Cour d’appel administrative de Douai, le 2 avril 2025, n°24DA01040

Par une décision en date du 2 avril 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant algérien. En l’espèce, un individu de nationalité algérienne, entré en France à l’âge de treize ans sous couvert d’un visa de court séjour, s’y était maintenu au-delà de la validité de ce titre. Plusieurs années après son arrivée, il a sollicité la délivrance d’un certificat de résidence portant la mention « vie privée et familiale ». L’autorité préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté du 30 octobre 2023, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français. Le requérant a saisi le tribunal administratif d’Amiens, qui, par un jugement du 26 mars 2024, a rejeté sa requête. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, faisant valoir d’une part une erreur de fait commise par l’administration quant à la situation de son oncle, et d’autre part une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La question posée aux juges d’appel était donc double. Il s’agissait d’abord de déterminer si le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale d’un étranger présent sur le territoire depuis son adolescence, au regard de l’ensemble des éléments de sa situation personnelle. Il convenait ensuite d’apprécier si une erreur de fait avérée dans les motifs de la décision administrative était de nature à entraîner son annulation. La cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a estimé qu’en dépit de l’ancienneté de son séjour, le requérant n’établissait pas que le centre de sa vie privée et familiale se situait en France. Elle a jugé que, dans ces conditions, la décision contestée ne méconnaissait pas les stipulations de l’article 8 de la convention précitée. Concernant l’erreur de fait, la cour a considéré qu’elle était sans influence sur le sens de la décision, l’administration ayant, en tout état de cause, légalement justifié son refus.

L’arrêt procède ainsi à une application rigoureuse des critères d’appréciation de la vie privée et familiale (I), une approche stricte qui justifie la neutralisation d’une erreur de fait pourtant établie (II).

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I. Une appréciation restrictive des liens privés et familiaux

La cour effectue un contrôle concret de la situation du requérant, l’amenant à relativiser l’importance de la durée de sa présence en France (A) au profit d’une analyse globale des critères de son intégration (B).

A. La relativisation du critère de l’ancienneté du séjour

La décision commentée illustre que la seule durée de présence sur le territoire national, bien qu’importante, ne suffit pas à caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale. Les juges du fond ont relevé que l’intéressé était entré en France à l’âge de treize ans et y avait résidé de manière continue. Toutefois, ils ont immédiatement contrebalancé cet élément par l’examen de la composition de son entourage familial. La cour note ainsi que la mère et la fratrie avec lesquelles il vivait « se maintiennent en situation irrégulière sur le territoire ». Cette circonstance affaiblit considérablement la force probante des liens familiaux invoqués.

De même, la relation sentimentale avec une ressortissante française, dont le requérant s’est prévalu, est écartée au motif qu’à la date de l’arrêté, celle-ci « était encore récente et qu’il n’existait alors pas de communauté de vie effective entre les intéressés ». Cette analyse factuelle rigoureuse démontre que la juridiction administrative se place strictement à la date de la décision contestée pour évaluer l’intensité des liens. Enfin, concernant l’oncle de nationalité française, la cour souligne que le requérant « n’apporte aucun élément de nature à établir le maintien de liens avec lui », en particulier depuis son accession à la majorité. L’ensemble de ces considérations conduit à minimiser la portée des attaches personnelles et familiales en France.

B. La prévalence d’une analyse globale de l’intégration

Au-delà des seuls liens familiaux, la cour évalue le degré d’intégration global du requérant et sa situation au regard de son pays d’origine. Sur le plan professionnel, elle constate qu’il justifie seulement de l’obtention d’un certificat d’aptitude professionnelle, mais « d’aucune expérience professionnelle particulière ni ancienneté dans un emploi ». L’absence d’une insertion professionnelle stable et durable constitue un facteur déterminant dans l’appréciation des juges. Cet élément est mis en balance avec les attaches qu’il conserve dans son pays d’origine.

La cour relève à cet égard qu’il « n’aurait pas été isolé dans son pays d’origine où résidaient toujours au moins deux de ses frères et sœurs ». En outre, elle estime qu’il ne démontre pas son impossibilité de s’y réinsérer, notamment grâce aux qualifications acquises en France. C’est la somme de ces éléments qui conduit la juridiction à conclure que le requérant ne peut être regardé comme ayant établi le centre principal de sa vie privée et familiale en France. La décision préfectorale est ainsi jugée proportionnée, car elle ne rompt pas des liens prépondérants avec la société française qui, en réalité, n’ont pas été suffisamment constitués.

Cette analyse rigoureuse de la situation personnelle du requérant permet à la cour de valider la décision administrative malgré une imperfection dans sa motivation.

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II. La neutralisation de l’erreur de fait par la confirmation du bien-fondé de la décision

L’arrêt est également remarquable en ce qu’il applique une technique jurisprudentielle bien établie permettant de sauver un acte administratif d’une annulation. Après avoir reconnu l’existence d’une erreur factuelle (A), la cour la déclare sans incidence sur la légalité de l’acte (B).

A. La reconnaissance d’une erreur de fait dans la motivation de l’acte

Le requérant soutenait, à juste titre, que l’arrêté préfectoral était entaché d’une erreur de fait, en ce qu’il retenait que son oncle se maintenait en situation irrégulière alors qu’il possédait la nationalité française. La cour administrative d’appel ne contourne pas ce moyen et le valide explicitement. Elle énonce sans ambiguïté que « la préfète de l’Oise a entaché son arrêté d’une erreur de fait en retenant que l’oncle de M. B… se maintient en situation irrégulière en France alors qu’il détient en réalité la nationalité française ».

Cette reconnaissance est une étape essentielle du raisonnement du juge. Elle confirme que l’administration a commis une inexactitude matérielle dans l’exposé des motifs de sa décision. En principe, une telle erreur est constitutive d’une illégalité et doit conduire à l’annulation de l’acte, à moins qu’elle n’ait exercé aucune influence sur la solution retenue. C’est précisément sur ce second point que la cour concentre son analyse, afin de déterminer les conséquences à tirer de cette erreur avérée.

B. L’application de la théorie de la substitution de motifs

La cour met en œuvre un raisonnement qui s’apparente à une substitution de motifs, en jugeant que l’erreur de fait n’a pas été déterminante dans le processus décisionnel de l’administration. Elle affirme qu’il « résulte de l’instruction qu’elle aurait pris les mêmes décisions si elle avait correctement pris en compte cette considération ». Pour justifier cette conclusion, la juridiction se fonde sur deux arguments. D’une part, elle rappelle que les liens de parenté avec un oncle, même de nationalité française, ne confèrent aucun droit automatique à la délivrance d’un titre de séjour.

D’autre part, et de manière décisive, elle renvoie à l’appréciation globale de la situation personnelle du requérant, telle qu’analysée dans la première partie de son raisonnement. Compte tenu de la précarité des autres aspects de sa vie privée et familiale en France, la cour estime que la circonstance que l’oncle soit français n’aurait pas suffi à faire pencher la balance en faveur d’une atteinte disproportionnée. L’erreur de fait est ainsi privée de toute portée utile. La décision se trouve purgée de son vice, car son dispositif est considéré comme légalement justifié par les autres motifs, exacts et pertinents, qui le fondent.

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