Par un arrêt rendu le 12 février 2025, la cour administrative d’appel de Douai précise les conditions de renversement de la présomption de causalité relative aux essais nucléaires. Un ancien militaire, ayant séjourné à Papeete entre août 1968 et juillet 1969, sollicitait la réparation de préjudices résultant de pathologies cancéreuses diagnostiquées tardivement. Le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande initiale avant que le tribunal administratif d’Amiens ne confirme cette décision en 2023. Le requérant soutenait que la présomption de causalité ne pouvait être renversée par de simples données statistiques en l’absence de surveillance médicale individuelle durant son service. La juridiction d’appel devait alors apprécier si les doses efficaces reconstituées par l’administration suffisaient à établir une exposition inférieure au seuil réglementaire de un millisievert. Le juge administratif rejette la requête en considérant que la présomption est valablement renversée au regard des conditions concrètes du séjour de l’appelant en Polynésie française.
I. L’encadrement strict du renversement de la présomption de causalité
A. Le bénéfice conditionnel de la présomption légale de lien de droit
La loi du 5 janvier 2010 institue un régime de responsabilité sans faute fondé sur une présomption de causalité pour les victimes des essais nucléaires français. Le requérant remplissait les critères de temps, de lieu et de pathologie puisque ses cancers du côlon et des poumons figurent sur la liste réglementaire. Cette protection législative dispense initialement la victime de prouver le lien direct entre l’exposition aux rayonnements ionisants et le développement ultérieur de sa maladie. La cour rappelle cependant que ce mécanisme protecteur n’est pas irréfragable et peut être combattu par l’administration dans les conditions définies par le législateur.
B. L’exigence d’une preuve scientifique de l’exposition résiduelle
La présomption ne peut être écartée que s’il est « établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants […] a été inférieure à la limite de dose efficace ». Ce seuil de référence est fixé à un millisievert par an pour l’exposition de la population selon les dispositions du code de la santé publique. L’administration doit apporter la preuve positive que l’intéressé a reçu une dose de rayonnements strictement inférieure à ce plafond durant chaque année de son séjour. Cette démonstration repose sur une analyse technique rigoureuse des conditions de contamination externe et interne subies par la personne concernée sur les différents sites occupés.
II. L’admission de la modélisation statistique dans l’appréciation individuelle
A. La validation méthodologique des doses efficaces engagées
Pour renverser la présomption, le comité d’indemnisation s’appuie sur des tables de doses reconstituées par le Commissariat à l’énergie atomique à partir de surveillances environnementales systématiques. La cour valide cette méthodologie en soulignant qu’elle a reçu l’approbation de l’Agence internationale de l’énergie atomique pour sa précision concernant les conséquences des tirs atmosphériques. Ces doses intègrent la contamination externe lors du passage du panache radioactif ainsi que la contamination interne résultant de l’ingestion de produits alimentaires et d’eaux locales. La juridiction administrative considère que ces calculs savants permettent de reconstituer avec une fiabilité suffisante l’exposition réelle subie par les personnes présentes en Polynésie française.
B. L’absence de nécessité avérée d’une surveillance radiologique spécifique
Le juge administratif écarte l’argument relatif à l’absence de mesures de surveillance individuelle en analysant les « conditions concrètes d’exposition de l’intéressé » durant son affectation militaire. Le requérant exerçait des fonctions de chauffeur de car à Papeete, ville située à plus de mille deux cents kilomètres des sites d’expérimentation de Fangataufa et Mururoa. La cour relève que de telles mesures de surveillance n’étaient pas nécessaires au regard de la faible intensité des radiations reconstituées pour les années 1968 et 1969. En l’absence de critique précise de la méthodologie employée, les données collectives suffisent à démontrer que l’exposition est demeurée très en deçà du seuil légal de protection.