Par un arrêt en date du 18 juin 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour à un étranger se prévalant de sa qualité de parent d’un enfant français.
En l’espèce, un ressortissant malien, entré sur le territoire français en 2017 alors qu’il était mineur et confié à l’aide sociale à l’enfance, a vu ses demandes successives de titre de séjour refusées, notamment en 2020, décision assortie d’une obligation de quitter le territoire français à laquelle il n’a pas obtempéré. Après avoir bénéficié d’une carte de séjour temporaire d’un an, arrivée à expiration, il a sollicité un nouveau titre en sa qualité de père d’un enfant français né d’une union avec une ressortissante française dont il est aujourd’hui séparé. La préfète de l’Oise a rejeté sa demande par un arrêté du 20 juin 2024, lui ordonnant de quitter le territoire. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif d’Amiens, qui a rejeté sa requête par un jugement du 16 octobre 2024. Il a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale était insuffisamment motivée et méconnaissait les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que les stipulations des conventions internationales protégeant le droit à la vie privée et familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant.
La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si la contribution d’un parent étranger, qui ne vit plus avec son enfant français, peut être qualifiée d’effective au sens des dispositions légales, et si un refus de titre de séjour, compte tenu de l’ensemble de la situation personnelle de l’intéressé, porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle estime que les éléments versés au dossier, bien qu’attestant de certains liens, ne suffisent pas à établir une participation régulière à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Elle juge en outre, au terme d’une mise en balance des intérêts en présence, que la décision de la préfète ne constitue pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant ni à l’intérêt supérieur de son enfant, eu égard notamment à son parcours et à la fragilité de ses attaches en France.
La solution retenue par la cour réaffirme une appréciation rigoureuse des conditions de délivrance du titre de séjour pour le parent d’un enfant français (I), aboutissant à une décision dont la portée semble toutefois circonscrite aux circonstances particulières de l’espèce (II).
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I. La réaffirmation d’une appréciation rigoureuse des conditions légales
La cour administrative d’appel confirme le refus de titre de séjour en appliquant une lecture stricte de la condition de contribution effective à l’entretien de l’enfant (A) et en procédant à une balance des intérêts conventionnels qui s’avère défavorable au requérant (B).
A. L’exigence d’une contribution effective et continue à l’éducation de l’enfant
Le droit au séjour du parent étranger d’un enfant français est subordonné, aux termes de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à la preuve qu’il « établit contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ». La juridiction administrative exerce sur cette notion un contrôle entier, vérifiant au cas par cas si les obligations parentales sont matériellement et moralement remplies de manière effective. En l’occurrence, le juge ne se contente pas des preuves formelles apportées par le requérant.
La cour relève que le père verse au dossier des relevés bancaires, des photographies et plusieurs attestations pour justifier de son implication. Cependant, elle considère que « l’ensemble de ces éléments ne suffisent pas à considérer que M. A… participe régulièrement à l’éducation et à l’entretien de son enfant ». Cette appréciation souligne que la contribution ne saurait être seulement ponctuelle ou symbolique, surtout lorsque le parent ne partage plus le quotidien de l’enfant. La séparation du couple peu de temps après la naissance et l’absence de vie commune pèsent lourdement dans l’analyse du juge, qui recherche des preuves d’un engagement constant et substantiel dans la durée, nonobstant la rupture du lien conjugal. L’insuffisance des six virements effectués sur une période non précisée illustre cette exigence d’une régularité et d’une continuité dans le soutien matériel et l’implication éducative.
B. Une mise en balance des intérêts défavorable au requérant
Au-delà de l’examen des conditions légales spécifiques, la cour évalue la décision préfectorale au regard du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet examen de proportionnalité conduit le juge à peser l’ingérence dans la vie familiale du requérant face aux objectifs d’ordre public et de maîtrise des flux migratoires. Plusieurs éléments factuels viennent ici justifier l’atteinte portée.
La cour prend en considération le parcours global du requérant, en rappelant que « l’ancienneté relative de son séjour résulte de ce qu’il n’a pas déféré à une précédente mesure d’éloignement ». De plus, elle mentionne qu’il est « défavorablement connu des services de police », ce qui constitue un élément dirimant dans l’appréciation de sa situation personnelle. La cour conclut que l’intéressé n’établit ni avoir tissé des « liens anciens, intenses et stables sur le territoire français », ni être isolé en cas de retour dans son pays d’origine. Face à ces considérations, le lien de filiation avec son jeune fils, dont l’effectivité est déjà jugée relative, ne suffit pas à faire pencher la balance en sa faveur et à rendre la décision d’éloignement disproportionnée.
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II. Une solution d’espèce à la portée limitée
Bien que rigoureuse, la décision de la cour semble davantage déterminée par les faits propres à l’affaire (A) qu’annonciatrice d’un durcissement général, confirmant ainsi la marge d’appréciation laissée à l’administration en la matière (B).
A. Une appréciation largement tributaire des circonstances factuelles
Le raisonnement tenu par la cour administrative d’appel ne semble pas constituer un revirement de jurisprudence ni même un arrêt de principe fixant une nouvelle doctrine d’interprétation. Il s’agit plutôt d’une décision d’espèce, dont la solution est intimement liée à la singularité du dossier du requérant. L’accumulation de plusieurs éléments défavorables a manifestement déterminé la conviction du juge et justifié le rejet de la requête.
En effet, le non-respect d’une précédente obligation de quitter le territoire et les antécédents judiciaires mentionnés ont créé un préjugé négatif difficilement surmontable. Dans un autre contexte, les preuves apportées, telles que des virements réguliers même modestes et des attestations de l’entourage, auraient pu être jugées suffisantes pour caractériser une contribution effective. La cour elle-même prend soin de préciser que le lien avec l’enfant n’est pas de nature à faire obstacle à l’éloignement « en l’état de l’instruction ». Cette formule suggère que la solution aurait pu être différente si le dossier avait présenté des garanties d’intégration et de stabilité plus solides. La portée de l’arrêt est donc relative, sa logique ne pouvant être transposée qu’à des situations factuelles similaires.
B. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale
Cet arrêt illustre de manière classique l’étendue du pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration pour évaluer la situation personnelle d’un demandeur de titre de séjour. Le juge administratif, bien qu’exerçant un contrôle normal sur la matérialité des faits et l’application des conditions légales, se montre réticent à substituer son appréciation à celle du préfet concernant la portée des liens privés et familiaux et l’opportunité d’une mesure d’éloignement.
En validant la décision préfectorale, la cour confirme que la charge de la preuve d’une intégration réussie et d’une contribution effective pèse lourdement sur le ressortissant étranger. Le préfet dispose d’une marge de manœuvre considérable pour interpréter le caractère « effectif » de la contribution parentale et pour évaluer la proportionnalité de son refus au regard de l’ensemble des circonstances. Cette solution rappelle que la qualité de parent d’enfant français n’emporte pas un droit inconditionnel au séjour et que l’autorité administrative conserve un rôle central dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, sous le contrôle restreint du juge de l’excès de pouvoir.