Par un arrêt en date du 19 juin 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’éligibilité des dépenses d’amortissement au crédit d’impôt recherche. En l’espèce, une société spécialisée dans la recherche sur le recyclage des matières plastiques s’était vu refuser par l’administration fiscale le bénéfice de ce crédit pour une fraction de ses dépenses, correspondant à l’amortissement de prototypes qu’elle avait conçus. La société a alors saisi la juridiction administrative pour obtenir la restitution de la créance fiscale correspondante.
La demande de la société fut rejetée en première instance par un jugement du tribunal administratif de Rouen du 9 avril 2024. La société a interjeté appel de ce jugement, soutenant que les annuités d’amortissement des éléments assemblés pour constituer des prototypes, qualifiables d’immobilisations, étaient bien éligibles au dispositif prévu par l’article 244 quater B du code général des impôts. L’administration fiscale, pour sa part, a maintenu sa position en concluant au rejet de la requête, arguant que le dispositif fiscal ne couvrait pas l’amortissement du prototype en tant que tel.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si les dotations aux amortissements d’un prototype constituent une dépense de recherche éligible au crédit d’impôt recherche, ou si ce dispositif ne vise que les immobilisations affectées aux opérations de conception dudit prototype.
À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que si le crédit d’impôt s’applique aux amortissements des immobilisations utilisées pour les opérations de conception d’un prototype, il n’inclut pas l’amortissement du prototype lui-même. Par conséquent, elle confirme le jugement de première instance et rejette la demande de la société requérante, estimant que l’administration fiscale a légitimement exclu ces dépenses de la base de calcul du crédit d’impôt.
La solution retenue par la cour procède d’une interprétation stricte des textes encadrant le crédit d’impôt recherche (I), dont la portée, bien que clarificatrice, pourrait affecter le financement de l’innovation matérielle (II).
I. L’interprétation stricte des dépenses de recherche éligibles
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une lecture littérale des dispositions du code général des impôts, ce qui la conduit à opérer une distinction nette entre le prototype et les moyens de sa conception (A) et à exclure de fait le premier du champ des immobilisations dont l’amortissement est éligible au crédit d’impôt (B).
A. L’exclusion du prototype des immobilisations affectées à la recherche
La décision commentée s’articule autour de l’interprétation du a) du II de l’article 244 quater B du code général des impôts. Ce texte dispose que les dépenses éligibles comprennent « les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique ». Pour la cour, un prototype ne saurait être qualifié d’immobilisation « affectée directement » à de telles opérations.
Le raisonnement des juges s’appuie sur une analyse finaliste de l’actif. Une immobilisation affectée à la recherche est un moyen, un outil au service d’une activité de recherche. Le prototype, quant à lui, est davantage le résultat ou l’aboutissement d’une phase de cette même activité, notamment celle du développement expérimental. La cour considère ainsi que le prototype n’est pas un instrument de recherche mais l’objet même de celle-ci, ce qui justifie son traitement fiscal distinct. En conséquence, son amortissement ne peut être regardé comme une dépense de recherche au sens de la loi.
B. La distinction opérée entre la conception du prototype et le prototype lui-même
La cour affine son raisonnement en soulignant que le crédit d’impôt, s’il « concerne les dépenses de recherche afférentes aux dotations aux amortissements des immobilisations affectées à des opérations de recherche pour la réalisation d’opérations qui concourent à la conception d’un prototype, ne s’applique pas, en revanche, à l’amortissement du prototype en tant que tel ». Cette formule établit une frontière claire entre le processus de création et son produit.
Ainsi, les amortissements d’une machine-outil ou d’un logiciel spécifique, acquis pour fabriquer ou dessiner le prototype, seraient éligibles. Ces biens sont en effet des immobilisations directement utilisées dans le cadre des opérations de recherche. En revanche, une fois le prototype assemblé, il devient une immobilisation distincte dont l’amortissement suit un régime différent. La cour valide la logique de l’administration fiscale, qui sépare les dépenses liées aux moyens de la recherche de celles qui se rapportent à son résultat matériel probatoire.
Cette interprétation restrictive, bien que solidement argumentée sur le plan juridique, n’est pas sans conséquence sur la stratégie de financement des entreprises innovantes.
II. La portée de la décision sur le financement de l’innovation
En validant l’analyse de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel confirme une doctrine restrictive (A), dont la rigueur pourrait se révéler défavorable à l’investissement dans des projets de recherche nécessitant des prototypes coûteux (B).
A. La confirmation d’une position administrative restrictive
L’arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit plutôt dans le sillage de la doctrine administrative. L’administration fiscale a toujours promu une lecture prudente des textes relatifs au crédit d’impôt recherche afin d’éviter les effets d’aubaine. En refusant d’assimiler l’amortissement d’un prototype à une dépense de recherche éligible, la décision apporte une sécurité juridique aux entreprises en clarifiant les règles applicables.
La valeur de cet arrêt réside donc dans sa portée pédagogique. Il rappelle aux entreprises la nécessité d’une comptabilité analytique rigoureuse, distinguant précisément les coûts des actifs utilisés pour la recherche de ceux des prototypes qui en résultent. La solution contraint les acteurs économiques à une orthodoxie comptable et fiscale stricte, sous peine de voir leurs demandes de crédit d’impôt rectifiées. Cette position renforce la prévisibilité du droit fiscal en la matière, au prix d’une conception limitée des dépenses de recherche.
B. Une solution rigoureuse au détriment de l’investissement matériel en R&D
Si la décision est juridiquement fondée, sa portée économique mérite d’être discutée. Pour de nombreuses industries, le prototype n’est pas seulement un résultat, mais aussi un outil indispensable pour la poursuite du développement expérimental. Il est souvent utilisé pour réaliser des essais, valider des concepts et recueillir des données, constituant ainsi une immobilisation pleinement affectée à la continuation des opérations de recherche.
En excluant son amortissement de la base du crédit d’impôt, la cour adopte une solution qui pourrait freiner l’investissement dans des projets de recherche à forte intensité capitalistique. Le coût de fabrication d’un ou de plusieurs prototypes peut représenter une part substantielle du budget de R&D. Le fait de ne pas pouvoir intégrer l’amortissement de ce coût dans le calcul du crédit d’impôt recherche peut rendre certains projets d’innovation moins attractifs financièrement. La rigueur de l’interprétation juridique se heurte ici aux objectifs politiques de soutien à l’innovation et à la compétitivité industrielle.