La cour administrative d’appel de Douai, dans un arrêt du dix-huit juin deux mille vingt-cinq, se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour. L’intéressé, de nationalité tunisienne, justifie d’un maintien habituel en France depuis deux mille dix-huit et d’un contrat de travail à durée indéterminée de pâtissier. L’autorité préfectorale a rejeté sa demande de régularisation et a assorti cette décision d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté le vingt-sept septembre deux mille vingt-quatre, enjoignant à l’administration de délivrer le titre de séjour sollicité. La juridiction d’appel doit déterminer si le refus de régulariser un travailleur dont la profession n’est pas réglementairement en tension constitue une erreur manifeste d’appréciation. La cour confirme la solution des premiers juges en valorisant l’insertion professionnelle et personnelle du requérant malgré les arguments soulevés par l’administration en appel.
I. L’objectivation d’une insertion professionnelle malgré l’absence de liste réglementaire
A. La reconnaissance des difficultés réelles de recrutement par des données extrinsèques
L’administration soutient que le métier exercé n’apparaît pas sur la liste des professions en tension fixée par l’arrêté ministériel relatif aux autorisations de travail. La cour administrative d’appel de Douai écarte pourtant ce formalisme en s’appuyant sur des éléments de fait concrets et actualisés fournis par le requérant tunisien. Elle relève que le « métier de pâtissier présente des difficultés de recrutement en Normandie », s’appuyant sur des données statistiques précises émanant de l’organisme France Travail. Cette approche pragmatique permet de confronter la réalité économique locale aux listes administratives parfois décalées par rapport aux besoins effectifs des entreprises du secteur.
L’employeur a produit plusieurs attestations confirmant ses difficultés persistantes pour recruter un ouvrier spécialisé, en dépit de la diffusion d’offres d’emploi dès l’année deux mille vingt. Ces témoignages valorisent également les « grandes qualités professionnelles de l’intéressé, de sa créativité, de sa disponibilité et de son esprit d’équipe » au sein de la société. Le juge administratif accepte donc de considérer des preuves issues du secteur privé et des statistiques publiques pour pallier l’absence de la profession visée dans la nomenclature. La persévérance de l’employeur dans ses démarches de recrutement renforce la démonstration d’une insertion économique réelle et utile à la collectivité sur le plan local.
B. La prise en compte globale des éléments de la situation personnelle et familiale
L’appréciation de la cour administrative d’appel de Douai ne se limite pas à la seule sphère professionnelle mais englobe l’ensemble du parcours de vie du ressortissant. Elle note que l’intéressé réside avec son frère, titulaire d’une carte de résident, et qu’il poursuit assidûment des enseignements socio-linguistiques pour parfaire sa maîtrise du français. Ces éléments témoignent d’une volonté d’intégration sociale qui dépasse le simple cadre de l’exécution d’un contrat de travail pour s’inscrire durablement dans la société française. L’ancienneté du séjour, débuté alors que le requérant était encore mineur, constitue un facteur supplémentaire de stabilité que le juge ne peut ignorer.
L’existence de liens familiaux réguliers et la preuve d’efforts constants de formation linguistique complètent le tableau d’une insertion réussie au-delà des strictes exigences légales de séjour. Cette analyse globale permet d’aboutir à la conclusion d’une « insertion professionnelle notable dans un emploi connaissant des difficultés de recrutement » au sein du département de la Seine-Maritime. Le juge administratif s’attache ainsi à vérifier si la mesure d’éloignement ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts personnels du demandeur au regard des buts poursuivis. Cette approche multidimensionnelle justifie que la cour s’interroge ensuite sur la validité juridique de l’arbitrage rendu par l’autorité préfectorale dans l’exercice de sa compétence.
II. La sanction de l’erreur manifeste dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire
A. Le contrôle de la légalité d’un refus de régularisation par le juge administratif
L’autorité préfectorale dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour régulariser un étranger ne remplissant pas les conditions de délivrance de plein droit d’un titre de séjour. Toutefois, la cour administrative d’appel de Douai estime que le préfet a commis une « erreur manifeste d’appréciation en refusant d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont il dispose ». Le juge administratif exerce ici un contrôle restreint mais effectif afin de censurer les décisions dont les conséquences sur la situation individuelle apparaissent manifestement disproportionnées. La conjonction d’une promesse d’embauche solide et d’une intégration sociale réussie prive le refus de sa base rationnelle au regard des circonstances particulières.
Le refus de séjour et la mesure d’éloignement qui l’accompagne se trouvent ainsi entachés d’illégalité en raison de cette appréciation erronée des faits de l’espèce par l’administration. La cour souligne que les éléments de la situation personnelle de l’intéressé auraient dû conduire le préfet à faire usage de son pouvoir de régularisation exceptionnelle. Ce contrôle juridictionnel garantit que la marge de manœuvre laissée à l’État ne se transforme pas en un arbitraire ignorant les réalités vécues par les administrés. La décision de la cour administrative d’appel confirme ainsi la protection des droits individuels face à une application trop rigide des critères de police des étrangers.
B. La confirmation de l’annulation de la mesure d’éloignement et de ses conséquences
L’annulation de la décision portant refus de séjour entraîne par voie de conséquence l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays. La cour administrative d’appel de Douai rejette la requête du préfet et confirme le jugement rendu précédemment par le tribunal administratif de Rouen en septembre deux mille vingt-quatre. Elle constate que l’administration a d’ailleurs déjà procédé à la délivrance d’un titre de séjour en qualité de salarié pour exécuter la décision de première instance. Cette exécution provisoire rend sans objet les conclusions de l’étranger tendant à ce qu’il soit à nouveau enjoint à l’État de lui délivrer un document.
La juridiction condamne l’État à verser une somme globale au titre des frais de justice engagés par le requérant et par son conseil pour assurer sa défense. Cette condamnation pécuniaire souligne l’échec de la stratégie contentieuse de l’administration qui persistait à nier la réalité des besoins de recrutement mis en avant par l’employeur. L’arrêt rendu par la cour de Douai stabilise définitivement la situation administrative de ce pâtissier tunisien dont le parcours professionnel exemplaire méritait une reconnaissance juridique. La protection offerte par le juge administratif assure ici la cohérence entre les objectifs de travail légal et la réalité du marché de l’emploi en Normandie.