficaces pour lutter contre les crues du ruisseau impliquaient une approche globale dépassant le seul territoire communal et nécessitant des interventions coordonnées de plusieurs entités publiques. La cour relève que des études avaient été menées dès 2009 mais que la situation était particulièrement complexe. Elle estime que « la complexité de la mise en œuvre des aménagements à réaliser en concertation avec d’autres collectivités, la nécessité de réaliser des études complémentaires et le risque élevé de générer des inondations plus importantes dans d’autres secteurs en cas de réalisation d’un seul aménagement, ont justifié l’absence de travaux émanant exclusivement de la commune de Puyoô avant les inondations de 2014 ». En agissant de la sorte, la cour refuse de faire peser sur une seule commune la charge d’une solution dont la mise en œuvre dépendait de facteurs techniques et administratifs multiples, exonérant ainsi le maire de toute carence fautive.

Après avoir écarté le fondement de la responsabilité pour faute, la cour se penche sur la responsabilité sans faute, invoquée à double titre par les sociétés requérantes.

II. L’application rigoureuse des conditions de la responsabilité sans faute du maître d’ouvrage public

La cour examine ensuite les arguments fondés sur la responsabilité sans faute du maître d’ouvrage, d’abord en ce qui concerne un ouvrage hydraulique spécifique (A), puis concernant le cours d’eau lui-même (B), pour les rejeter successivement en raison de l’absence des conditions nécessaires à leur engagement.

A. L’absence de lien de causalité direct entre l’ouvrage et le préjudice

Les requérantes arguaient que le sous-dimensionnement d’un ouvrage hydraulique situé sous une route départementale était une cause directe de leurs dommages, engageant la responsabilité sans faute de ses gardiens. Bien qu’un rapport d’expertise judiciaire ait appuyé cette thèse, la cour choisit de ne pas s’y limiter. Elle prend en considération d’autres études et éléments du dossier qui démontrent que l’inondation résulte d’un ensemble de facteurs concomitants : l’intensité exceptionnelle des pluies, la topographie des lieux, et l’insuffisance globale du réseau hydrographique. Le juge estime que l’ouvrage mis en cause n’est qu’un élément parmi d’autres et ne constitue pas la cause déterminante du sinistre. La cour conclut de manière péremptoire que « L’ouvrage hydraulique sous la RD 817 n’a donc pas causé les dommages subis par les sociétés Lavigne ». En rompant ainsi le lien de causalité direct et certain entre l’ouvrage et le dommage, elle prive la demande d’un de ses fondements essentiels et confirme une approche stricte de l’imputabilité en matière de responsabilité pour dommage de travaux publics.

B. Le refus de qualifier un cours d’eau naturel d’ouvrage public

Enfin, les sociétés requérantes tentaient pour la première fois en appel de faire valoir que le cours d’eau lui-même constituait un ouvrage public dont les collectivités riveraines auraient la garde. Cette argumentation visait à contourner la difficulté liée à l’établissement du lien de causalité avec un ouvrage précis. La cour rejette fermement cette qualification. Elle rappelle que le régime de la responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics ne s’applique qu’aux ouvrages résultant d’un travail de l’homme et non aux biens à l’état naturel. Elle énonce clairement que « le réseau hydrographique du ruisseau du Saubagnac constitue un bien à l’état naturel, et il ne résulte pas de l’instruction qu’il s’agirait d’un ouvrage résultant d’un travail de l’homme ». Par cette motivation, la cour réaffirme une distinction classique du droit des biens publics et ferme la porte à une extension du régime de la responsabilité sans faute aux dommages causés par des éléments naturels, même s’ils se situent sur le domaine public.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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