Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 9 janvier 2025, n°24BX01860

Par un arrêt en date du 9 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour pour raisons de santé et sur l’étendue des obligations procédurales qui incombent au demandeur. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré régulièrement en France et dont les demandes d’asile avaient été définitivement rejetées, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en raison de son état de santé, faisant état de plusieurs pathologies. L’autorité préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté lui faisant également obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Bordeaux a confirmé cette décision. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), sur lequel s’est fondée l’administration, était incomplet, n’ayant pas pris en compte l’une de ses pathologies, de nature psychiatrique, pourtant signalée lors d’une précédente procédure. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si la charge de la transmission de l’ensemble des pièces médicales pertinentes au collège de médecins de l’OFII incombe exclusivement au demandeur d’un titre de séjour pour raisons de santé. La cour administrative d’appel de Bordeaux répond par l’affirmative en rejetant la requête. Elle juge que l’administration n’est pas tenue de prendre en considération une pathologie sur laquelle le collège de médecins n’a pas pu se prononcer, dès lors qu’il n’est pas établi que le demandeur a bien transmis les certificats médicaux correspondants à cet organe. La cour souligne ainsi que « si M. A… produit un certificat médical du 23 mai 2022 d’une psychiatre en vue d’une éventuelle demande de titre de séjour, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait transmis ce document au collège de médecins ni qu’il l’aurait produit à l’appui de sa demande de titre de séjour du 9 mai 2023 ». La responsabilité de la constitution du dossier médical repose donc entièrement sur l’étranger.

Cette décision réaffirme avec force le rôle central de l’avis médical dans la procédure d’admission au séjour pour soins tout en en délimitant strictement les contours (I), consacrant une interprétation rigoureuse des textes dont les conséquences pour le demandeur sont particulièrement significatives (II).

I. La confirmation d’une charge procédurale pesant sur l’étranger sollicitant une protection au titre de son état de santé

La cour rappelle que l’évaluation médicale conditionnant la délivrance du titre de séjour s’effectue dans un cadre procédural précis, limitant l’office du collège de médecins (A) et imputant par conséquent l’incomplétude du dossier au seul demandeur (B).

A. Le rappel de l’office circonscrit du collège de médecins de l’OFII

L’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile subordonne la délivrance d’une carte de séjour temporaire à la reconnaissance, par un collège de médecins de l’OFII, de l’existence d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité dont le traitement ne peut être effectivement poursuivi dans le pays d’origine. La décision commentée illustre que la compétence de ce collège est strictement bornée aux éléments qui lui sont soumis. En l’espèce, le juge constate que le rapport médical a été « exclusivement établi sur la base du certificat du docteur B… qui porte sur les problèmes auriculaires de l’intéressé ». La cour en déduit logiquement que la pathologie psychiatrique n’a pu faire l’objet d’une évaluation. Ce faisant, elle confirme que le collège de médecins n’a pas pour mission d’investiguer l’état de santé global du demandeur au-delà des pièces fournies. Son rôle n’est pas inquisitorial mais consiste à rendre un avis technique sur la base d’un dossier que l’étranger doit lui-même constituer, conformément aux dispositions réglementaires. Cette approche garantit le respect du secret médical, l’étranger restant maître des informations qu’il souhaite divulguer.

B. L’imputation de l’incomplétude du dossier au seul demandeur

La conséquence directe du rôle ainsi circonscrit du collège de médecins est que la responsabilité de la complétude du dossier pèse exclusivement sur le demandeur. La cour est très claire sur ce point, écartant le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure. Elle relève que le requérant ne démontre pas avoir transmis les certificats relatifs à sa pathologie psychiatrique au collège de médecins, ni même les avoir produits à l’appui de sa demande de titre de séjour auprès de la préfecture. Le fait que cette pathologie ait pu être mentionnée lors d’une procédure antérieure, en l’occurrence une précédente demande de titre, est jugé inopérant. L’administration n’est pas tenue de rechercher dans ses archives des éléments que le demandeur omet de produire à l’appui de sa nouvelle demande. Chaque procédure est autonome et doit être instruite au vu des pièces qui lui sont spécifiquement jointes. Cette solution, si elle peut paraître sévère, est conforme au principe de la charge de la preuve et à une logique de bonne administration des dossiers, qui impose au demandeur une diligence particulière dans la constitution de sa demande.

II. La portée d’une solution rigoureuse aux conséquences sévères pour le demandeur

Cette application stricte des textes exclut tout rôle d’assistance de l’administration dans la constitution du dossier (A) et confère un caractère absolument déterminant à l’avis médical, dont dépend toute la chaîne de protection de l’étranger malade contre l’éloignement (B).

A. Une application stricte des textes excluant tout rôle inquisitorial de l’administration

En faisant reposer l’entière responsabilité de la transmission des pièces sur le demandeur, la cour administrative d’appel de Bordeaux adopte une lecture littérale des textes régissant la procédure. Elle refuse d’imposer à l’administration, qu’il s’agisse de la préfecture ou de l’OFII, une obligation de rechercher les pièces qui pourraient être manquantes, même si d’autres éléments au dossier pouvaient suggérer leur existence. Cette approche s’oppose à une conception plus protectrice qui voudrait que l’administration, face à un dossier potentiellement incomplet, invite le demandeur à fournir les éléments complémentaires nécessaires. Une telle démarche, si elle est parfois admise dans d’autres contentieux, est ici écartée. La valeur de la solution est donc sa prévisibilité et sa conformité à une gestion administrative efficiente, mais sa critique réside dans sa rigidité. Elle peut conduire à des situations où un étranger, potentiellement éligible à la protection, se la voit refuser non pour un motif de fond, mais en raison d’un manquement procédural, qui peut être lié à sa méconnaissance des complexités administratives ou à sa vulnérabilité.

B. Le caractère déterminant de l’avis médical dans la protection contre l’éloignement

La portée de la décision est considérable car l’avis du collège de médecins constitue la pierre angulaire de l’ensemble du dispositif de protection. L’arrêt le démontre par un effet de cascade. Le refus de titre de séjour, jugé légal en l’absence d’un avis médical complet, entraîne mécaniquement la légalité de l’obligation de quitter le territoire français. Le moyen tiré de l’exception prévue à l’article L. 611-3 9° du CESEDA, qui protège l’étranger malade d’une OQTF, est écarté au motif qu’il « résulte de ce qui a été dit au point 6 que le préfet […] pouvait légalement refuser de délivrer […] un titre de séjour en qualité d’étranger malade ». De même, l’argument fondé sur l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme est rejeté pour les mêmes raisons en ce qui concerne l’état de santé. La cour considère qu’il n’est « pas établi par les pièces produites que le défaut de prise en charge de sa pathologie entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Une unique défaillance procédurale dans la transmission d’un document au service médical de l’OFII a ainsi pour effet de priver l’étranger de toutes les protections successives que le droit interne et le droit conventionnel lui réservent en raison de son état de santé.

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Hassan KOHEN
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