Par un arrêt en date du 15 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Douai a été amenée à se prononcer sur les conséquences indemnitaires d’une décision illégale refusant à un candidat l’autorisation de s’inscrire à un concours de la fonction publique. En l’espèce, un sous-officier de gendarmerie s’était vu refuser l’inscription au concours d’officier pour la session 2015 au motif qu’il avait dépassé la limite d’âge. Saisie d’un recours administratif, l’administration avait reconnu son erreur, la condition d’âge pouvant être reportée, et avait, en compensation, autorisé l’intéressé à concourir au titre des années 2016 et 2017. Le candidat, après avoir été déclaré admissible aux épreuves écrites du concours de 2016, avait finalement échoué aux épreuves orales et n’avait pas souhaité se présenter à la session de 2017. Estimant que la mesure de compensation ne réparait pas entièrement son préjudice, il a saisi la juridiction administrative d’une demande d’indemnisation visant à la réparation d’une perte de chance sérieuse de réussir le concours et d’un préjudice moral. Le tribunal administratif de Lille ayant rejeté sa demande, le requérant a interjeté appel du jugement. Il soutenait que l’illégalité fautive de la décision initiale lui avait fait perdre une chance sérieuse de réussite et que la possibilité de concourir ultérieurement ne constituait pas une réparation adéquate. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer concluait pour sa part au rejet de la requête. Le problème de droit posé à la Cour était de déterminer si l’illégalité d’un refus d’inscription à un concours, suivie d’une mesure de compensation consistant en une autorisation de concourir les années suivantes, fait obstacle à l’indemnisation de la perte de chance sérieuse de réussite et du préjudice moral qui en seraient résulté. La Cour administrative d’appel y répond de manière nuancée. Elle juge que si l’échec du candidat lors de la session de rattrapage démontre que sa chance de réussite n’était pas sérieuse, écartant ainsi le préjudice financier, l’illégalité initiale et les démarches contentieuses qu’elle a nécessitées caractérisent un préjudice moral distinct ouvrant droit à réparation.
Cette solution, qui rappelle les conditions classiques de l’engagement de la responsabilité administrative (I), se distingue par son appréciation concrète et différenciée des préjudices subis par le requérant (II).
I. La réaffirmation des conditions de la responsabilité administrative pour faute
La Cour administrative d’appel fonde son raisonnement sur les principes établis du droit de la responsabilité publique, en caractérisant d’abord une faute de l’administration (A), avant de rappeler que celle-ci doit être la cause directe d’un préjudice pour ouvrir droit à réparation (B).
A. La reconnaissance d’une illégalité fautive incontestée
L’arrêt retient sans difficulté l’existence d’une faute de l’administration résultant de l’illégalité de sa décision initiale. Pour refuser l’inscription du candidat au concours de 2015, l’autorité compétente avait retenu que celui-ci ne remplissait plus la condition d’âge. Or, il est apparu que le requérant pouvait bénéficier de dispositions réglementaires lui permettant un report de cette limite d’âge. L’administration elle-même a admis son erreur, puisque « par une décision du 1er décembre 2015, prise sur recours formé par [l’intéressé], le ministre de l’intérieur a reconnu l’illégalité de cette décision ».
En appel, la faute n’est d’ailleurs plus un objet de débat, le juge notant que « le ministre de l’intérieur ne conteste plus, en appel, l’illégalité des motifs entachant la décision du 12 janvier 2015 ». Cette illégalité, qui résulte d’une mauvaise application des textes régissant l’accès au concours, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. La Cour rappelle ainsi une solution constante selon laquelle une décision administrative illégale est en principe fautive. Cette première étape du raisonnement, orthodoxe, ouvre la voie à l’examen des conséquences dommageables de cette faute.
B. Le rappel de l’exigence d’un préjudice direct et certain
Une fois la faute établie, la Cour administrative d’appel s’attache à vérifier si celle-ci a engendré un préjudice indemnisable. Elle énonce que « l’illégalité de la décision du 12 janvier 2015 […] est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration, à la condition cependant que l’intéressé justifie de l’existence d’un préjudice en lien direct avec cette faute ». Par cette formule, le juge rappelle les caractères que doit revêtir le dommage pour être réparable : il doit être direct, certain et personnel.
L’enjeu du litige se déplace ainsi de la question de la faute, acquise, vers celle de la preuve du préjudice. Le requérant invoquait deux chefs de préjudice distincts : une perte de chance sérieuse d’être admis au concours dès 2015, entraînant un préjudice financier, et un préjudice moral. C’est sur l’appréciation de l’existence et de la certitude de ces préjudices que la Cour va opérer une analyse fine et restrictive, qui constitue le principal apport de la décision. Elle va ainsi lier l’évaluation de la chance perdue aux résultats effectivement obtenus par le candidat lors de la session de rattrapage qui lui a été offerte.
II. Une appréciation restrictive de la perte de chance et la consécration d’un préjudice moral autonome
La Cour administrative d’appel se livre à une analyse différenciée des préjudices invoqués. Si elle écarte l’indemnisation au titre de la perte de chance sérieuse en se fondant sur une appréciation pragmatique des faits (A), elle reconnaît néanmoins l’existence d’un préjudice moral autonome lié aux tracas causés par la faute de l’administration (B).
A. Le rejet de la perte de chance sérieuse à l’épreuve des faits
Pour évaluer le caractère sérieux de la chance prétendument perdue par le requérant de réussir le concours en 2015, la Cour examine ses résultats lors de la session de 2016. Elle constate que s’il a été déclaré admissible à l’issue des épreuves écrites, son échec final est dû à « la note éliminatoire de 4,5 obtenue à l’épreuve de langue vivante option anglais ». Le juge écarte l’argument d’un manque de préparation, estimant que le délai dont il disposait était suffisant pour une épreuve orale. De même, les allégations de partialité du jury sont jugées non établies et sans influence sur ses notes.
La Cour en déduit, dans une formule décisive, que « dès lors qu’il a échoué au concours de 2016 sans que le manque de préparation dû à l’empêchement dans lequel il s’est trouvé de pouvoir se présenter l’année précédente puisse l’expliquer, l’appelant n’est pas fondé à soutenir, au vu de ses résultats, qu’il avait une chance sérieuse de réussir le concours dès l’année 2015 ». Cette approche utilise la mesure de compensation offerte par l’administration comme un test rétrospectif de la probabilité de réussite du candidat. L’échec, non imputable à la faute initiale, vient ainsi neutraliser le caractère sérieux de la chance perdue et, par conséquent, le caractère certain du préjudice financier allégué. Cette méthode d’appréciation *in concreto* permet au juge d’éviter une évaluation spéculative et abstraite des chances de succès d’un candidat.
B. La reconnaissance d’un préjudice moral né des démarches imposées au requérant
Bien qu’ayant écarté l’existence d’une perte de chance sérieuse, la Cour ne rejette pas l’intégralité de la demande d’indemnisation. Elle admet l’existence d’un préjudice moral distinct. Ce préjudice ne réside pas dans la déception de ne pas avoir réussi le concours, mais dans les désagréments directement causés par l’illégalité fautive de l’administration. Le juge souligne ainsi que le requérant « a été informé en janvier 2015 qu’il ne pourrait pas concourir alors qu’il remplissait les conditions statutaires et a ensuite été contraint d’engager de multiples démarches gracieuses et contentieuses pour faire valoir ses droits ».
La Cour considère que ces circonstances constituent un préjudice moral certain et en lien direct avec la faute. Elle condamne l’État à verser une somme de 1 000 euros à ce titre. Cette solution consacre l’idée que le simple fait pour un administré de devoir se battre pour la reconnaissance d’un droit évident, face à une administration fautive, est en soi une source de préjudice indemnisable. L’arrêt distingue ainsi clairement le préjudice lié à la perte d’une chance de succès, qui demeure hypothétique, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence, qui sont certains. Cette reconnaissance d’un préjudice moral autonome, même en l’absence de préjudice matériel, réaffirme que la responsabilité de l’administration vise aussi à réparer les atteintes portées à la tranquillité et à la considération des administrés.