Cour d’appel administrative de Douai, le 16 janvier 2025, n°24DA00794

Par un arrêt rendu le 16 janvier 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée au titre de prestations de services intra-groupe. Cette décision offre une illustration précise de la charge de la preuve incombant au contribuable et des conséquences d’un défaut de justification, tant sur le plan du rappel d’imposition que des pénalités appliquées.

Une société spécialisée dans le travail temporaire a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au terme de laquelle l’administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée grevant des sommes versées à sa société mère. Ces versements correspondaient, d’une part, à des redevances mensuelles prévues par une convention d’assistance et, d’autre part, à la refacturation de diverses prestations acquises par la société mère auprès de tiers. L’administration a maintenu sa position malgré un avis partiellement contraire de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, et a procédé à un rappel de taxe assorti d’une majoration pour manquement délibéré.

Après le rejet de sa réclamation, la société a saisi le tribunal administratif de Rouen, qui a confirmé le bien-fondé de l’imposition par un jugement du 9 avril 2024. La société a interjeté appel de cette décision, soutenant que les prestations étaient réelles, répondaient à son intérêt et que l’administration n’apportait pas la preuve du caractère intentionnel du manquement. Le ministre de l’économie, pour sa part, a conclu au rejet de la requête en arguant que la société n’établissait pas la réalité des prestations et que le manquement délibéré était caractérisé.

Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si une société peut déduire la taxe sur la valeur ajoutée afférente à des sommes versées à sa société mère en contrepartie de services prévus par une convention-cadre et de prestations refacturées, en l’absence de justification précise de leur réalité et de leur utilité pour ses propres opérations taxables.

La cour répond par la négative, confirmant l’analyse de l’administration et des premiers juges. Elle juge que le contribuable ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la réalité des prestations en cause, ni de leur engagement pour les besoins de son activité. Par conséquent, elle valide non seulement le rappel de taxe, mais également la majoration de quarante pour cent, estimant que l’intention d’éluder l’impôt est suffisamment démontrée par les circonstances de l’espèce.

Cette solution conduit à examiner la rigueur avec laquelle le juge de l’impôt contrôle la réalité des services intra-groupe comme condition du droit à déduction (I), avant d’analyser les conséquences étendues que cette absence de preuve emporte (II).

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**I. Le contrôle rigoureux de la réalité des services intra-groupe comme condition du droit à déduction**

La cour administrative d’appel confirme une approche stricte de l’appréciation des prestations intra-groupe, en rappelant d’abord la charge de la preuve qui pèse sur le contribuable (A), puis en jugeant qu’une simple convention-cadre est insuffisante à établir la matérialité des services facturés (B).

**A. La réaffirmation de la charge de la preuve incombant au contribuable**

La décision s’articule autour d’un principe fondamental en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qu’elle prend soin de rappeler : « il incombe au contribuable d’établir le bien-fondé des déductions de taxe sur la valeur ajoutée portées sur ses déclarations de chiffre d’affaires ». En application de l’article 271 du code général des impôts, le droit à déduction est subordonné à l’utilisation des biens et services pour les besoins d’opérations taxables. La présente décision illustre que cette condition ne se présume pas, même dans le cadre de relations entre sociétés d’un même groupe.

Le juge ne se contente pas des allégations de la société requérante. Il exige des éléments concrets et tangibles démontrant que les sommes versées avaient une contrepartie effective. En l’espèce, la société se limitait à affirmer que les prestations étaient nécessairement réelles, sans produire de documents probants. Cette approche formaliste et exigeante de la preuve vise à garantir que le mécanisme de déduction de la taxe ne soit pas détourné pour permettre des transferts de fonds non imposables au sein d’un groupe, sous le couvert de prestations de services fictives ou surévaluées. La position de la cour est ainsi une application classique mais ferme des règles de preuve fiscales.

**B. L’insuffisance d’une convention-cadre à établir la réalité des prestations**

La société requérante s’appuyait sur l’existence d’une convention d’assistance, conclue avec sa société mère, pour justifier le paiement de redevances forfaitaires. Cependant, la cour considère que cet acte juridique, s’il établit une obligation contractuelle, ne démontre pas à lui seul l’exécution effective des prestations qu’il énumère. Le champ des services prévus par la convention était d’ailleurs « particulièrement vaste », allant de la stratégie à la gestion des ressources humaines, en passant par l’assistance juridique et fiscale.

Pour le juge, la réalité des prestations ne pouvait être établie dès lors que la société ne produisait « aucune des factures mensuelles en cause, ni aucun élément de nature à justifier de la nature exacte des prestations dont elle aurait bénéficié ». De plus, l’arrêt relève un élément factuel déterminant : la société mère ne disposait d’aucun salarié possédant les compétences pour assurer les missions prévues. Ce faisceau d’indices conduit la cour à conclure que les redevances ne correspondaient pas à des services effectivement réalisés. La solution est claire : un accord de principe, même formalisé, ne peut pallier une absence totale de justification quant à son exécution matérielle.

La même logique de contrôle de la substance économique des opérations, au-delà de leur apparence juridique, est appliquée par la cour à l’ensemble des flux financiers entre les deux sociétés.

**II. Les conséquences étendues de l’absence de preuve des services**

Le défaut de justification de la réalité des prestations entraîne non seulement le rejet de la déduction pour les services refacturées (A), mais également la confirmation de la pénalité pour manquement délibéré, caractérisant une intention frauduleuse (B).

**A. Le rejet de la déduction pour les coûts refacturés sans utilité prouvée**

Outre les redevances, la société mère refacturait à sa filiale un certain nombre de dépenses (informatique, copies, courrier) qu’elle avait elle-même supportées. La société requérante soutenait que cette refacturation à l’euro près, sans marge, démontrait sa bonne foi et la réalité des charges. La cour écarte cet argument en appliquant le même raisonnement que pour les redevances : la société doit prouver que ces services « ont été réalisés pour les besoins de son activité taxable ».

L’analyse de la cour est ici particulièrement fine, car elle met en évidence que la plupart de ces prestations refacturées faisaient double emploi avec des services que la filiale se procurait déjà auprès d’autres prestataires, parfois même au sein du même groupe. Par exemple, le matériel informatique était déjà mis à disposition par une autre entité du groupe. Cette redondance des dépenses a été un indice majeur pour le juge, qui en a déduit que les prestations refacturées n’étaient pas engagées dans l’intérêt de l’activité de la filiale. La simple refacturation d’un coût ne suffit donc pas à ouvrir droit à déduction si son utilité pour le bénéficiaire n’est pas démontrée.

**B. La caractérisation d’un manquement délibéré justifiant la pénalité**

L’aboutissement logique du raisonnement de la cour est la confirmation de la majoration de quarante pour cent pour manquement délibéré, prévue à l’article 1729 du code général des impôts. Pour appliquer cette pénalité, l’administration doit prouver l’intention du contribuable d’éluder l’impôt. En l’espèce, la cour estime cette preuve rapportée, en déduisant l’élément intentionnel des circonstances objectives de l’affaire.

Elle considère que la société « ne pouvait raisonnablement ignorer ne pas être en mesure de justifier d’une contrepartie tangible aux redevances et autres paiements versés par elle à la société Financière du Val-de-Reuil ». La communauté d’intérêts entre la société mère et sa filiale, ainsi que le rôle de la gérante de la filiale, également directrice commerciale de la société mère, ont été des éléments pertinents pour établir que la situation était parfaitement connue des dirigeants. En choisissant délibérément de déduire une taxe sur la valeur ajoutée sans pouvoir justifier d’une prestation réelle, la société a manifesté son intention de se soustraire à l’impôt. Cet arrêt confirme ainsi que, dans le contexte d’un groupe de sociétés, l’absence flagrante de substance économique peut suffire à caractériser le manquement délibéré.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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