Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 9 janvier 2025, n°24BX01106

Par un arrêt du 9 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’une série de décisions administratives emportant éloignement d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité algérienne, entré irrégulièrement sur le territoire français à une date non déterminée, a fait l’objet d’une interpellation par les services de police. Subséquemment, le préfet de la Gironde a édicté à son encontre un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Le requérant soutenait notamment être le père d’un enfant de nationalité française et subvenir à ses besoins, ce qui aurait dû lui conférer une protection contre l’éloignement.

Saisi en première instance, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande d’annulation de cet arrêté. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens qu’en première instance, tenant à des vices de procédure ainsi qu’à une erreur d’appréciation de sa situation personnelle et familiale au regard des stipulations de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Il se posait dès lors la question de savoir si un ressortissant algérien, père d’un enfant français, pouvait faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire sans délai assortie d’une interdiction de retour, dès lors qu’il n’apportait pas la preuve d’une contribution effective et continue à l’entretien de cet enfant et que ses liens en France étaient jugés insuffisamment stables.

La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la requête. Elle estime que les éléments produits ne permettent pas d’établir que l’intéressé subviendrait aux besoins de son enfant depuis sa naissance ou depuis au moins un an, comme l’exige l’accord bilatéral. De plus, elle juge que les liens personnels et familiaux en France ne sont pas d’une intensité telle que la décision porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Enfin, elle valide le refus de délai de départ volontaire et l’interdiction de retour, considérant que le risque de soustraction à la mesure d’éloignement était caractérisé.

Cette décision illustre l’application rigoureuse par le juge administratif des conditions posées pour le droit au séjour des ressortissants algériens (I), ce qui conditionne par la suite la validation des modalités sévères de l’éloignement (II).

I. La confirmation du refus de séjour fondé sur une appréciation stricte des conditions de l’accord franco-algérien

La cour administrative d’appel confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire français en se fondant sur une interprétation rigoureuse des conditions de prise en charge de l’enfant français (A) et sur une appréciation restrictive de l’intensité des liens personnels et familiaux de l’intéressé en France (B).

**A. L’interprétation rigoureuse de la condition de prise en charge de l’enfant français**

L’arrêt commente la mise en œuvre des stipulations de l’article 6 de l’accord franco-algérien, qui prévoit la délivrance de plein droit d’un certificat de résidence au parent d’un enfant français mineur. La cour rappelle que cette protection est conditionnée au fait que le parent « subvienne effectivement à ses besoins ». Elle se réfère plus précisément au cas où la filiation est établie après la naissance, situation dans laquelle le certificat n’est délivré « que s’il subvient à ses besoins depuis sa naissance ou depuis au moins un an ». En l’espèce, la cour constate que le requérant ne justifiait que d’un unique versement d’une somme de 1 200 euros.

Le juge en déduit que cette seule pièce ne suffit pas à démontrer que l’intéressé « subviendrait aux besoins de cet enfant depuis sa naissance ou depuis au moins un an ». Cette approche factuelle et rigoureuse souligne que la charge de la preuve pèse entièrement sur le demandeur. La reconnaissance juridique de la paternité ne suffit pas à fonder un droit au séjour ; elle doit s’accompagner d’une réalité matérielle et continue de l’entretien et de l’éducation de l’enfant. La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige des preuves tangibles, régulières et suffisantes pour caractériser la contribution effective, écartant ainsi les participations ponctuelles ou symboliques. La position de la cour réaffirme que le droit au séjour accordé au parent d’un enfant français vise à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant en maintenant le lien avec le parent qui assume ses responsabilités, et non à régulariser la situation de ce dernier sur la seule base d’un lien de filiation.

**B. L’insuffisance des liens personnels et familiaux face au contrôle de l’immigration**

Subsidiairement, le requérant invoquait la protection générale contre les atteintes disproportionnées au droit au respect de la vie privée et familiale. La cour examine alors si les liens personnels et familiaux du requérant en France étaient « tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ». Pour ce faire, elle procède à un bilan concret de la situation de l’intéressé.

Le juge constate que le requérant ne justifie pas d’une vie familiale réelle en France, au-delà du lien de paternité déjà jugé insuffisant. Sur le plan professionnel, la production de quelques bulletins de salaire en intérim et d’un certificat d’aptitude n’a pas suffi à démontrer une intégration durable et stable. La cour confirme ainsi l’analyse du premier juge, en considérant que ces éléments ne permettaient pas de retenir une atteinte disproportionnée. Cette approche illustre le contrôle classique opéré par le juge administratif, qui met en balance l’intérêt général lié au contrôle des flux migratoires et l’intérêt privé de l’étranger. La brièveté du séjour, l’irrégularité de l’entrée et la précarité de l’insertion professionnelle et sociale sont autant d’éléments qui ont pesé en défaveur du requérant, conduisant le juge à faire prévaloir les motifs de la décision d’éloignement.

II. La validation des modalités de l’éloignement découlant du risque de soustraction

La légalité de l’obligation de quitter le territoire étant établie, la cour se penche sur ses modalités d’exécution. Elle valide l’absence de délai de départ volontaire en se fondant sur la caractérisation d’un risque de soustraction (A), puis confirme la légalité et la durée de l’interdiction de retour sur le territoire français (B).

**A. La caractérisation du risque de soustraction justifiant l’absence de délai de départ**

Le préfet avait refusé d’accorder un délai de départ volontaire en se fondant sur l’existence d’un risque que l’étranger se soustraie à son obligation de quitter le territoire. L’article L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile établit une liste de critères permettant de regarder ce risque comme établi. En l’espèce, l’arrêté préfectoral visait notamment le fait que l’intéressé était entré irrégulièrement en France et n’avait pas sollicité de titre de séjour.

La cour administrative d’appel confirme cette analyse en jugeant que ces circonstances suffisent à caractériser le risque de soustraction. Elle écarte l’argument du requérant tiré de sa situation familiale, considérant que celle-ci n’offrait pas de « garanties de représentations suffisantes » pour renverser cette présomption. Cette solution réaffirme que les critères légaux du risque de soustraction peuvent être appliqués de manière quasi automatique lorsque les faits sont établis. L’entrée et le séjour irréguliers, non suivis d’une démarche de régularisation, constituent un indice majeur pour l’administration, que seules des circonstances exceptionnelles ou des garanties de représentation particulièrement fortes peuvent contrebalancer, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

**B. L’appréciation de la durée de l’interdiction de retour au regard de la situation globale**

Conséquence directe du refus de délai de départ volontaire, une interdiction de retour sur le territoire français a été prononcée. Le requérant en contestait la durée de deux ans, la jugeant disproportionnée. Le juge rappelle que pour fixer cette durée, l’administration doit tenir compte de plusieurs critères définis par l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment la durée de présence, l’ancienneté des liens en France, l’existence de mesures d’éloignement antérieures et la menace pour l’ordre public.

La cour souligne que « ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une telle mesure soit décidée quand bien même une partie de ces critères, qui ne sont pas cumulatifs, ne serait pas remplie ». Elle relève que si le requérant n’avait pas fait l’objet d’une mesure d’éloignement antérieure et ne constituait pas formellement une menace à l’ordre public, sa présence récente sur le territoire, la faiblesse de ses liens familiaux et sociaux, ainsi que des antécédents défavorables connus des services de police, justifiaient la décision du préfet. En jugeant que ce dernier n’a pas commis d’erreur d’appréciation, la cour exerce un contrôle restreint sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration. Cette décision confirme qu’une interdiction de retour d’une durée significative peut être prononcée même en l’absence de menace avérée pour l’ordre public, dès lors que le profil global de l’intéressé révèle une intégration faible et un non-respect des règles d’entrée et de séjour.

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Hassan KOHEN
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