Par un arrêt en date du 18 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée à un agent public territorial. Un agent technique, employé communal, s’était vu reprocher sa participation à des vols de biens publics et l’accomplissement de tâches personnelles pour son supérieur hiérarchique sur son temps de travail. Sur la base de ces faits, le maire de la commune avait prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions pour une durée d’un an. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Lille avait annulé cette sanction par un jugement du 28 juin 2024, au motif que la matérialité des faits n’était pas établie. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que les faits étaient avérés et que la sanction n’était pas disproportionnée. La question de droit qui se posait à la cour était double : il s’agissait de déterminer si des témoignages concordants, produits pour la première fois en appel, pouvaient suffire à établir la réalité matérielle des fautes reprochées à l’agent et, dans l’affirmative, si une exclusion temporaire d’un an constituait une sanction proportionnée à la gravité de ces fautes, nonobstant l’absence d’antécédents disciplinaires. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative à ces deux questions. Elle juge que les faits sont matériellement établis par les pièces versées au dossier en appel, puis elle estime que la sanction n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. En conséquence, la cour annule le jugement de première instance et rejette la demande de l’agent.
Cette décision illustre le double contrôle opéré par le juge administratif en matière disciplinaire, portant d’abord sur la réalité des faits (I), puis sur la proportionnalité de la sanction (II).
I. La réaffirmation de la matérialité des faits par un contrôle approfondi
La cour administrative d’appel, infirmant le jugement de première instance, a exercé un contrôle entier sur la qualification juridique des faits, ce qui l’a conduite à considérer les fautes comme établies. Elle a d’abord constaté l’erreur d’appréciation des premiers juges (A) avant de fonder sa propre conviction sur des éléments de preuve décisifs (B).
A. La censure de l’appréciation initiale des faits
Le tribunal administratif avait retenu une solution radicale en annulant la sanction pour un défaut de matérialité des faits. Cette position signifiait que, selon les premiers juges, l’administration n’apportait pas la preuve des agissements qu’elle reprochait à son agent. En matière disciplinaire, il incombe en effet à l’autorité investie du pouvoir de sanction « d’établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public ». Le juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il est saisi d’un tel moyen, exerce un contrôle normal sur l’exactitude matérielle des faits, ce qui lui permet de substituer son appréciation à celle de l’administration. La cour administrative d’appel, usant de l’effet dévolutif de l’appel, a procédé à un nouvel examen complet de cette question factuelle. Elle a ainsi estimé que le tribunal administratif avait jugé « à tort » que les faits n’étaient pas matériellement établis, signifiant par là que les éléments du dossier, tels que complétés en appel, imposaient une conclusion contraire.
B. La force probante des témoignages concordants
Pour renverser l’appréciation des premiers juges, la cour s’est appuyée sur des « pièces produites pour la première fois en appel par la commune ». Elle détaille la nature de ces preuves, constituées notamment de comptes rendus d’auditions et d’attestations écrites d’autres agents du service. Ces témoignages multiples et concordants décrivaient avec précision les vols de matériaux, ainsi que l’utilisation de véhicules de service à des fins privées au profit du supérieur hiérarchique de l’agent mis en cause. La cour souligne que les griefs sont « corroborés par le témoignage d’un second collègue » et par le « procès-verbal d’un autre agent du service ». Face à cette accumulation de preuves testimoniales jugées cohérentes et en l’absence de contestation par l’intimé en appel, la cour a conclu que « les faits reprochés (…) doivent ainsi être tenus pour établis ». Cette approche pragmatique rappelle que la preuve en droit administratif est libre et que la conviction du juge peut se forger sur un faisceau d’indices graves, précis et concordants.
Une fois la matérialité des faits acquise, il appartenait à la cour de vérifier si la sanction retenue par l’administration était adéquate, ce qui l’a amenée à exercer un contrôle plus restreint.
II. La validation de la proportionnalité de la sanction par un contrôle restreint
Après avoir qualifié les faits de fautifs, la cour a validé la sanction d’exclusion temporaire d’un an, considérant qu’elle n’était pas manifestement disproportionnée. Elle a d’abord rappelé le caractère fautif des agissements (A) pour ensuite confirmer le bien-fondé du choix de la sanction opéré par l’autorité disciplinaire (B).
A. Le caractère fautif des manquements aux obligations déontologiques
L’arrêt établit sans ambiguïté que les faits matériellement prouvés constituent des fautes disciplinaires. Il énonce que ces agissements sont « contraires aux obligations d’exemplarité, de loyauté et de probité attendues d’un agent public ». Ces obligations, qui découlent aujourd’hui de l’article L. 121-1 du code général de la fonction publique, imposent à tout agent un comportement irréprochable dans l’exercice de ses fonctions. Le fait d’avoir participé à des vols de biens communaux et d’avoir utilisé son temps de service à des fins personnelles constitue un manquement direct à l’obligation de probité et à celle de se consacrer intégralement à ses tâches. La cour conclut logiquement que ces manquements, « eu égard à leur nature et leur gravité », justifiaient pleinement « l’infliction d’une sanction ». La reconnaissance du caractère fautif des faits ouvre la voie au contrôle de la sanction elle-même.
B. L’appréciation de la sanction au regard de la gravité des faits
Le contrôle du juge sur le choix de la sanction est un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. Il ne lui appartient pas de choisir la sanction la plus opportune, mais seulement de vérifier si celle retenue par l’administration n’est pas hors de proportion avec la faute commise. En l’espèce, la cour a jugé que la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée d’un an, bien que sévère, n’était pas disproportionnée. Elle a pris en compte « la réitération et la gravité des agissements », ainsi que le contexte particulier dans lequel ils ont été commis, notamment le fait qu’ils aient profité au supérieur hiérarchique direct de l’agent, qui était également son frère. La cour a explicitement écarté les circonstances atténuantes, telles que les « bons états de service sans aucun antécédent disciplinaire ». Elle a ainsi confirmé que l’autorité disciplinaire dispose d’un large « pouvoir d’appréciation » et n’est pas liée par la proposition plus clémente du conseil de discipline, réaffirmant la primauté de la décision de l’autorité territoriale.