Cour d’appel administrative de Douai, le 2 avril 2025, n°24DA00926

Par un arrêt en date du 2 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Douai se prononce sur les conditions d’appréciation par l’administration de la force probante des actes d’état civil étrangers dans le cadre d’une demande de titre de séjour.

En l’espèce, un ressortissant de la République de Guinée, confié à l’aide sociale à l’enfance entre ses seize et ses dix-huit ans, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande par un arrêté du 15 septembre 2023, au motif que les documents d’état civil produits ne permettaient pas d’établir avec certitude son identité. Cette décision était assortie d’une obligation de quitter le territoire français.

Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Rouen a, par un jugement du 11 avril 2024, rejeté la demande d’annulation de cet arrêté. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le préfet avait méconnu la valeur probante de ses documents d’état civil en se fondant sur des anomalies non dirimantes relevées par la police aux frontières, et qu’il n’avait, de ce fait, pas procédé à un examen complet de sa situation. Le préfet, en défense, concluait au rejet de la requête, estimant sa décision bien-fondée.

Il était donc demandé à la Cour administrative d’appel si de légères anomalies formelles affectant des actes d’état civil étrangers suffisent à justifier un refus de titre de séjour fondé sur un doute sur l’identité, sans que l’administration ne procède à l’examen des conditions de fond de la demande.

La Cour administrative d’appel de Douai répond par la négative. Elle juge que les anomalies relevées n’étaient pas suffisantes en l’espèce pour écarter la force probante des documents d’état civil, au regard des nombreux autres éléments concordants versés au dossier. Elle en déduit que le préfet, en opposant un refus pour ce seul motif sans examiner les conditions de fond de la demande, a commis une erreur de droit. Par conséquent, la cour annule le jugement du tribunal administratif de Rouen ainsi que l’arrêté préfectoral.

Cette décision rappelle avec fermeté la portée de la présomption de validité attachée aux actes d’état civil étrangers (I), tout en précisant l’office du juge administratif dans le contrôle de l’appréciation de leur force probante par l’administration (II).

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I. La portée réaffirmée de la présomption de validité des actes d’état civil étrangers

La Cour administrative d’appel fonde sa décision sur le principe de la force probante des actes d’état civil étrangers (A), et en déduit que de simples anomalies formelles sont insuffisantes pour renverser cette présomption lorsque d’autres éléments corroborent l’identité de l’intéressé (B).

A. Le principe de la force probante des actes d’état civil étrangers

L’arrêt s’appuie sur l’article 47 du code civil, qui dispose que « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Cette disposition établit une présomption de régularité et d’exactitude des actes d’état civil étrangers, qui s’impose à l’administration comme au juge. La cour rappelle ainsi que ce n’est que par exception que la force probante d’un tel acte peut être écartée.

Cette présomption n’est pas irréfragable. L’article 47 du code civil précise lui-même qu’elle tombe « si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Il incombe donc à l’administration, lorsqu’elle entend contester la validité d’un acte, de rapporter la preuve de son caractère irrégulier, falsifié ou inexact. Le simple doute ne suffit pas ; il doit être étayé par des éléments concrets et concordants.

B. L’insuffisance d’anomalies formelles légères à renverser la présomption

Dans le cas d’espèce, le préfet s’était fondé sur des avis de la police aux frontières relevant des « anomalies formelles » sur le jugement supplétif et l’extrait d’acte de naissance produits par le requérant. La cour minimise la portée de ces constats en les qualifiant d’« anomalies, légères et non caractéristiques ». Elle juge qu’elles ne sauraient, à elles seules, suffire à priver les documents de leur force probante.

Pour parvenir à cette conclusion, le juge se livre à une appréciation globale de la situation. Il oppose aux doutes de l’administration un faisceau d’indices concordants qui viennent confirmer l’identité déclarée par le requérant. La cour relève ainsi que l’authenticité de son passeport n’a jamais été contestée, que de nouvelles attestations d’authenticité ont été produites en appel, qu’une procédure pénale initiée sur la base de ces mêmes doutes a été classée sans suite, et que le juge des enfants avait antérieurement validé son état civil lors de son placement. En ne retenant que les anomalies formelles et en ignorant ces multiples éléments, le préfet n’a pas procédé à une appréciation équilibrée des pièces du dossier.

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II. L’étendue du contrôle du juge sur l’appréciation administrative de la force probante

La solution retenue par la cour illustre l’étendue du contrôle exercé par le juge sur l’appréciation de l’administration (A) et aboutit logiquement à la sanction de l’erreur de droit commise par le préfet (B).

A. Un contrôle entier sur l’appréciation des pièces du dossier

L’arrêt montre que le juge administratif ne se contente pas de vérifier l’existence d’un doute émis par l’administration. Il exerce un contrôle entier sur la pertinence et la suffisance des motifs qui fondent ce doute. Pour ce faire, il forme sa propre conviction « au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». Cette méthode l’autorise à prendre en compte des éléments postérieurs à la décision attaquée, dès lors qu’ils sont de nature à éclairer la situation de fait qui prévalait à cette date.

En l’espèce, la cour prend soin de mentionner l’attestation d’authenticité du 8 mai 2024 et le nouvel acte de naissance du 7 août 2024, tous deux postérieurs à l’arrêté préfectoral. Cette démarche démontre que le juge apprécie la valeur probante des documents non pas de manière isolée, mais en les replaçant dans un contexte factuel et documentaire global. Ce contrôle approfondi garantit que la présomption de l’article 47 du code civil ne soit pas écartée sur la base d’éléments insuffisants ou d’une analyse parcellaire du dossier.

B. La sanction de l’erreur de droit : annulation et injonction de réexamen

La conséquence de ce contrôle est la censure de la décision préfectorale. La cour estime qu’en fondant son refus sur le seul motif tiré du défaut de justification de l’identité, « sans même procéder à l’examen des conditions de fond posées à la délivrance du titre de séjour sollicité », le préfet a commis une erreur de droit. Le refus de séjour est ainsi privé de base légale, car il repose sur une appréciation erronée de la valeur des pièces d’état civil.

Cette annulation emporte par voie de conséquence celle de l’obligation de quitter le territoire français. La portée de la décision est significative, car elle ne se limite pas à une simple censure. La cour enjoint au préfet de procéder au réexamen de la demande de l’intéressé dans un délai de deux mois. Cette injonction contraint l’administration à se prononcer à nouveau, cette fois-ci en tenant pour établie l’identité du demandeur et en se concentrant sur les conditions de fond de sa demande d’admission exceptionnelle au séjour, relatives notamment à son parcours de formation et à son insertion.

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Hassan KOHEN
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