Cour d’appel administrative de Douai, le 12 février 2025, n°23DA02190

Par un arrêt en date du 12 février 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions dans lesquelles un militaire peut être tenu au remboursement des frais d’une formation spécialisée à la suite de la rupture de son engagement.

En l’espèce, un individu avait souscrit un contrat d’engagement de dix ans en qualité d’élève officier du personnel navigant en 2013, puis suivi une formation spécialisée à compter de 2014, obtenant un brevet militaire en 2017. Après avoir souscrit un nouveau contrat en 2019, il a dénoncé celui-ci quelques mois plus tard, et son administration de tutelle a accepté sa démission. Par la suite, l’administration l’a informé de son obligation de rembourser le coût de sa formation et a émis à son encontre un titre de perception d’un montant de 80 424,42 euros. Un recours gracieux formé par l’intéressé a été rejeté.

Saisi par le militaire, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de perception et à la décharge de la somme. L’officier a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment qu’il n’avait jamais signé l’engagement écrit prévu par la réglementation conditionnant son lien au service à une contrepartie financière, et que cette obligation ne lui avait jamais été notifiée avant son admission en formation. Il arguait que l’absence de recueil de son consentement express viciait la procédure de recouvrement. Le ministre des armées concluait au rejet de la requête, estimant les moyens soulevés non fondés.

Il convenait donc pour le juge d’appel de déterminer si l’obligation de rembourser les frais d’une formation spécialisée pouvait être opposée à un militaire alors même que l’administration avait omis de lui faire signer, préalablement à cette formation, un engagement écrit l’informant de cette contrainte et de la durée du lien au service attendu.

La cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que l’information écrite préalable du militaire sur la durée de son engagement et sur l’obligation de remboursement en cas de rupture anticipée constitue une formalité substantielle conditionnant la validité de son consentement. Constatant l’absence de signature du formulaire d’engagement prévu par les textes et l’absence de toute information équivalente par une autre voie, la cour en déduit que l’officier n’a pu s’engager en pleine connaissance de cause. Par conséquent, il ne saurait être tenu au remboursement des frais de formation. La cour annule donc le jugement de première instance ainsi que le titre de perception.

La solution retenue consacre ainsi le formalisme informatif comme une condition de fond de l’obligation de remboursement (I), assurant par là même une protection renforcée du militaire face aux prérogatives de l’administration (II).

***

I. La consécration du formalisme informatif comme condition de l’obligation de remboursement

La cour fait de l’accomplissement d’une formalité écrite une condition essentielle à la naissance de la dette de remboursement (A), dont l’omission fait obstacle à la reconnaissance d’un consentement éclairé du militaire (B).

A. L’exigence d’un engagement écrit érigée en formalité substantielle

Le raisonnement du juge s’ancre dans une lecture combinée des articles L. 4139-13, R. 4139-50 et R. 4139-51 du code de la défense, ainsi que de l’arrêté ministériel du 26 juillet 2013. Ces textes organisent le dispositif du « lien au service », qui impose à un militaire ayant bénéficié d’une formation spécialisée onéreuse de rester en activité durant une période déterminée, sous peine de devoir rembourser tout ou partie des frais engagés par l’État. L’article 5 de l’arrêté de 2013 précise que ce lien au service et le calcul de l’indemnité due en cas de rupture « font l’objet d’un engagement du militaire, par écrit, dans le formulaire joint en annexe X, préalablement à l’admission à la formation spécialisée ».

L’apport de la décision commentée est de donner toute sa force à cette exigence procédurale. La cour la qualifie explicitement de « formalité substantielle ». Ce faisant, elle dépasse une lecture purement administrative du texte pour en faire une garantie fondamentale pour l’agent. Comme elle le formule, cette information écrite est une formalité substantielle « de son consentement écrit, à ne pas rompre prématurément cet engagement et de l’obligation de remboursement à laquelle il est tenu en cas de rupture anticipée de celui-ci ». Le formalisme n’est donc pas une simple contrainte administrative, mais le support même de la volonté libre et éclairée de l’officier.

B. L’absence de consentement éclairé faisant obstacle à la créance

La cour tire une conséquence radicale de l’inobservation de cette formalité. Ayant constaté en fait qu’il est « constant que préalablement à son admission au cycle de formation spécialisée, M. B… n’a pas signé le formulaire d’engagement » et qu’il n’a pas non plus « reçu une information équivalente par une autre voie », le juge en déduit une absence de consentement valable. La formule est sans équivoque : « il ne peut être regardé comme s’étant engagé en toute connaissance de cause à respecter la durée de service lié à la formation suivie ». L’obligation de remboursement, qui est la contrepartie de la rupture de cet engagement, ne peut donc exister.

Cette solution met en lumière le fait que la dette ne naît pas automatiquement du seul suivi de la formation et de la démission subséquente. Sa validité est suspendue à la preuve, par l’administration, qu’elle a correctement rempli son devoir d’information et recueilli un consentement explicite. En l’absence de cette preuve, la créance est privée de fondement juridique. L’omission de l’administration n’est pas un simple vice de forme susceptible d’être régularisé, mais une carence originelle qui empêche la créance de naître.

II. Une protection renforcée du militaire face aux prérogatives de l’administration

En sanctionnant le manquement de l’administration à ses propres règles (A), le juge administratif rééquilibre le rapport de force et offre à l’agent une garantie substantielle contre une charge financière exorbitante (B).

A. La sanction du manquement de l’administration à son devoir d’information

Cette décision constitue un rappel à l’ordre pour l’administration militaire. Elle illustre l’idée que les prérogatives de puissance publique s’accompagnent de devoirs, au premier rang desquels figure une obligation de loyauté et de clarté dans ses relations avec ses agents. La cour ne se contente pas de vérifier que le militaire connaissait la règle de droit de manière abstraite ; elle exige que l’administration démontre avoir personnellement et préalablement informé l’intéressé des conséquences financières précises de ses choix de carrière. Le simple fait que la réglementation soit publiée ne suffit pas à établir que le consentement a été donné en connaissance de cause.

La solution s’inscrit dans une logique de sécurité juridique au profit de l’administré. L’agent public, et plus encore le militaire soumis à un statut particulier, doit pouvoir anticiper avec certitude la portée de ses engagements. En conditionnant la validité d’une créance de près de cent mille euros à la signature d’un document, le juge contraint l’administration à une gestion rigoureuse de ses procédures et la dissuade de se prévaloir d’un consentement implicite ou supposé. La charge de la preuve de l’information repose sans ambiguïté sur l’institution.

B. La garantie contre une charge financière disproportionnée

Bien que la cour annule la créance pour un motif de procédure et n’ait donc pas à se prononcer sur les autres moyens soulevés, notamment celui tiré de l’atteinte disproportionnée au droit de propriété, sa décision aboutit matériellement à protéger l’ancien officier d’une dette particulièrement lourde. La rigueur de son contrôle sur le formalisme informatif agit comme un rempart contre les conséquences potentiellement démesurées de la rupture d’un engagement. En subordonnant le recouvrement à un consentement explicite, le juge s’assure que l’agent a bien mesuré le risque financier auquel il s’exposait en acceptant une formation de pointe.

La portée de cet arrêt est donc significative. Il indique que l’administration ne pourra poursuivre le remboursement des frais de formation si elle ne peut produire l’acte par lequel l’agent a spécifiquement reconnu cette obligation. Cette jurisprudence incite ainsi fortement les services gestionnaires à une vigilance accrue dans le suivi administratif des parcours de formation. Pour les militaires, elle constitue une garantie que la contrepartie financière exigée en cas de départ anticipé ne peut résulter que d’un engagement volontaire, conscient et formellement acté.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture