Cour d’appel administrative de Douai, le 19 juin 2025, n°23DA01262

Par un arrêt en date du 19 juin 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur l’étendue du contrôle opéré par une autorité concédante sur la régularité des offres au regard du droit du travail. En l’espèce, une communauté de communes avait lancé une procédure de délégation de service public pour l’exploitation de son centre aquatique. Une société candidate, évincée au profit d’une autre, a saisi la justice administrative d’une demande d’indemnisation. Elle soutenait que l’offre de l’attributaire était irrégulière, car elle reposait sur l’application d’une convention collective inadaptée, ce qui aurait faussé la concurrence en minorant les coûts de personnel.

Le tribunal administratif d’Amiens, dans un jugement du 3 mai 2023, avait partiellement fait droit à sa demande. Les premiers juges avaient bien reconnu l’irrégularité de l’offre retenue mais avaient estimé que la société évincée n’avait pas une chance sérieuse de remporter le contrat. Ils n’avaient par conséquent indemnisé que les frais de présentation de l’offre. La société évincée a interjeté appel de ce jugement, sollicitant l’indemnisation de son manque à gagner. Par la voie de l’appel incident, la collectivité territoriale a demandé l’annulation de sa condamnation, contestant toute irrégularité. La cour administrative d’appel devait donc déterminer si l’offre d’un soumissionnaire peut être jugée irrégulière au seul motif qu’elle serait fondée sur une convention collective prétendument inapplicable, alors qu’aucune mention de cette convention ne figure dans l’offre et que son contenu ne méconnaît pas les dispositions de la convention pertinente.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que l’irrégularité d’une offre ne saurait être présumée et doit ressortir manifestement de son contenu. Infirmant le jugement de première instance, la cour rejette en totalité les prétentions indemnitaires de la société requérante, au motif qu’aucune faute de l’autorité concédante n’a été commise lors de l’attribution du contrat.

La décision circonscrit ainsi l’obligation de contrôle de l’autorité concédante quant au respect du droit social par les soumissionnaires (I), ce qui a pour effet de renforcer l’exigence probatoire pesant sur le concurrent qui se prétend lésé (II).

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I. L’application rigoureuse du critère de l’activité principale au contrôle de la régularité des offres

La cour administrative d’appel conforte d’abord la méthode de détermination de la convention collective applicable en se fondant sur l’objet du contrat (A), avant de refuser de déduire l’irrégularité d’une offre d’une simple suspicion en l’absence de violation avérée (B).

A. La détermination de la convention collective pertinente par l’analyse de l’objet du contrat

Le litige soulevait la question de savoir quelle convention collective devait régir l’exploitation du centre aquatique. La société requérante affirmait que la convention collective nationale du sport était seule applicable, tandis que la société attributaire aurait, selon elle, fondé son offre sur la convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels (ELAC), jugée moins-disante. Pour trancher ce point, le juge se livre à une analyse factuelle de l’objet de la concession, conformément aux dispositions du code du travail relatives au critère de l’activité principale.

L’arrêt détaille la consistance de l’équipement, tel que décrit dans les documents de la consultation. Il relève que le centre est composé « d’un bassin sportif carrelé d’une surface de 250 m², d’un bassin ludique carrelé d’une surface de 128 m², d’une pataugeoire carrelée d’une superficie de 37 m² » ainsi que d’autres installations. De cette description, le juge déduit que « l’activité que ce dernier serait appelé à exercer dans ce cadre devait être regardée comme consistant en la gestion d’un équipement dont la vocation est principalement sportive alors même qu’il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente ». La cour conclut donc que la mission relevait bien de la convention collective nationale du sport. Cette démarche confirme une jurisprudence constante qui privilégie une approche concrète pour déterminer l’activité principale d’une entreprise ou, comme ici, d’un contrat.

B. Le refus de présumer l’irrégularité d’une offre en l’absence de violation manifeste

Une fois la convention collective applicable identifiée, la cour examine si l’offre de la société attributaire était effectivement irrégulière. C’est sur ce point que son raisonnement diverge radicalement de celui des premiers juges. La cour administrative d’appel pose une exigence de preuve stricte. Pour qu’une offre soit écartée comme irrégulière au motif d’une méconnaissance des règles sociales, cette méconnaissance doit être établie et non simplement alléguée.

L’arrêt énonce qu’« il ne résulte de l’instruction (…) ni que cette société, attributaire du contrat, aurait indiqué, dans son offre ou au cours des négociations, qu’elle ferait application de la convention collective nationale ELAC dans le cadre de sa gestion de l’équipement en cause, ni que son offre, tenant compte d’accords d’entreprise favorables conclus avec les organisations représentatives de son personnel, méconnaissait de façon manifeste la convention collective nationale du sport ». En d’autres termes, l’intention prêtée au soumissionnaire ne suffit pas. L’irrégularité doit ressortir d’éléments objectifs et tangibles présents dans le dossier de l’offre. Faute de preuve que l’offre mentionnait une convention inapplicable ou violait explicitement la convention applicable, l’autorité concédante n’avait pas à l’écarter. Cette solution pragmatique évite à l’acheteur public de devoir mener des investigations complexes sur les intentions des candidats.

II. La portée de la décision : une redéfinition des contours de l’obligation de contrôle de l’autorité concédante

En posant des limites claires au contrôle de l’administration, cette décision se révèle empreinte d’un pragmatisme qui renforce la sécurité juridique des procédures de passation (A). Par voie de conséquence, elle accroît le fardeau de la preuve qui pèse sur le concurrent évincé souhaitant obtenir réparation (B).

A. L’appréciation de la valeur de la solution : un pragmatisme protecteur de la sécurité juridique

La solution retenue par la cour administrative d’appel apparaît protectrice pour les autorités concédantes. Exiger de ces dernières qu’elles vérifient non seulement le contenu explicite des offres, mais aussi les intentions ou les pratiques sociales implicites des soumissionnaires, créerait une insécurité juridique majeure. Une telle obligation alourdirait considérablement la phase d’analyse des offres et ouvrirait la voie à de nombreux contentieux fondés sur des suspicions difficiles à étayer. Le juge administratif semble ici vouloir cantonner le contrôle de l’acheteur aux stipulations de l’offre elle-même.

En se bornant à vérifier l’absence de méconnaissance « manifeste » des dispositions sociales, la cour adopte une position réaliste. Elle reconnaît que l’autorité concédante n’est pas le juge du contrat de travail ni l’inspecteur du travail. Son rôle est de s’assurer que l’offre est économiquement viable et juridiquement conforme en apparence, sans avoir à mener une instruction approfondie sur des aspects relevant de la gestion interne du personnel du futur cocontractant. Cette approche a le mérite de la clarté et de l’efficacité, en prévenant les contestations dilatoires fondées sur des arguments exogènes à l’offre proprement dite.

B. L’étude de la portée : un renforcement de l’exigence de preuve à la charge du concurrent évincé

La conséquence directe de cette position est de rendre plus difficile l’action du concurrent évincé. Pour établir l’irrégularité de l’offre d’un compétiteur sur un fondement tiré du droit social, il ne lui suffit plus d’invoquer l’inapplicabilité d’une convention collective. Il doit désormais démontrer que l’offre retenue fait explicitement référence à cette convention erronée ou que ses termes, notamment financiers, sont en contradiction flagrante et démontrable avec les minima prévus par la convention pertinente.

Cette jurisprudence invite donc les candidats évincés à une plus grande rigueur dans l’administration de la preuve. Le simple argument d’une distorsion de concurrence potentielle ne saurait prospérer. Il faudra produire des éléments concrets, tirés de l’offre elle-même, pour établir l’irrégularité fautive de l’administration. Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large qui, tout en assurant le respect des grands principes de la commande publique, tend à stabiliser les contrats conclus et à limiter les recours indemnitaires aux cas où l’illégalité et le préjudice sont établis de manière certaine.

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Hassan KOHEN
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