Cour d’appel administrative de Douai, le 18 février 2025, n°24DA02313

Par un arrêt en date du 18 février 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité de l’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi, dans le contexte d’une entreprise en redressement judiciaire. En l’espèce, une société de vente au détail de vêtements a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce en date du 2 novembre 2023, lequel a désigné un administrateur judiciaire avec pour mission d’assister la société débitrice pour tous les actes relatifs à la gestion. Dans le cadre de cette procédure, un projet de licenciement économique collectif a été envisagé, conduisant à l’élaboration d’un document unilatéral fixant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Le 30 avril 2024, le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités a homologué ce document.

Deux salariées concernées par la mesure de licenciement ont saisi le tribunal administratif de Lille d’une demande d’annulation de cette décision d’homologation. Par un jugement du 25 septembre 2024, le tribunal a rejeté leur requête. Les salariées ont interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité de la procédure de consultation des représentants du personnel qu’à la légalité interne de la décision administrative. Elles contestaient notamment la compétence de l’administrateur judiciaire pour conduire la procédure, la régularité de l’information et de la consultation du comité social et économique, la définition du périmètre du groupe pour la recherche de reclassement et la contribution financière au plan, la suffisance des mesures du plan au regard des moyens de l’entreprise, la définition des catégories professionnelles et le respect de l’obligation de sécurité. Il était ainsi demandé à la cour de déterminer si l’autorité administrative pouvait légalement homologuer un document unilatéral fixant un plan de sauvegarde de l’emploi dans le contexte d’une entreprise en redressement judiciaire, au regard notamment de l’étendue des pouvoirs de l’administrateur judiciaire et des limites du contrôle administratif sur la procédure et le contenu du plan.

La cour administrative d’appel répond par l’affirmative en rejetant la requête des salariées. Elle juge que l’administrateur judiciaire n’a pas excédé sa mission, que la procédure de consultation du comité social et économique a été régulière et que l’administration a exercé son contrôle dans les limites de sa compétence, sans commettre d’erreur d’appréciation quant au contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. La solution retenue par la cour permet de préciser le cadre procédural applicable à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cas de procédure collective, tout en confirmant l’étendue du contrôle de fond exercé par l’administration sur son contenu.

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I. Une validation du contrôle administratif de la procédure d’élaboration du plan

La cour confirme la légalité de la décision d’homologation en validant d’une part l’intervention de l’administrateur judiciaire dans la procédure (A), et en circonscrivant d’autre part le contrôle de l’administration à la seule procédure de consultation prévue par le code du travail (B).

A. La légitimité confirmée de l’intervention de l’administrateur judiciaire

Les requérantes soutenaient que l’administrateur judiciaire, investi d’une mission d’assistance et non de représentation, n’avait pas le pouvoir de mener la procédure de licenciement collectif. La cour écarte ce moyen en se fondant sur la mission générale confiée à l’administrateur par le tribunal de commerce. En effet, le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire lui avait donné pour mission d’assister la société « pour tous les actes relatifs à la gestion sans prévoir de restriction ». Or, l’initiation d’un plan de sauvegarde de l’emploi constitue un acte de gestion nécessaire à la restructuration de l’entreprise en difficulté. La cour estime ainsi que l’administrateur « n’a pas excédé le périmètre de sa compétence en initiant la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi ».

Par ailleurs, la cour relève, sur un plan factuel, que l’administrateur judiciaire n’a pas signé les convocations aux réunions du comité social et économique, celles-ci ayant été signées par la directrice des ressources humaines de la société. L’administrateur s’est borné à co-signer les ordres du jour, ce qui ne suffit pas à caractériser un excès de pouvoir dans le cadre de sa mission d’assistance. Cette approche pragmatique confirme que l’intervention de l’administrateur, essentielle à la recherche de solutions pour une entreprise en difficulté, ne vicie pas la procédure dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre de la mission fixée par le juge consulaire et respecte les prérogatives des organes de direction de la société.

B. Un contrôle de la consultation du comité social et économique strictement circonscrit

Les appelantes arguaient également d’une irrégularité de la consultation du comité social et économique, au motif qu’il n’aurait pas été réuni après le jugement arrêtant le plan de cession de l’entreprise. La cour rejette cet argument en opérant une distinction claire entre les obligations d’information et de consultation relevant du code du travail, soumises au contrôle de l’autorité administrative lors de l’homologation, et celles relevant du code de commerce. La cour énonce qu’« il ne résulte d’aucun texte qu’il appartiendrait à l’autorité administrative, saisie d’une demande d’homologation […] de s’assurer que le CSE a été régulièrement informé et consulté en application […] des dispositions du code de commerce ».

Cette solution rappelle que le contrôle de l’administration, et par voie de conséquence celui du juge administratif, se limite à la vérification du respect des dispositions spécifiques à la procédure de licenciement collectif économique. L’administration n’a pas à vérifier le respect de toutes les obligations d’information qui pèsent sur l’employeur dans le cadre plus large de la procédure collective. De surcroît, la cour note que le jugement de liquidation était postérieur à la décision d’homologation attaquée, rendant le moyen inopérant. En se concentrant sur la régularité de la consultation au regard des informations fournies sur le projet de licenciement lui-même, la cour confirme une vision stricte et cloisonnée des contrôles, chaque autorité intervenant dans son champ de compétence défini.

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II. Une confirmation du cadre d’appréciation substantielle du plan de sauvegarde de l’emploi

Après avoir validé la procédure, la cour examine la légalité interne de la décision au regard du contenu du plan. Elle confirme l’approche spécifique de l’appréciation des moyens du plan en cas de procédure collective (A) et réaffirme les limites du contrôle administratif sur les obligations de reclassement et de sécurité (B).

A. L’appréciation de la suffisance des mesures du plan au regard des seuls moyens de l’entreprise

L’un des arguments centraux des requérantes portait sur l’insuffisance du plan, faute de contribution financière du groupe auquel l’entreprise appartenait. La cour rappelle la règle dérogatoire applicable aux entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire, prévue au II de l’article L. 1233-58 du code du travail. Selon ce texte, « l’autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l’emploi après s’être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l’entreprise ». La recherche des moyens du groupe est une obligation pour l’administrateur, mais l’appréciation de la suffisance du plan par l’administration se fait au regard des seuls moyens de l’entreprise elle-même.

En l’espèce, l’administrateur avait bien sollicité les autres sociétés du groupe, lesquelles avaient refusé de contribuer. Face à la situation financière de l’entreprise, avec un passif de plus de 2,3 millions d’euros pour un actif disponible de 100 000 euros, un plan doté d’un budget de 37 500 euros n’a pas été jugé insuffisant par l’administration. La cour valide ce raisonnement, considérant que les mesures prévues étaient propres à satisfaire aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement « compte tenu des seuls moyens dont disposait la société ». Cette décision illustre le réalisme économique imposé par le législateur, qui vise à ne pas rendre impossible l’élaboration d’un plan pour une entreprise dont la survie est déjà compromise.

B. Le contrôle limité des obligations de reclassement et de sécurité

Enfin, la cour se prononce sur le contrôle du périmètre du groupe pour le reclassement et sur le respect des obligations de sécurité. Concernant le reclassement, elle rappelle une jurisprudence constante en précisant qu’« il n’appartient pas à l’administration de contrôler le respect de l’obligation qui incombe à l’employeur […] consistant à procéder, préalablement à ce licenciement, à une recherche sérieuse des postes disponibles pour le reclassement de ce salarié ». Ce contrôle relève de la compétence du juge judiciaire, saisi d’une contestation du licenciement individuel. Le contrôle de l’administration se limite à la cohérence du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l’emploi.

S’agissant de l’obligation de sécurité, les requérantes estimaient que les risques psychosociaux n’avaient pas été suffisamment pris en compte. La cour constate que le comité social et économique a bien été consulté sur ce point, que le document unique d’évaluation des risques a été mis à jour et que des mesures concrètes ont été prévues, telles qu’une cellule d’écoute psychologique et un système d’alerte. Elle juge ces mesures suffisantes au regard des obligations de l’article L. 4121-1 du code du travail. Cette position confirme que le contrôle administratif, sans se substituer à l’employeur, doit s’assurer de l’existence de mesures précises et adaptées aux risques générés par la réorganisation.

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Hassan KOHEN
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